20 MAI 1972- 20 MAI 2020: 48 ANS DE CAUCHEMAR DU PEUPLE CAMEROUNAIS
Par Michel Biem Tong, journaliste web en exil
Dans tous les pays du monde, la fête nationale est un moment au cours duquel on célèbre un événement inédit, triomphal ou héroïque dans l’histoire d’un peuple, d’une nation. En France par exemple, tous les 14 juillet, le peuple français se rappelle de la prise de la Bastille et de sa victoire sur la monarchie de Louis XVI le 14 juillet 1789. Dans pas mal de pays africains, la célébration de la fête nationale permet de se rappeler l’indépendance, c’est-à-dire l’émancipation des peuples noirs de la tutelle du blanc colonisateur. Au Cameroun, qu’y a-t-il d’héroïque dans l’unité nationale au point de l’exalter, de la célébrer tous les 20 mai ?
Ce que les Camerounais doivent savoir et comprendre est qu’en choisissant le 20 mai comme date de fête nationale, les régimes d’Amadou Ahidjo et de Paul Biya ont voulu faire plaisir au colon français dont le double objectif est (1) d’entretenir un black-out aussi bien sur le combat des nationalistes tels que Ruben Um Nyobe, Félix Moumié, Ernest Ounadié, que sur les massacres de l’armée française sur des civils pendant la guerre d’indépendance menée contre les sympathisants de l’Union des populations du Cameroun (UPC) (2) légitimer l’annexion du Southern Cameroons (devenu nord-ouest et sud-ouest du Cameroun) dont l’indépendance a pourtant été votée lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 19 avril 1961.
Les historiens camerounais ne l’enseignent pas assez aux élèves et étudiants. Le Cameroun est comme l’Algérie, l’un des rares pays en Afrique à avoir connu une guerre d’indépendance. Entre 1955 et 1971, l’armée française et les soldats de la toute nouvelle armée camerounaise ont réprimé de manière brutale la lutte armée du peuple camerounais pour une véritable indépendance, notamment dans la Sanaga Maritime (pays bassa) et à l’Ouest (zone bamiléké) où elles ont commis un génocide en tuant des centaines de milliers de camerounais.
La France et le régime Ahidjo ont également procédé à l’élimination physique des leaders de l’UPC. Um Nyobe a été assassiné le 13 septembre 1958 par un détachement de l’armée française. Félix Moumié est mort le 3 novembre 1960 à Genève en Suisse, empoisonné au thalium par un agent secret français se passant pour un journaliste. Ernest Ouandié a été fusillé sur la place publique à Bafoussam le 15 janvier 1971 à l’issue d’un procès au cours duquel il était accusé de subversion. C’est donc pour effacer la lutte du peuple camerounais pour une véritable indépendance de la mémoire collective que la fête nationale a été déplacée du 1er janvier 1960 au 20 mai 1972.
Le 20 mai 1972 marque surtout la date à laquelle le régime Ahidjo, à l’instigation de la France, a parachevé le processus d’annexion du Southern Cameroons qui a démarré à la conférence de Foumban du 17 au 22 juillet 1961. En effet, au cours d’une conférence pré-plébiscite à Mamfe du 10 au 11 août 1959, les délégations du Southern Cameroons ont décidé à 67% à travers un vote que deux seules questions leur soient posées lors du plébiscite d’autodétermination : voulez-vous rester intégré au Nigéria ou faire sécession du Nigéria et être un Etat indépendant ? A titre de rappel, le Southern Cameroons avait été intégré à l’est du Nigéria par l’Angleterre après la signature des accords de tutelle avec les Nations Unies le 13 décembre 1946.
Lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 13 octobre 1959, l’option de l’indépendance a été écartée par l’ONU au profit du rattachement à la République du Cameroun. Raison évoquée : le Southern Cameroons n’était pas économiquement viable. Pourtant, le rapport financier transmis par l’Angleterre au Conseil de tutelle de l’ONU en 1954 laisse penser le contraire. Mais passons. Toujours est-il que ce refus de l’ONU d’inclure l’indépendance totale comme option de plébiscite a ouvert un boulevard à Ahidjo et à la France qui leur donnait un libre accès à cet espace territorial en vue d’en faire une partie de la République du Cameroun (ce qui est une violation de la Charte des Nations Unies qui prescrit l’égalité entre les peuples), de soumettre le peuple qui y vit ainsi que leurs dirigeants démocratiquement élu et d’exploiter les richesses de son sol et de son sous-sol.
En effet, la France et le régime Ahidjo n’ont jamais voulu admettre que le Southern Cameroons et la République du Cameroun sont jusqu’à ce jour, séparés par une frontière internationalement reconnue, que le Southern Cameroons était avant le 1er octobre 1961 un Etat avec des institutions solides (parlement, House of Chief, Premier Ministère, etc.), avec à sa tête des dirigeants démocratiquement élus. La France et le régime d’Ahidjo n’ont jamais voulu admettre que le 11 février 1961, le Southern Cameroons a voté pour se rattacher à la République du Cameroun mais en tant qu’Etat indépendant dès le 1er octobre 1961. Pour eux, le Southern Cameroons était une portion de terre que l’ONU était en train de rétrocéder au Cameroun.
Voilà pourquoi lors de la conférence de Foumban du 17 au 22 juillet 1961, au lieu de signer un traité de l’Union avec les dirigeants du Southern Cameroons comme le stipule dans le point 5 la résolution 1608 de l’ONU du 21 avril 1961, Ahidjo leur a plutôt soumis un projet de révision de la Constitution du 4 mars 1960 appliquée en République du Cameroun et qui portait sur un Etat fédéral ! Comme si les John Ngu Foncha et Cie étaient des citoyens de la République du Cameroun.
Après avoir promulgué la Constitution fédérale du 1er septembre 1961, Ahidjo et ses amis français vont entreprendre d’abord de démanteler de manière progressive la structure économique du Southern Cameroons (devenu West Cameroon dès le 1er octobre 1961) de manière à rendre les populations de ce territoire dépendant de la République du Cameroun, ensuite d’anéantir son système démocratique en intégrant les partis politiques qui y étaient actifs dans le parti unique Union nationale camerounaise (UNC) créé par Ahidjo le 1er septembre 1966, enfin, le 20 mai 1972, d’organiser un référendum au forceps sur l’Etat unitaire. Ce que les tenants actuels du pouvoir ne diront pas aux Camerounais est qu’au soir du 20 mai 1972, Ahidjo a déployé les forces de l’ordre dans le Southern Cameroons (ou le West Cameroon) pour contenir un soulèvement populaire en préparation contre le démantèlement des institutions de ce territoire consécutif à ce référendum frauduleux.
En un mot comme en mille, le 20 mai 1972 représente un véritablement cauchemar tant pour le peuple camerounais dont le sacrifice pour une indépendance véritable a été jeté à la poubelle de l’oubli, que pour le peuple du Southern Cameroons dont la dignité et la fierté d’être un peuple libre, indépendant et maître de son destin ont été sacrifiées à l’autel des intérêts des capitalistes français. Conscient de cette forfaiture aux confins de l’escroquerie politique, le régime Biya à l’approche de chaque « fête de l’unité », organise tout un tapage médiatique sur la nécessité d’une saine cohabitation entre les ethnies pour donner vie à cette unité nationale. Comme si avant le 20 mai 1972, le Cameroun sortait d’une sanglante guerre ethnique.