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TÉMOIGNAGE D’UNE FEMME VIOLÉE AVEC UNE JAMBE FRACASSÉE PAR LES MILICIENS DE OUATTA

Violée et laissée pour morte par des partisans d’Alassane Ouattara pendant la guerre électorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, Aya tente de se reconstruire physiquement et mentalement en France. Elle raconte à InfoMigrants son parcours vers la guérison.

Aya* a pris contact avec la rédaction d’InfoMigrants pour raconter son histoire, « pour que les gens sachent ». A 29 ans, cette jeune femme originaire de Côte d’Ivoire tente de se reconstruire et d’oublier les violences qu’elle a subies lors de la crise électorale de 2010-2011 dans son pays.

« Je travaillais comme aide-soignante pour une organisation internationale en Côte d’Ivoire. Pendant la guerre civile de 2010 – 2011, je soignais les personnes blessées dans les affrontements.

Ma famille était dans un quartier d’Abidjan considéré comme pro-Gbagbo. Un jour, je suis allée chercher mes parents pour les faire sortir du quartier car des miliciens rentraient dans les maisons et fusillaient les personnes considérées comme du clan de Gbagbo.

J’ai été dénoncée, une dame m’a dit que j’étais une traître. J’ai pris peur et que je suis partie en courant. Ce qu’on me reprochait c’était d’avoir fait mon travail et soigné des personnes des deux camps.

En 2014, je me suis mariée avec mon cousin qui vivait en Italie. On a célébré le mariage à Abidjan et quand il est reparti, je suis allée chez ma famille pour passer quelques jours, dans le quartier pro-Gabgo. Je n’y étais pas retournée depuis que j’avais reçu des menaces, mais je pensais que la situation était apaisée. C’est là que ma vie a basculé.

Une nuit, nous avons été réveillés par des hommes qui frappaient à notre porte. Mon beau-père a ouvert et des hommes en armes, des pro-Ouattara, étaient venus me chercher. Ils ont pointé les armes sur nous, m’ont fait sortir de la maison en me tirant les cheveux.

Ils m’ont alors dit : ‘On va à l’abattoir.’ Je suis entrée dans une voiture où d’autres personnes attendaient. Je savais que c’était la fin pour moi. Toute ma vie a défilé dans ma tête : mon passé, mes projets, ma famille…

Arrivés dans la forêt, ils ont séparé les hommes des femmes. Les miliciens ont mis les hommes en ligne et les ont fusillés, les uns après les autres.

Mon calvaire a commencé. J’ai d’abord été frappée, j’ai eu le lobe de l’oreille déchirée. Ils m’ont forcé à me déshabiller. J’ai dans un premier temps refusé mais un homme a tiré une balle juste à côté de moi. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’enlever mes vêtements.

Pendant trois jours, j’étais violée, ainsi que les autres femmes. Ils ont inséré toutes sortes d’objets dans mon vagin. J’ai perdu beaucoup de sang.

J’étais tellement épuisée qu’à la fin je me laissais faire, je ne bougeais plus. Ils ont cru que j’étais morte. Un homme a dit à la personne qui abusait de moi : ‘Débarrasse-toi de son corps’.

J’étais encore nue. Ils m’ont mis dans une voiture et ont abandonné mon corps dans une benne à ordures. J’ai passé la nuit dedans, je ne pouvais plus bouger. J’étais en sang et ma jambe était cassée.

Au petit matin, une femme m’a vu. Elle pensait que j’étais morte mais j’ai réussi à bouger mes doigts. Elle a crié de peur. Elle est revenue quelques minutes plus tard avec des tissus afin de me recouvrir et m’a emmenée à l’hôpital.

Je refusais que des hommes médecins m’approchent ou me touchent. J’étais complètement traumatisée.

Mon beau-père et ma mère sont venus me voir à l’hôpital et m’ont dit que des hommes étaient revenus à la maison pour les intimider.

Quand mon mari a appris que j’avais été violée, il m’a répudié. Quelques mois plus tard, alors que je m’étais enfuie au Mali, il m’a demandé pardon, il regrettait de m’avoir rejetée. Il a réussi à obtenir un visa pour que je le rejoigne en Italie car il était très malade et ses jours étaient comptés.

Il est mort quelques semaines après, j’étais encore au Mali. Sa famille a refusé que j’assiste à l’enterrement car ils disaient que j’étais une femme de malheur.

Je suis revenue en Côte d’Ivoire afin de prendre l’avion vers la France car mon visa n’était valable que depuis la Côte d’Ivoire. Je me cachais sous un voile intégral, de peur d’être reconnue dans la rue par mes ravisseurs.

Je n’ai enlevé mon foulard qu’une fois arrivée à l’aéroport en France. Une amie de la famille qui connaissait mon histoire est venue me chercher et m’a hébergée. Elle m’a beaucoup aidé.

Je n’arrivais à rien, je ne voulais pas me laver car quand j’étais nue je voyais mes cicatrices et ça me renvoyait à mon calvaire.

Un jour j’ai croisé la police dans l’immeuble et en les voyant je suis tombée dans les pommes. J’ai été pris en charge à l’hôpital puis en psychiatrie.

Cela fait maintenant plus de deux ans que je suis en France et je suis encore traumatisée. J’ai fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique car je fais des crises d’angoisse, des cauchemars, et j’ai des pensées suicidaires.

Quand quelqu’un frappe à la porte, j’angoisse et je vais me cacher. Je ne peux pas faire la queue dans les boutiques car je revois la scène des hommes qui se faisaient tirer dessus. Dans la rue, j’ai toujours l’impression d‘être suivie. Même en France, je ne me sens pas en sécurité.

Parfois je me dis que seule la mort pourra me libérer. Il n’y a que comme cela que j’aurais la paix. Je suis fatiguée. Le plus dur est que les personnes qui m’ont fait ça sont en liberté et vivent leur vie normalement alors que moi je suis obligée de me taire car le viol est un sujet tabou en Afrique.

J’ai obtenu la protection subsidiaire en France. J’ai été soignée : les médecins ont réparé mon oreille et mon appareil génital. J’ai fait une formation et je travaille avec des personnes handicapées.

Ma vie est rythmée par mes rendez-vous médicaux : psychiatres, orthophonistes, chirurgiens… J’essaye d’aller de l’avant mais c’est dur. Certains jours, je suis en profonde déprime, je n’arrive à rien et je pleure.

Je vis dans un foyer mais je me sens terriblement seule.

Je n’arrive pas à me faire des amis car je n’ai plus confiance en personne. J’aimerais rencontrer un homme et avoir des enfants mais aujourd’hui c’est impossible. Mon rapport avec les hommes est très compliqué.

Je suis morte psychologiquement. Je suis obligée d’effacer mon passé, je ne peux plus voir mes amis d’enfance en Côte d’Ivoire, tout est à reconstruire.

Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? »

*Le prénom a été modifié

Source : Infosmigrants

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