APRÈS AVOIR PLACÉ SOUS EMBARGO FIDEL CASTRO, LES OCCIDENTAUX SUPPLIENT L’AIDE DE SES MÉDECINS
La médecine cubaine est aujourd’hui appelée à la fois à protéger la population de l’île face au Covid-19 et à aider divers pays étrangers, dont l’Italie et la France.
Cuba est un archipel de presque 12 millions d’habitant·es, niché au sein d’un espace géopolitique complexe. À l’occasion de la crise du Covid-19, le petit pays caribéen, souvent présenté comme celui du régime castriste –y compris depuis la mort de Fidel Castro en novembre 2016 et la fin de la présidence de Raúl Castro en avril 2018–, a une fois de plus fait montre d’un internationalisme parfois décrié en envoyant des médecins en Italie combattre la maladie.
Certains des 52 personnels (soignants et administratifs) arrivés le 22 mars dernier en Lombardie avaient participé en 2014 à la lutte contre le virus Ebola en Afrique.
Ce continent avait déjà bénéficié de l’aide logistico-militaire cubaine lors de ses indépendances (on pense aux interventions en Angola ou au Mozambique, ou encore au soutien à l’Algérie), tout comme l’Amérique latine a été le terrain de multiples opérations médicales et humanitaires impulsées par Cuba (par exemple l’opération Milagro).
Les diverses missions soutenues par Cuba de par le monde se poursuivent actuellement, en pleine crise sanitaire. Si Cuba peut ainsi exporter ses médecins, c’est parce que ces dernièr·es sont internationalement reconnu·es. La contribution des épidémiologistes et virologues cubain·es a notamment été déterminante dans la lutte contre l’épidémie de choléra survenue en Haïti après le séisme de 2010.
Des équipes de recherche cubaines collaborent actuellement avec leurs homologues chinoises au développement d’un remède au Covid-19, appelé «Interferon Alpha-2b Recombinant» (utilisé à Cuba depuis plusieurs années dans le traitement d’autres maladies).
Plusieurs départements d’outre-mer français géographiquement proches de Cuba ont déjà accepté de recevoir l’aide médicale de La Havane; c’est également le cas de divers autres pays de la région, comme la Jamaïque, le Suriname, la Grenade ou le Nicaragua.
Certains accuseront le gouvernement révolutionnaire de profiter de la situation pour obtenir des contrats, de l’argent et d’autres bénéfices (comme le font bien d’autres pays à différents niveaux), quand d’autres rétorqueront que penser que Cuba est internationaliste par opportunisme, afin d’éviter l’isolement total, c’est méconnaître la révolution cubaine et ses principes.
Quoi qu’il en soit, l’État cubain a activé tous les rouages de son système de santé, tant à l’étranger qu’à l’intérieur de ses frontières.
La population cubaine est bien préparée à ce qui l’attend sur son territoire. Elle sait que le virus est déjà présent sur l’île, avec plusieurs centaines de cas détectés en quelques semaines (320 avérés au 6 avril). Huit décès sont à déplorer pour le moment, et plusieurs milliers de personnes sont hospitalisées car présentant les symptômes de la maladie.
Les premiers cas ayant été importés, les Cubain·es comprennent la décision gouvernementale de fermer les frontières du pays, lequel dépend pourtant largement de la manne financière du tourisme –une industrie qui a rapporté à Cuba plus de 3 milliards de dollars de bénéfices en 2018. Les 32.500 touristes encore sur l’île, selon des chiffres annoncés par le Premier ministre Manuel Marrero, ont été placé·es en quarantaine.
Le président Miguel Díaz-Canel a également annoncé la fermeture des établissements scolaires pour un mois, en précisant qu’il incombait aux familles de s’assurer que les enfants restent à la maison et ne passent pas leur journée dans les rues. Il a par ailleurs insisté sur la nécessité de respecter la distanciation sociale pour freiner la propagation du virus, y compris dans les files d’attente que la population cubaine ne connaît que trop bien, notamment devant les magasins d’État.
De nombreuses informations sont diffusées par les canaux officiels sur la transmission du Covid-19 et les moyens à mettre en œuvre pour en éviter la propagation. Chacun prend ainsi la mesure du rôle qu’il a à jouer dans la guerre contre cet ennemi invisible et finalement inconnu.
Des citoyens et des cuentapropistas (Cubain·es qui travaillent à leur compte) se font couturièr·es et fabriquent des masques en tissu, car les masques chirurgicaux manquent, et tout le monde prend ses distances en attendant un éventuel confinement, qui serait catastrophique pour l’économie.
Les Cubains comprennent la gravité de la situation et réagissent avec calme, même si les craintes d’une crise alimentaire sont vives –le fantôme de la période spéciale en temps de paix provoquée par la chute de l’URSS rôde encore dans l’île.
Les gestes barrières à adopter sont compris et appliqués comme des mesures de civisme. Les Comités de défense de la révolution (CDR) aident à la diffusion des consignes transmises par le gouvernement et surveillent l’apparition de symptômes parmi la population.
Il s’agit d’une crise sans précédent pour beaucoup d’habitant·es de cette planète, mais les Cubain·es sont habitué·es à vivre avec des bouleversements violents, qu’ils soient provoqués par les ravages d’un ouragan ou par le blocus financier et politique imposé par les États-Unis, encore renforcé depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump.
Aucun risque, donc, de les voir se battre dans les supermarchés pour quelques rouleaux de papier hygiénique: ces personnes vivent depuis des décennies avec un carnet de rationnement (la libreta) et subissent au quotidien des pénuries en tout genre.
Les Cubain·es peuvent étudier gratuitement la médecine (tout comme les étudiant·es étrangèr·es accueilli·es au sein de l’École latino-américaine de médecine) et bénéficient d’un taux de médecins par habitant·e plus qu’honorable, mais n’ont pas toujours accès aux médicaments les plus basiques du fait des lois extraterritoriales américaines.
La haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, l’ancienne présidente du Chili Michelle Bachelet, vient d’ailleurs de demander un assouplissement des restrictions et sanctions en vigueur contre Cuba, afin d’aider l’île à développer des traitements contre la maladie.
Sans tomber dans l’angélisme, on peut se demander si dans le contexte actuel, le nouvel engagement cubain sur des fronts lointains ne remet pas en question les notions de pays dits «développés» et «en voie de développement». Qu’est-ce que le développement, s’il n’est lié à l’humain?
Cette aide d’un pays dont on ne parle que peu, ou que l’on ne connaît que par le biais de stéréotypes (la triade «rhum, cigares, Che»), à de grandes puissances européennes comme l’Italie ou la France pousse sans doute à la réflexion.
Source : Slate.fr