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SIBETH NDIAYE PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS TÉMOIGNE SUR LE RACISME

Lutte contre les discriminations raciales en France: une tribune qui a au moins le mérite de lever les tabous

Je partage entièrement l’argumentation développée par Mme Sibeth Ndiaye dans cette tribune, bien qu’on puisse par ailleurs lui reprocher de s’inscrire dans une logique politique voire politicienne, puisqu’elle siège dans un gouvernement qui n’en a certainement pas fait assez en matière de lutte contre les discriminations raciales en France (notamment celles qui touchent particulièrement les hommes noirs et arabes, les femmes étant heureusement progressivement épargnées grâce à la parité).

Au moins le pouvoir de Macron en parle ouvertement, a permis l’investiture sans le moindre clientélisme ou paternalisme au parlement d’un certain nombre de Français d’origine africaine et Maghrébine (là où tous les autres notamment la vieille gauche bourgeoise se perdent encore dans des coteries), et aborde de manière courageuse le débat tabou sur les statistiques ethniques dans la république.

Merci pour cette contribution.

JDE

Sibeth Ndiaye : « Nous payons aujourd’hui l’effacement de l’universalisme républicain »

Tribune

Sibeth Ndiaye

Membre de la république en marche et porte-parole du gouvernement

Il est urgent de reposer la question de la représentativité des personnes de couleur dans la vie publique, politique, économique et culturelle de notre pays, estime la membre de La République en marche et la porte-parole du gouvernement. Elle propose notamment de rouvrir « de manière apaisée » le débat sur les statistiques ethniques.

« Quand je suis arrivée en France, en 1996, j’avais 16 ans. Sénégalaise issue d’une famille très engagée dans la lutte pour les indépendances, j’avais été élevée dans un rapport intransigeant avec la France, mais aussi dans la passion de sa langue.

C’est en arrivant en France que j’ai pris conscience de ce que cela représentait d’être Noire. Je fis l’expérience du racisme ordinaire. Ou, plus exactement, des racistes ordinaires : ceux qui ouvertement se défient de vous parce que vous êtes Noire et ceux qui croient avoir dépassé tous les préjugés, mais les nourrissent encore sans le savoir, presque sans y penser. Mais ce racisme-là, qu’il soit explicite ou impensé, n’était jamais validé par la société ni par les institutions françaises.

J’arrivais dans un pays où la gauche avait depuis longtemps enfourché le cheval de bataille de l’antiracisme, où la droite de Jacques Chirac refusait catégoriquement de s’allier au Front national. Dans cette France-là, face à un Jean-Marie Le Pen présent au second tour de l’élection présidentielle, aussitôt un bloc s’est formé contre ce parti qui jouait sur la peur de l’autre. Dans cette France-là, Jacques Chirac n’a même pas eu besoin d’un débat pour être élu massivement.

Je suivais avec intérêt tous les débats des années 2000 sur la discrimination positive, sur la visibilité des minorités, sur les quotas, sur les statistiques ethniques… Tout cela était difficile, souvent ambigu, parfois contre-productif, mais relevait de la même préoccupation: ne pas ajouter à la difficulté sociale une difficulté raciale, et dépasser les préjugés raciaux par la réussite sociale. Cette préoccupation animait la gauche, mais n’était pas indifférente à certains cercles de droite progressiste, qui promouvaient, par exemple, le CV anonyme.

À droite, la question de la discrimination et de ses effets corrosifs sur la société a été supplantée par la question de l’islam. Cette nouvelle obsession a rendu le débat non plus racial, mais culturel et identitaire. Au fond, le rejet de l’étranger n’était plus le fait de sa couleur de peau, mais de sa religion.

Cette vision culturelle a permis au Front national de sortir de ses impasses par un beau syllogisme dont la conclusion restait implicite: les Noirs et les Arabes sont souvent musulmans, or l’islam n’est pas compatible avec la République… donc les Noirs et les Arabes ne seraient pas compatibles avec la République. On pouvait décomplexer le racisme en invoquant la culture, et les attentats se chargèrent du reste. À droite, les digues avec l’extrême droite s’amenuisèrent. À gauche, l’antiracisme historique de la génération Mitterrand se dilua dans le combat contre les inégalités sociales. Fini Touche pas à mon pote.

On considéra que la couleur de la peau n’était que le signe visible du déclassement et qu’il fallait lutter contre le racisme par le social. Moyennant quoi on oublia que la couleur cristallise la discrimination, même quand elle n’est pas accompagnée de déclassement social. En oubliant cela, on a oublié une souffrance: celle que génère le racisme ordinaire, qui restreint le champ des possibles. Les discriminations de genre ont suscité une attention nouvelle et légitime, quand les discriminations raciales retournaient dans l’ombre.

Cette disparition de la question du racisme dans le champ politique a ouvert la voie à toutes les organisations désireuses de faire fructifier à leur profit la souffrance qui persistait, et même augmentait, face au racisme. Ces organisations ont essentialisé cette souffrance, considérant qu’elle était indépassable parce que la France n’était pas un État où vivent des racistes, mais un État raciste. Alors que l’extrême droite faisait dans le culturalisme, l’extrême gauche s’est mise à faire dans le racialisme.

Pris en étau, malmené, dénoncé, l’universalisme républicain à la française s’est effacé des consciences et est apparu incapable de répondre à l’insécurité culturelle des uns comme à la souffrance raciale des autres. C’est cet effacement que nous payons aujourd’hui, et nous le payons très cher. Si nous laissions le terrain aux extrêmes, à leurs concepts, à leur vision, alors nous acterions la fragmentation de la France en archipel. Ce n’est pas cela que j’espérais en devenant française. Ce n’est pas pour cela que je me suis engagée en politique.

J’entends déjà celles et ceux, aux extrêmes, qui diront les uns que je néglige « le socle culturel » du racisme, les autres que je suis « la Noire de service », « l’idiote utile des Blancs au pouvoir ». Devançant ces critiques, j’ai la conviction qu’il nous faut retrouver le sens de l’universalisme français. Pour que cet universalisme vive et prospère, nous ne devons pas hésiter à nommer les choses, à dire qu’une couleur de peau n’est pas neutre, qu’un nom ou un prénom stigmatise.

Nous avions entrepris de faire vivre l’universalisme par un effort envers les minorités visibles. Il faut reprendre ce fil avec audace, renouer avec le réel d’une souffrance. Il nous faut sortir d’une double assignation : la couleur de peau, et l’identité culturelle supposée que désigne cette couleur de peau. Cette double assignation, je l’ai constatée pendant les dix années où j’ai vécu en Seine-Saint-Denis (accès difficile à l’emploi, au logement, faible réussite scolaire, etc.). Je la vis en tant que ministre lorsqu’on moque mes robes colorées : si j’aime la couleur et le wax, ce serait parce que je suis Noire. «En tenue de cirque», je serais donc « indigne » de représenter la France. Ce n’est pas anecdotique, c’est le signe qu’il faut sortir de cette prison mentale et identitaire.

Nous pourrons y arriver si nous confrontons nos mémoires en faisant confluer les histoires sans les opposer: ce que j’ai appris de la colonisation, à l’école, au Sénégal, devrait pouvoir se conjuguer avec ce que j’ai appris en France de la décolonisation. Nous pouvons en unissant les deux faces du tableau, avec l’aide de nos historiens, créer un récit partagé permettant de dépasser les clivages.

Nous devons aussi nous reposer la question de la représentativité des personnes de couleur dans la vie publique, politique, économique et culturelle de notre pays. Nous devons revenir avec force aux outils de lutte contre les discriminations raciales sans les confondre avec les moyens de lutter contre la discrimination sociale.

Pourquoi ne pas poser de manière apaisée et constructive le débat autour des statistiques ethniques? Car nous avons fait de l’universalisme le fondement de nos lois, mais, à ne pas pouvoir mesurer et regarder la réalité telle qu’elle est, nous laissons prospérer les fantasmes. Il y a là quelque chose dont nous devons nous ressaisir urgemment, parce que nous ne devons pas renoncer à notre projet universaliste et républicain, sous peine de donner raison à ceux qui en détournent le sens et en exploitent sans vergogne les faiblesses.

Le problème du racisme en France n’est pas réglé. Mais nous pouvons le faire refluer au prix d’un combat inlassable, économique et social, démocratique et républicain, qui doit redevenir l’honneur de la France.

Osons débattre publiquement de certains sujets hier encore discutés, aujourd’hui devenus tabous, sans sombrer dans les habituels procès d’intention.

Sibeth Ndiaye , membre de La République en marche et porte-parole du gouvernement « 

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