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UN PRIX NOBEL ET UN UNIVERSITAIRE DÉCORTIQUENT LES TROIS PROBLÈMES DES ÉTATS AFRICAINS

Par Joseph Keneck Massil,  Université de Ydé 

  » L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes »: ce constat fait par le président américain Barack Obama lors de sa visite au Ghana en 2009 est toujours d’actualité.

Dans les faits, et même si les situations sont évidemment contrastées, l’Afrique demeure un continent où les États sont particulièrement fragiles   et où cette méta-institution qu’est la démocratie laisse encore beaucoup à désirer. En matière de démocratie, en effet, l’Afrique est de tous les continents celui qui présente les moins bons scores selon les indicateurs de Polity IV et de Freedom House. En outre, la faible qualité de la gouvernance économique se traduit par une corruption  élevée.

Certains éléments de cette tribune sont disponibles dans notre contribution à l’ouvrage collectif  » Améliorer l’efficacité de l’Etat du Cameroun  » dans plusieurs de nos travaux portant sur les Constitutions en Afrique, la corruption et la qualité des dépenses publiques.

Le triste état des institutions de la plupart des pays d’Afrique

Les travaux du Prix Nobel d’économie 1993 Douglas North  et de ses co-auteurs sur les Violences et Ordres sociaux fournissent une explication simple de l’encastrement des pays d’Afrique dans une dynamique institutionnelle négative. Ces travaux dissocient les sociétés « d’accès ouvert » (open access societies, OAOs) et « d’accès limité » (limited access orders, LAOs).

Les modèles d’accès ouvert, propres aux États dont les institutions sont le plus efficaces, se caractérisent par les traits suivants : un développement politique et économique ; une croissance économique positive ; une société civile diversifiée et vigoureuse, dotée d’un grand nombre d’organisations ; un État donnant une large place à la décentralisation ; un tissu de relations sociales impersonnelles, incluant État de droit, respect du droit à la propriété, justice et égalité de traitement de tous les individus.

Beaucoup de pays africains, en revanche, correspondent au modèle de l’accès limité, que North et ses co-auteurs décrivent ainsi : une économie à croissance lente, particulièrement vulnérable aux chocs ; des régimes politiques fonctionnant sans le consentement généralisé des administrés  ; un État centralisé ; une prédominance des relations sociales organisées sur un mode personnel, reposant sur des privilèges et la hiérarchie sociale ; des lois appliquées au cas par cas ; des droits de propriété fragile ; et le présupposé que tous les individus ne sont pas égaux.

Toutes les nations qui disposent aujourd’hui d’institutions relativement solides ont à un moment de leur histoire connu des sociétés « d’accès fermé » avant d’évoluer vers des « accès ouverts ». Plusieurs pays d’Afrique n’ont pas encore connu cette transition. Soixante ans après les indépendances, les institutions de bon nombre d’États du continent se trouvent encore à une phase embryonnaire de leur développement. Cependant, certains pays comme le Botswana, le Sénégal, l’ Île Maurice, l’Afrique du Sud, le Ghana  pour ne citer que ceux-là se positionnent comme des références africaines.

Une pluralité de facteurs explicatifs

Plusieurs facteurs expliquent le retard de développement institutionnel en Afrique.

L’histoire, bien sûr, pèse d’un grand poids . La plupart des colonies d’Afrique ont été des colonies d’extraction qui ont produit des institutions inadaptées . Ces systèmes ont façonné la structure de la gouvernance institutionnelle durant la colonisation et même après l’indépendance ont continué à avoir un impact sur la qualité des institutions africaines.

Par ailleurs, certains auteurs ont établi que la fragmentation ethnique du continent constitue la tragédie de l’Afrique. Cette fragmentation peut en tout cas expliquer le niveau de corruption , puisqu’il est fréquent qu’un responsable aux affaires considère qu’il est avant tout de son devoir d’aider son ethnie. La République centrafricaine offre un exemple édifiant où les tensions communautaires ou ethniques  ont contribué, en grande partie, à alimenter les violences et l’effondrement de l’Etat et des institutions.

Autre facteur prégnant, la richesse du continent en ressources naturelles. Les partisans de la théorie de la malédiction des ressources naturelles  justifient la contre-performance institutionnelle des pays d’Afrique par la richesse de son sol et de son sous-sol : le désir des États puissants de s’approprier les ressources naturelles de l’Afrique alimente une instabilité politique constante, ce qui à son tour ne favorise pas l’émergence de meilleures institutions. Et les rentes issues de l’exploitation des ressources sont des instruments de corruption des leaders politiques de l’opposition – un phénomène qui assure la pérennité de régimes politiques autocratiques.

Dans la région des Grands Lacs, notamment en République démocratique du Congo, les ressources naturelles sont aussi, en grande partie, à la base de l’instabilité dans le pays.

Le rôle décisif des leaders politiques

Les réformes institutionnelles en Afrique sont souvent conduites par les détenteurs du pouvoir dans l’optique de servir leurs propres intérêts. Il semble illusoire de rechercher à avoir de bonnes institutions en négligeant l’importance des responsables politiques. Depuis quelques années, la littérature économique  reconnaît l’importance des caractéristiques des leaders politiques dans les performance économiques des pays d’Afrique. L’histoire de l’émergence des bonnes institutions politiques de deux modèles africains, à savoir le Bénin et le Ghana, donne plusieurs leçons à cet égard.

Le Bénin est un pays qui a connu plusieurs coups d’État  au cours de son histoire politique. Mais il a fini par produire une conférence réussie et des alternances démocratiques répétées.

Le scénario est similaire au Ghana qui, après plusieurs coups d’État et une instabilité politique chronique, semble s’installer dans une transition démocratique souvent cité en exemple.

Dans ces deux pays, le progrès a été rendu possible par des hommes forts. Au Bénin c’est le président Mathieu Kerekou et le premier ministre Nicéphore Soglo qui ont conduit le pays vers l’adoption d’une nouvelle Constitution  qui a amorcé la transition démocratique. Au Ghana, la prise du pouvoir par Jerry Rawllings a abouti au vote d’une [nouvelle Constitution en 1992].

Deux voies à explorer

Dans une démocratie digne de ce nom, le Parlement joue un rôle crucial. En France, par exemple, l’Assemblée constituante a mis fin à la monarchie et à une société de classes et proclamé la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Aux États-Unis, comme ailleurs, le Parlement fait office de contre-pouvoir et joue un rôle central dans la consolidation de la démocratie.

En Afrique, c’est au contraire souvent l’inefficacité du Parlement qui a bloqué les différents États dans la sphère de l’« accès fermé » et les a empêchés de construire des institutions de meilleure qualité. Illustration : depuis le début des années 2000, quinze des seize pays qui ont modifié l’article de la Constitution sur la limitation du nombre de mandats du président   ont entériné cette modification par un vote du Parlement.

Dans les deux cas du Bénin et du Ghana, le Parlement a également joué un rôle de premier plan. En effet, les progrès ont été rendus possibles grâce notamment à des hommes forts et à un Parlement qui a su adopter des règles démocratiques.

L’histoire politique de plusieurs pays d’Afrique montre que les tentatives de changement institutionnel impulsées par le bas n’ont pas toujours été couronnées de réussite. Cependant, il faut souligner que certaines demandes de ce type, c’est-à-dire provenant du peuple, ont connu des issues favorables ( Algérie, Burkina Faso, Tunisie, Égypte, Soudan, etc.) sans être pour autant nécessairement suivies de l’émergence des bonnes institutions.

D’où la nécessité de disposer d’hommes providentiels porteurs d’une idéologie ouverte selon North, tournée vers la mise en place d’institutions solides conformes aux sociétés d’accès ouvert et non fermé. Ce qui permettra de construire une démocratie solide, de prévenir la corruption et de faire jouer aux agents économiques un rôle décisif dans la construction d’une société civile vigoureuse et des médias solides et indépendants.

L’homme providentiel et l’efficacité du parlement semblent donc des éléments centraux susceptibles de positionner les États africains sur une trajectoire de développement institutionnel irréversible.

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