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LE JOURNALISTE GHANÉEN ABATTU AVEC TROIS BALLES A ÉTÉ ENTERRÉ COMME UN HÉROS NATIONAL

Vendredi a été une journée de deuil national au Ghana en raison de l’enterrement du journaliste d’investigation Ahmed Hussein, froidement abattu par deux balles qui ont transpercé sa poitrine, et une autre qui a déchiré son cou. Il n’avait que 34 ans. Que de larmes ont coulé! Que de coeur déchirés au moment où il a été conduit à sa dernière demeure! Il a été enterré avec tous les honneurs d’ héros national, mais le chef d’État ghanéen et la communauté internationale demande que les coupables soient rapidement identifiés et mis aux arrêts .

Alors qu’il s’était arrêté chez des parents pour une visite de courtoisie mercredi, Ahmed Hussein reçoit  un appel  l’informant qu’un de ses fils, très mal en point, doit être conduit à l’hôpital. Il monte dans sa voiture pour filer vers son domicile de Madina , une banlieue située au nord de la capitale Accra. Mais à peine était-il parti que deux hommes avait  surgi à moto et ont ouvert le feu. Il a reçu deux balles dans la poitrine et une dans le cou et est mort sur le coup, aux environs de 23 heures.

Une telle scène abominable  rappelle l’assassinat du célèbre journaliste Burkinabè Norbert Zongo assassiné et calcinés, ainsi que d’autres crimes d’une violence inouïe orchestrée contre des journalistes dans des îlots de dictatures sauvages de l’Afrique francophone, mais pas au Ghana, champion d’Afrique au classement de la liberté de la presse, qui se place même devant les pays européens comme la France, et  occupe  la 23e place sur 180 pays dans le classement mondial de Reporters sans frontières (RSF)!

Ahmed Hussein était un journaliste d’investigation qui  faisait partie de l’équipe qui avait enquêté durant deux ans aux côtés d’Anas sur un vaste scandale de corruption dans le football africain. Number 12, douzième film en caméra cachée d’Anas, montre des arbitres qui acceptent des pots-de-vin pour truquer les matchs, une scène du président  de la fédération ghanéenne qui explique à des journalistes infiltrés se passant pour des investisseurs, comment obtenir des contrats avec le gouvernement en échange de quelque 10 millions d’euros.

Sorti en juin, et diffusé notamment sur la BBC, Number 12 a provoqué la suspension de près d’une centaine d’arbitres africains et la dissolution des comités permanents de la Fédération ghanéenne de football (GFA). Son président, Kwesi Nyantakyi, a quant à lui démissionné après avoir été suspendu pour trois mois par la Fifa.

« Depuis fin 2017, les quatre journalistes ayant enquêté sur Number 12 reçoivent des menaces de mort. Ahmed avait eu plusieurs appels téléphoniques. On lui disait : On va te tuer », commente l’avocat Kissi Agyebeng. Anas fait un lien direct entre l’assassinat  d’Ahmed Hussein et son travail d’investigation pour Number 12, à travers un montage vidéo  publié sur Twitter. On y voit le député du Nouveau Parti patriotique (NPP, parti au pouvoir) Kennedy Agyapong s’en prendre publiquement, sur la télévision Net2TV, à Ahmed Hussein. « Un homme très dangereux », vocifère-t-il, avant d’appeler les téléspectateurs à le « frapper ». « Je paierai », ajoute le tout puissant député . Ensuite, il est allé jusqu’à présenter à l’écran deux photos d’Ahmed Hussein , dont une en gros plan, ainsi que la ville où il réside.

Curieusement , la police ghanéenne n’a même pas osé convoqué ce baobab politique, alors que la loi du pays stipule bien que l’incitation publique à la violence constitue un crime .     scène ahurissante aux yeux de l’avocat Kissy Agyebeng. « Je suis surpris que la police n’ait pas convoqué ce responsable politique pour lui poser des questions. La loi ghanéenne est pourtant claire.   Kennedy Agyapong, aurait librement  quitté le pays peu après la mort d’Ahmed Hussein. « Nous croyons savoir qu’il s’est envolé pour un pays du Golfe et qu’il compte aller en Chine », révèle  Me Agyebeng.

Depuis la diffusion de Number 12, ce député du camp au pouvoir, dont le nom a été cité par un responsable de la fédération ghanéenne dans le documentaire, est particulièrement remonté contre les méthodes d’Anas. Il l’accuse de franchir la ligne rouge en proposant des pots-de-vin à ses interlocuteurs dans le but de les piéger. Il a d’ailleurs tenté de le poursuivre pour corruption.

Anaïs, à peine 40 ans, vit caché dans sa longue djellaba, le visage camouflé par un voile de colliers de perles rouges. C’est ainsi qu’il apparaît en public.  C’est le prix à payer pour exercer le style de journalisme qu’il a fait sien. Il le résume en trois mots : « Name, shame and jail » (nommer, faire honte, emprisonner). Après avoir recueilli les preuves en caméra cachée, il poursuit en justice et témoigne. C’est ainsi qu’il a fait tomber en 15 ans des proxénètes, des juges (une trentaine, l’affaire est toujours en cours), un pédophile, des contrebandiers.

C’est avec des robes , des perruques qu’il change comme un caméléon pour infiltrer les différents milieux sur lesquels il enquête. « Je ne piège pas les gens, je fais des opérations d’infiltration. C’est différent. C’est une pratique très répandue dans des médias comme CNN,  BBC, Al Jazeera… et j’applique les mêmes règles qu’eux », se justifie celui qui dit s’être habitué aux « attaques » et aux « menaces de mort ».

Number 12 avait atteint un degré de violence et de menaces indescriptibles. « On m’a traité d’assassin, on a dit que je devais être pendu », dit Anas. Mais la police n’a jamais voulu les protéger ou ouvrir une enquête . Maintenant qu’Ahmed Hussein a été abattu, le département des enquêtes criminelles de la police est chargé de l’enquête pour identifier ses meurtriers. « J’attends que la police arrête dans les plus brefs délais les auteurs de ce crime haineux », a déclaré  sur Twitter le président ghanéen Nana Akufo-Addo. Une grosse éclaboussure sur le mandat d’un président avocat et sur l’image du Ghana qui entre dans la vilaine liste des pays où on tue les journalistes  . Comme le disait Édouard Koutnetzov en 1981: 《 En régime de tyrannie, le mot est un acte》.

J. RÉMY NGONO

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