ALASSANE OUATTARA SE DIRIGE TOUT DROIT VERS LA CPI
J’ai écrit récemment une petite tribune intitulée « Fin de partie » où j’indiquais qu’Alassane Dramane Ouattara était arrivé au terme de de sa (trop) longue présence à la tête de la Côte d’Ivoire. Installé par Sarkozy, qui lui avait déroulé un tapis rougi du sang des Ivoiriens, il était devenu « Chef de l’Etat » en violation des règles élémentaires du pays. En 2015, au terme d’un nouveau processus de tripatouillage qui l’avait érigé en candidat « dérivé » par la magie d’un Conseil Constitutionnel relégué au simple rôle de chambre d’enregistrement des volontés du « Brave Tché », il avait été « réélu » par une petite minorité d’Ivoiriens. A l’époque les Services français estimaient la participation à moins de 20 % et le pouvoir avait « hésité » entre cinq taux de participation avant d’arrêter le curseur à 54,63 %, un chiffre totalement surréaliste pour tout observateur digne de foi.
« Nous sommes en Afrique », comme le répètent, le plus souvent de façon un peu désabusée, les « experts » commis à analyser le continent (dirigeants politiques et journalistes principalement) et, après, parfois, quelques froncements de sourcils, la « communauté internationale » passe à autre chose, laissant les « élus » continuer à bafouer les lois et à piétiner les droits fondamentaux des populations abandonnées à leur triste sort.
Mais, cette fois-ci, Alassane Dramane Ouattara, sans doute dans l’euphorie de sa « victoire », va commettre la faute majeure de son mandat. Voulant « marquer » son règne, il va s’offrir une réforme constitutionnelle qui s’avère aujourd’hui un piège fatal pour son avenir. Cette réforme est, en fait, à son image, brouillonne et vaine. Son idée était de pérenniser son pouvoir à travers un homme-lige dont il aurait contrôlé tous les faits et gestes.
Ainsi, dès l’exposé des motifs de cette réforme, il avait mis en avant qu’elle ne lui permettrait pas de briguer un troisième mandat, ce que ses « Adorateurs » zélés vont répéter ad nauseam dès la promulgation de la Constitution amendée. Les plus « bruyants » étant le ministre-constitutionnaliste Cissé Bacongo et le ministre de la Justice Sansan Kambilé. Ce dernier aura le privilège de fournir l’argumentaire-massue devant la représentation nationale, en répondant à un député qui s’interrogeait sur l’hypothèse d’un troisième mandat.
Voici le verbatim de son intervention, prononcée sur un ton très professoral :
« Je vous remercie pour la clarté de la question que vous venez de poser. En fait, vous subodorez que le président de la République entend être candidat en 2020. Monsieur le député, le président de la République, son Excellence Monsieur le président de la République, a toujours dit qu’il ne sera pas candidat en 2020. C’est un homme de parole et je tiens à vous rappeler, je pourrais vous démontrer comment il lui sera IMPOSSIBLE d’être candidat en 2020…et, vous savez, tous les exemples que vous avez pris, tous les pays dans lesquels les chefs d’Etat ont entendu ce maintenir au pouvoir, ont fait la réforme constitutionnelle avant les élections, avant les élections …ont fait la réforme constitutionnelle avant les élections, pas après. On fait « sauter » le verrou avant et on va aux élections. Et, donc, je peux vous rassurer, je ne vais pas trahir ou bien violer la règle édictée par le député Saraka en cherchant à vous démontrer techniquement et juridiquement pourquoi cela est impossible, mais je peux vous rassurer monsieur le député, cela n’est pas vrai. Je peux vous rassurer, merci beaucoup » !
Tout le monde a entendu le ministre Cissé Bacongo pérorer doctement sur le fameux article 183 de la Constitution réformée qui, selon lui contient la clé de la problématique du troisième mandat et le rend juridiquement impossible. Que ce soit devant Babilas Boton, sur Africa 24 ou face à Philippe Di Nacera (ancien rédacteur en chef de France 24 reconverti en communicant zélé du régime à Abidjan), il s’est époumoné à expliquer que son président ne pouvait plus être candidat.
Alassane Dramane Ouattara lui-même expliquera sans détour au micro de Christophe Boisbouvier sur RFI, en février 2019, « qu’il avait toujours insisté pour le transfert du pouvoir à une nouvelle génération », sous-entendu, « je ne peux pas faire trois mandats, mais la relève existe au RHDP » précisant qu’il avait en tête « trois ou quatre noms »…
Cerise sur le gâteau, c’est le Conseil Constitutionnel lui-même, qui, dans une décision du 23 août 2018, a scellé le sort de l’hypothèse du troisième mandat. Cette décision N° 2018-008/DCC/ 23-8/CC/SG est fondée sur un dispositif qui met bien en lumière le « verrou » de l’article 183. Il s’agissait d’un problème lié aux prérogatives du président de l’Assemblée nationale, et le Conseil Constitutionnel a eu recours à l’article 183 pour justifier de la « continuité » constitutionnelle qu’il définit ainsi : « la législation en vigueur en Côte d’Ivoire reste applicable, sauf l’intervention de textes nouveaux, en ce qu’elle n’a rien de contraire à la présente Constitution ».
Ainsi, quand le 5 mars 2020, devant sénateurs et députés exceptionnellement réunis dans le grand amphithéâtre de la Fondation Houphouët-Boigny à Yamoussoukro, ADO a déclaré solennellement : « Tout au long de ma carrière, j’ai toujours accordé une importance particulière au respect de mes engagements. En conséquence, j’ai décidé de ne pas être candidat en 2020 », il est dans le droit fil de sa volonté affichée depuis le referendum et relayée avec force par ses collaborateurs. Cette déclaration va recevoir un écho immédiat du président français, Emmanuel Macron, dans un tweet sans équivoque : « Je salue la décision historique du président Ouattara, homme de parole et homme d’Etat, de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle. Ce soir, la Côte d’Ivoire donne l’exemple »…
Le président français, qui doit supporter l’héritage de soixante ans de Françafrique dans lequel il n’est pas pour grand-chose au regard de l’Histoire, a vu dans cette prise de position du président du pays-phare du pré-carré de la France en Afrique, l’élément-déclencheur d’une « révolution copernicienne » devant conduire à une gestion politique totalement renouvelée et sortir ainsi des systèmes sclérosés des présidences « à vie ».
L’affaire était donc « bouclée, calée »…Mais, le 8 juillet dernier, est survenue la « catastrophe » dans le dispositif imaginé par Ouattara, avec la disparition brutale de son « successeur », le premier ministre Amadou Gon Coulibaly, sans doute victime d’une « surchauffe » imposée par ADO dans l’exécution de son plan minutieusement concocté. Le piège s’est refermé sur lui et, comme souvent dans ce genre de circonstances, il a pris la pire décision qui va lui être fatale.
Envolés les « trois ou quatre noms » qui pouvaient prétendre à lui succéder. Gon parti, tout était dépeuplé.
Il a, alors, non seulement renié sa parole, il ne sera pas le seul dans l’Histoire, il a aussi mis ses alliés dans le plus profond embarras, ce qui s’est également déjà vu ailleurs mais, surtout, il a violé la Constitution ivoirienne alors que son statut de président en fait le garant suprême, trahissant ainsi le peuple ivoirien.
J’ai déjà écrit que cela relevait de la Haute Trahison et que cela ne pourrait jamais être accepté par les Ivoiriens qui ont commencé à se lever pour dire NON à cette imposture finale malgré les risques que l’entêtement du pouvoir fait peser sur les populations. Les sbires d’ADO, eux-mêmes dans l’œil du cyclone dans cette fin de règne qui s’annonce beaucoup moins agréable que la vie de château menée dans le sillage de leur mentor, ont donné la seule réponse dont ils sont capables : la répression sanglante en utilisant des supplétifs dont le surnom de « microbes » démontre clairement que le « Ouattarisme » est une maladie…Et, fait aggravant et particulièrement irresponsable, en tentant de dresser les communautés religieuses et ethniques entre elles.
Mais nous sommes en 2020. Ces basses manœuvres ne sauront prospérer et se retourneront contre leurs initiateurs. Les uns et les autres, de tous bords, ont eu dix longues années pour comprendre que le système « ADO », s’il se prolongeait, allait, tel un cancer métastasé, détruire le tissu social ivoirien. Le temps du sursaut national est venu mais il reste un seul et dernier obstacle : la prise de conscience collective des Ivoiriens que la chute du système est effectivement possible. C’est pour tenter de briser cette prise de conscience que le pouvoir s’agite violemment contre les populations, emprisonne à tour de bras et menace tout le monde.
Cette « politique » qui réussit dans les pires dictatures, ne pourra pas s’imposer en Côte d’Ivoire.
Réfléchissons un peu : une élection est, constitutionnellement, prévue le 31 octobre 2020, mais elle se heurte à des obstacles incommensurables. La liste électorale n’est pas vérifiée, au vrai sens du terme. La Commission Electorale n’est « indépendante » que sur le papier et indexée par la Cour Africaine des Droits de l’Homme est des Peuples (CADHP). Et, problème rédhibitoire, un candidat déclaré est constitutionnellement inéligible !
C’est ce problème qui va bloquer tout le processus si le « candidat » venait à s’entêter au mépris de toutes les règles. Nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans …Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ! Ainsi, le « candidat » ne peut plus invoquer quelque raison que ce soit pour faire volte-face alors qu’il est le maitre d’œuvre d’un dispositif juridique qui l’enchaine aujourd’hui.
Le drame, pour ADO, est que son camp politique, contrairement à toutes ses rodomontades, est réduit à sa plus simple expression. Gon disparu, le RHDP est une coquille vidée de l’essentiel de sa substance qui est redevenu ce qu’a toujours été le RDR depuis qu’il a été confisqué à ses promoteurs, un « club » de soutien sans racines et dont la ligne politique consiste en la distribution ciblée de prébendes en certaines occasions. Disparus avec Gon les autres « noms » auxquels ADO faisait référence au micro de RFI. En effet qui a une stature d’homme d’Etat dans son entourage ? Hamed Bakayoko sur qui pèse des soupçons peu propices à lui assurer une longévité politique suffisante, Adama Bictogo dont tout le monde sait que son potentiel de dirigeant politique est inversement proportionnel à sa capacité de prévarication financière pour laquelle il s’illustre chaque jour ?
Le « bon ton » cher au général Gueï m’interdit de qualifier Kandia Camara ou Kobenan Adjoumani pour ce qu’ils sont en réalité. Ainsi le RHDP-RDR, après dix ans de pouvoir absolu, n’a su, ni conserver ses alliés d’origine, ni préparer l’avenir. Pire son chef s’est personnellement déconsidéré en disant tout et son contraire, dévoilant ainsi sa vraie nature.
Au plan international la « magie » du « Haut Fonctionnaire du FMI » a vécue, fracassée par la gestion « captatrice » du premier cercle du pouvoir et je doute que le slogan « il faut sauver le soldat Ouattara », si, par extraordinaire, il était évoqué soit suivi réellement d’effet…
Enfin, et surtout, il offre une chance historique à la France de prouver au monde entier que la Françafrique a vraiment vécue et qu’en sa qualité reconnue de « patrie des droits de l’Homme », elle ne va pas cautionner cette tentative de « coup d’Etat » comme l’a si bien défini un chef d’Etat africain en stigmatisant cette propension à vouloir faire « un troisième mandat ».
L’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 énonce que « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution »…Le rappeler clairement aux dirigeants ivoiriens aujourd’hui serait un acte « refondateur » d’une relation historique qui doit définitivement changer de paradigme. Les évènements récents au Mali doivent conforter les Ivoiriens : la France n’a plus vocation à intervenir militairement pour « sauver » un régime rejeté par le peuple.
Il ne reste plus que le face-à-face final entre le régime et le peuple. C’est ce dernier qui détient la légitimité et qui peut, même qui doit, la reprendre quand ceux à qui elle l’a confiée n’en sont plus dignes. Alassane Dramane Ouattara se gargarise avec ses partisans d’une victoire « Tako Kélé »… Le peuple ivoirien dit lui répondre que « Tchoko, Tchoko » il devra partir et l’échéance la plus lointaine est désormais le 31 octobre 2020.
C’est toute la Côte d’ivoire qui est dressée pour défendre son Bien Commun, la Constitution. Ce n’est plus une affaire partisane au profit de qui que ce soit mais bien d’un combat légitime, que tous les Ivoiriens responsables souhaitent pacifique, et dont l’issue ne doit pas faire l’ombre d’un doute.
Et, si ADO s’entêtait et s’engageait dans une spirale de violence, l’ombre de la CPI planerait rapidement sur lui et les siens. Mais je ne crois pas à ce scénario du pire car Ouattara n’est, en fait, et selon l’expression imagée de Mao Tsé Toung, qu’un « Tigre de papier » !
Paris le 31 août 2020
Bernard Houdin
N° d’électeur ivoirien :V 0216 8927 49