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APRÈS UN QUART DE SIÈCLE, LES PRÉDICTIONS DE ME AKERE MUNA SE RÉALISENT

Le problème anglophone qui a fini par aboutir à la crise, puis la guerre entre les sécessionnistes et l’armée camerounaise, émanent de plusieurs frustrations. Maître Akere Muna avait pris le soin de tirer la sonnette d’alarme depuis 1995. Mais, le régime de Yaoundé est resté sourd à toutes les revendications de ces citoyens  de ces régions anglophones qui représentent 20% de la population du Cameroun. L’avocat et consultant international avait déjà prédit les velléités d’autonomie. Nous y voilà ! Sa lettre n’a pas pris une ride. Lisez.

« Imagine que tu habites un petit village du Sud Cameroun limitrophe au Gabon. Imagine que le Cameroun soit un Etat dont le quart est francophone et les trois-quarts anglophones.

Imagine que ton village ait voté, en dépit de son affinité avec les Fangs du Gabon et doublé du fait que vous utilisez la même langue, celle du colonisateur, de vous joindre avec le reste du Cameroun.

Imagine qu’après 30 ans vous soyez passé de la République fédérale du Cameroun, à la République Unie du Cameroun pour terminer avec un Etat, la République du « Southern Cameroon » qui se trouve être le nom de l’Etat anglophone avant le processus d’unification.

Imagine ensuite que pendant 30 années le système administratif ait complètement changé, les signalisations routières soient en anglais, tout comme le langage financier, administratif, militaire. Que même les lettres émanant de l’administration centrale de Buea soient en anglais, t’obligeant à engager un traducteur à tes frais.

Imagine qu’à chaque fois qu’il faille harmoniser le système judiciaire ce ne soit que les notions de Common Law qu’on vous impose dans un système basé sur le code Napoléon causant des incompréhensions juridiques. Que la plupart du temps à la Cour Suprême il faille traduire tous vos documents en anglais avant qu’elle ne siège.

Imagine que tu sortes de la case et te voies interpeller par un policier qui ne parle qu’anglais et que le fait que tu insistes à lui parler en français soit dans le dessein de le narguer.

Imagine que tu aies toujours eu un président anglophone, que jamais en 30 ans tu n’aies eu un francophone comme secrétaire général, directeur de Cabinet civil du président de la République, ministre de la Défense, ministre de la Fonction publique, ministre de l’ Information ou de la Communication, ministre du Plan, ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, ministre de l’Education nationale, Secrétaire d’Etat à la Sûreté nationale, Secrétaire d’Etat à la défense chargé de la Gendarmerie nationale, Délégué général à la Sûreté nationale, Directeur général du CENER, Ambassadeur en France, aux Etats-Unis, au Nigeria, ou jamais plus de trois secrétaires généraux dans les ministères et dans les sociétés parapubliques les plus prestigieux.

Imagine que le programme des grandes écoles ne soit traité que par le système britannique, rendant l’accès aux établissements comme Polytechnique et autres, très difficile.

Imagine que ton village ait un gisement important de pétrole et que l’usine de raffinerie ait son quartier à lui, son hôpital, ses résidences, son école, bref tout pour les personnes y travaillant, que la plupart ne soient qu’anglophones, vivant loin de la réalité de ton village.

Imagine que cette raffinerie ait sa dénomination en anglais alors qu’une usine de sucre se trouvant dans une province anglophone se retrouve avec une dénomination en français.

Imagine que dans cette atmosphère votre village n’ait pas fait un pas en trente ans.

Imagine enfin lorsque tu te plains, qu’on te traite de sécessionniste ou d’ennemi dans la maison ou encore mieux on te demande de rentrer chez toi au Gabon.

C’est cela de façon très superficielle le lot quotidien de ton frère anglophone qui après 30 ans se demande, s’il a fait le bon choix puisque ce n’est qu’à lui qu’on avait demandé s’il voulait la réunification avec son frère francophone pendant que celui-ci était en pleine guerre et que le terrorisme battait son plein ; il a réfléchi avec son cœur et les yeux complètement fermés.

Aujourd’hui quand il parle de fédéralisme, il veut seulement pouvoir gérer son village en laissant le reste à un pouvoir central. Il propose la même chose à son à son frère de l’Et qui doit pouvoir bénéficier de tout son bois qu’on coupe sans demander son avis.

Chaque fois qu’un peuple se sent menacé à cause de sa population pour des raisons linguistiques, culturelles, ethniques, ou religieuses, la solution n’a été que l’autonomie et la décentralisation (Bosnie, Afrique du Sud, Tanzanie, Nigéria, Canada, Russie, etc.).

C’est par hasard que le Cameroun est né à Berlin vers la fin du 19ème siècle. C’est aussi par hasard qu’il a été divisé en zone anglophone et francophone. Néanmoins, cette réalité, on doit faire avec, sans nous cacher derrière des pseudo-nationalistes et pseudo-patriotes qui n’ont qu’un effet masturbatoire.

Qui est plus nationaliste et patriotique que qui ? Le Camerounais qui détourne impunément des milliards ou celui qui demande qu’il y ait un débat sur le fédéralisme ?

C’est triste de parler en termes d’anglophone et francophone mais hélas c’est la réalité. Quand on parle des barreaux francophones, de la Francophonie et des associations bâtis uniquement sur la base d’une langue, c’est aussi la réalité.

Les nouveaux billets de Banque viennent d’être émis sur lesquels rien n’est porté en anglais. Est-ce conforme à la constitution ? Les Anglophones se mettent tous à « l’école du QUEBEC

Quand j’ai entendu un leader politique (intellectuel), directeur général d’une Société parapublique dire qu’il fallait qu’il y ait une seule langue nationale qui pouvait être choisie par un vote, j’ai pris la décision d’écrire ces lignes au seuil de l’année 1995. Le pont vers notre avenir est bâti sur des souvenirs du passé. Les cris que nous tentons d’étouffer aujourd’hui reviendront hanter nos nuits. Notre force à nous demeure dans notre diversité et je suis sûr que toute tentative d’affaiblir cette diversité ne peut aller que dans le sens de nous affaiblir.

Bonne et heureuse année 1995.

Me Akere Muna « 

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