Georges Ouegnin a dit : « La seule fois de ma vie où j’ai demandé pardon au Président Bédié, c’était le mardi 21 décembre 1999. Ce jour-là, il était encore le Président de la République de Côte d’Ivoire et je l’ai trouvé dans sa chambre. Il préparait le message qu’il devait adresser le lendemain à la Nation, à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire.
Je me suis mis à genoux, je dis bien, à genoux devant le Président Bédié, il ne peut démentir ce que je dis aujourd’hui.
Je lui ai tenu les pieds, le suppliant presque, pour lui dire : M. le Président, libérez les dirigeants du RDR, Henriette Diabaté, Hamed Bakayoko et tous les autres que vous avez fait emprisonner en novembre 1999, à la suite d’une manifestation organisée pour réclamer des réformes démocratiques en vue des élections de 2000.
Je lui ai dit : faites comme le Président Houphouët-Boigny, profitez de votre passage devant l’Assemblée nationale à l’occasion de votre message à la nation, pour libérer, devant le peuple de Côte d’Ivoire, tous ces dirigeants du RDR. Vous leur diriez, bientôt c’est la fête de noël, bientôt c’est la Tabaski (cette année-là, ces fêtes coïncidaient presque), bientôt, c’est l’an 2000, le nouveau millénaire. Profitez de cela M. le Président et dites-leur, rentrez chez vous, allez retrouver vos familles, on va travailler tous ensemble pour la Côte d’Ivoire, notre patrie commune.
Le Président Bédié m’a dit textuellement : « Non, non, tu vas voir ce que je vais faire… »
Et je lui ai dit, toujours à genoux devant lui : non, M. le Président, votre image est à terre, et en Côte d’Ivoire et à travers le monde ; vous devez vous ressaisir. Franchement, si vous faites ce geste, vous rentrerez dans l’histoire. C’est ce que le Président Houphouët-Boigny a fait quand il a libéré les prisonniers de Yamoussoukro. Il les a amenés à l’Assemblée et il a dit : « nous avons commencé à construire la Côte d’Ivoire, allez, rentrez chez vous et mettez votre pierre dans cette construction… »
Le Président Bédié m’a, de nouveau, répondu : « Oui, oui, tu vas voir mon discours… »
La suite, on la connaît…et je n’en dirai pas plus !
Je reconnais donc que là, je lui ai demandé pardon, Dieu m’en est témoin. Et il est témoin que, en novembre 2011, lorsque je lui ai rendu visite avec toute ma famille, ce n’était pas pour le supplier de faire de ma fille la candidate du PDCI.
Si mes supplications avaient de l’effet sur M. Henri Konan Bédié, il n’y aurait jamais eu le 24 décembre 1999 et la Côte d’Ivoire aurait fait l’économie de toutes les meurtrissures, toutes les haines, toutes les fractures, tout le sang du peuple ivoirien versé inutilement depuis la disparition du père fondateur, Félix Houphouët-Boigny.
Je n’en dirai pas plus… »
Henri Konan Bédié , c’est le dauphin de Félix Houphouët-Boigny, qui inventa la désastreuse « ivoirité », le pluralisme à deux lorsque le Conseil constitutionnel n’avait retenu que deux candidats pour la présidentielle : celle d’Henri Konan Bédié et de Francis Wodié, dans le rôle du traître faire-valoir. Oui, c’est Bédié qui avait tenté de supprimer la démocratie en Côte d’Ivoire en déclarant: « Oui à la démocratie, non à la dictature du désordre, non à la dictature de la rue, non à la chienlit ».
Le 16 octobre, le Front républicain lâcha ses troupes dans tout le pays malgré l’interdiction de manifester. Il y eut trois morts à Korhogo, la « capitale » du Nord et à Duékoué, dans l’Ouest. A Korhogo, l’une des victimes était un militant du PDCI, mort brûlé vif dans l’incendie de sa voiture. Le quartier populaire de Yopougon à Abidjan a lui aussi brûlé de toute part. Véhicules incendiés, autobus saccagés, étals enflammés , etc.
Le président Bédié menaça de recourir à la loi anti-casseurs. Le 20 octobre, Henri Konan Bédié tiendra un dernier discours de campagne électorale appellant ses électeurs à « s’organiser pour protéger les personnes, les bureaux de vote et les urnes ». Le même jour, dans le fief de Gbagbo en pays bété, à Gagnoa, près de 80 personnes, en majorité d’ethnie baoulé, sont chassées de leur campement et se réfugient à la gendarmerie. A une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Gagnoa, au moins dix-huit personnes, dont une majorité d’enfants, auraient été massacrées dans un campement de planteurs, selon l’Agence ivoirienne de Presse (AIP), l’agence gouvernementale officielle. A Odienné, ville située à l’extrême nord-ouest du pays, des manifestants incendient la préfecture. A Abidjan, les locaux du groupe de presse Le Nouvel Horizon, proche du FPI de Gbagbo, sont entièrement détruits par un incendie au cocktail Molotov. A Gagnoa toujours, un lycée et une pharmacie partent en flammes. Plusieurs pays ou ONG comme l’américaine NDI (National democratic Institute for international affairs) quittent le navire et renoncent à observer le déroulement de l’élection.
Le pays est à feu et à sang.
Le plan de Bédié, est d’obtenir le déploiement des militaires auprès du chef d’état-major des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI). Le général Robert Gueï refusera. Le 21 octobre, la veille du scrutin, le général Gueï est placardé comme ministre inutile du Service civique pour avoir demandé au président Bédié des « instructions écrites » avant l’engagement de l’armée dans les opérations de maintien de l’ordre.
Durant le scrutin,deux personnes furent tuées dans des incidents à M’bengué, dans le Nord, et les opérations de vote furent perturbées dans plusieurs villes de province. Alors que tous les observateurs étaient unanimes sur la très faible participation, les résultats officiels avanceront un taux de participation de 56 % et, dont 96,5 % des voix pour Henri Konan Bédié.
Victoire à la soviétique pour Henri Konan Bédié qui, entrera dans l’histoire comme l’inventeur de la xénophobie, de la haine de l’étranger, de la haine de l’autre, le concept de l’ivoirité qui engagea la Côte d’Ivoire à partir de cette élection présidentielle dans une spirale de guerre. Selon un bilan officiel, dix personnes avaient été tuées dans les violences politiques en un mois. En outre, la rivalité historique entre baoulés (ethnie de Bédié et d’Houphouët) et bétés dans le centre-ouest du pays s’était vivement ravivée à l’occasion de ce scrutin et avaient fait 23 morts entre le 20 et le 25 octobre, selon un bilan officiel.
Et dans le lot des personnes arrêtées, Charles Blé, secrétaire-général à l’organisation de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI, officiellement dissoute depuis 1991), Guillaume Soro Kigbafori, à l’époque secrétaire-général de la FESCI, détenus avec six autres camarades à l’école de police d’Abidjan. Guillaume Soro avait été le premier interpellé dès le 27 septembre pour avoir critiqué dans un journal l’interdiction de toute manifestation pendant la période électorale. Tous ces leaders estudiantins furent finalement libérés le 2 décembre. On les retrouvera au devant de la scène en 2002.
Henri Konan Bedié n’a jamais joué un rôle positif pour la réconciliation en Côte d’Ivoire. Il n’est pas prêt à laisser la place à une nouvelle génération.
La Rédaction