BIYA ENGAGE LE BRAS DE FER AVEC LE CARDINAL TUMI SUR LA CRISE ANGLOPHONE
Le ministre de la Communication et porte parole du gouvernement Issa Tchiroma a fait une intervention fracassante sur la chaîne gouvernementale CRTV pour botter en touche les propositions du cardinal Tumi, dont la libération des prisonniers anglophones et le dialogue, en vue de la sortie de la crise.
Le cardinal Tumi tente de remettre le dialogue au cœur de la gestion du conflit qui oppose dans les deux régions anglophones les forces gouvernementales et les séparatistes ambazoniens. Mais les faucons du régime de Yaoundé qui préfèrent faire la guerre, s’investissent à torpiller cette initiative, en traitant l’homme d’église de tous les superlatifs attribués aux terroristes et antipatriotes . Ils sont allés jusqu’à défaire Simon Munzu que le cardinal proposait pour servir de médiateur aux assises qu’il se propose d’organiser à Buéa.
Âgé de près de 88 ans, Christian Tumi, cardinal émérite de l’Église catholique romaine au Cameroun , a toujours été sans concession pour le régime en place. On lui a régulièrement prêté les ambitions de candidater pour challenger le président Biya. Mais il a plutôt répondu qu’un homme de son âge n’avait plus la lucidité et l’énergie de diriger le Cameroun, et a conseillé Paul Biya, 86 ans, à ne plus se représenter. “Je ne suis pas contre la candidature du Chef de l’Etat(Paul Biya). Mais voyez -vous, nous avons presque le même âge, et à cet âge-là, quelque soit son endurance ou sa force physique, on est affaibli. Je ne peux pas faire aujourd’hui ce que je faisais il y’a 20 ans. Quand on est vieux, on peut être de bon conseil, mais on ne peut plus diriger un pays si jeune et si complexe”, avait-il déclaré en 2016.
Chaque mot, chaque prise de position et chaque initiative du cardinal Tumi, font trembler le régime Biya. Son initiative d’organiser les assises pour la crise anglophone est analysée comme un piège contre régime qui redoute qu’au bout du compte, il en ressorte une déclaration de mise en place du fédéralisme à la veille de l’élection présidentielle d’octobre 2018. Voici une analyse que nous avons sélectionnée.
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La Anglophone General Conference (AGC) que le Cardinal Tumi initie à Buéa les 28 et 29 août 2018 ressemble à s’y méprendre à la All Anglophone Conference (AAC) qui s’est tenue dans la même ville en 1993.
Les initiateurs de la AAC étaient à l’époque :
1. Sam Ekontang Elad, Avocat
2. Simon Munzu, Avocat
3. Benjamin Itoe, Magistrat
4. Carlson Anyangwe, Universitaire
La AAC avait rassemblé plus de 5000 personnes à Buéa les 2 et 3 avril 1993, dont John Ngu Foncha et Solomon Tandeng Muna, les deux anciens vice-présidents de la République Fédérale du Cameroun.
L’objectif de l’élite anglophone était, avec cette Conférence, d’harmoniser ses positions politiques dans la perspective des réformes institutionnelles dont le principe avait été arrêté sur le plan national lors de la Conférence Tripartite des mois d’octobre et novembre 1991.
À l’issue de la AAC de 1993, la « Déclaration de Buéa » avait été adoptée et rendue publique.
Sa principale recommandation politique était l’exigence d’un retour à la fédération à deux États.
L’année d’après, du 29 avril au 2 mai 1994, une deuxième AAC s’était tenue cette fois à Bamenda.
À son terme, les organisateurs avaient publié « La Proclamation de Bamenda ». Celle-ci prônait à l’époque la séparation (Option zéro) si le retour à la fédération n’était pas entériné à brève échéance.
Le Southern Cameroon National Council (SCNC) est une émanation de la AAC de Bamenda. Cette organisation est créée à l’époque pour faire du lobbying aux niveaux national et international pour le retour à la fédération. À sa création, elle était présidée par Me Sam Ekontang Elad.
Face au refus que le pouvoir en place oppose à l’époque au retour à la fédération, le SCNC milite par la suite, souvent de façon violente, en faveur de « l’Option zéro ».
Depuis 1997, ses activités sont interdites et réprimées au Cameroun.
L’initiative de la AGC du Cardinal Tumi introduit de facto le sujet de la crise anglophone au cœur de la campagne présidentielle.
Le Cardinal inscrit la conférence anglophone qu’il initie dans la perspective du dialogue national que de nombreuses personnalités nationales et internationales recommandent pour sortir de la crise actuelle.
La conférence anglophone préalable qu’il convoque pour la fin du mois d’août prochain n’est cependant pas conditionnelle à l’organisation effective du dialogue national qu’il souhaite.
Comment s’opposer à cette conférence sans donner l’impression d’être contre le dialogue pour sortir pacifiquement de cette crise meurtrière ?
Si cette conférence anglophone préalable se tient, il est certain, au regard des conclusions des AAC de 1993 (Buéa) et 1994 (Bamenda), que l’exigence du retour à la fédération figurera en bonne place dans les conclusions de la AGC (Buéa).
Cette revendication apparaîtrait alors à l’issue de cette conférence comme une exigence politique commune à l’ensemble de l’élite, voire de la population anglophone.
Dans ces conditions, la AGC va certainement jouer le rôle de rampe de lancement électoral du candidat local qui portera cette exigence politique lors de l’élection présidentielle.
Ainsi, avec l’initiative du Cardinal Tumi, le sujet de la forme de l’État et le clivage sociopolitique anglophone/francophone vont structurer les débats de la prochaine élection présidentielle. Celle-ci pourrait de fait se transformer en un plébiscite hyper-médiatisé sur la forme fédérale ou unitaire de l’État au Cameroun.
En effet, à la différence des AAC de 1993 et 1994, l’audience médiatique de la prochaine AGC sera démultipliée en raison de la conjoncture actuelle de conflit armée et de la perspective de l’élection présidentielle d’octobre prochain.
Par ailleurs, l’accueil de cette initiative par la communauté internationale pourrait être attentive faute d’alternative recevable au conflit meurtrier qui s’enlise en régions anglophones.
Difficile de savoir à l’avance si l’unité nationale au Cameroun va sortir renforcée de ce processus plein d’incertitudes.
Bopika