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CAMEROUN, LE SEUL PAYS AFRICAIN QUI NE FÊTE PAS SON JOUR D’INDÉPENDANCE

« Camerounaises, camerounais, mes chers compatriotes, le Cameroun est libre et indépendant(…)  Nous savons tous qu’il n’y a pas de dignité pour ceux qui attendent tout des ordres. Nous savons que cette indépendance que nous venons d’obtenir ne serait qu’un leurre si nous ne pouvions l’assurer dans la réalité quotidienne. Nous sommes décidés à lui donner une existence qui ne soit pas seulement de façade. Les Nations unies au sein desquelles nous allons prochainement prendre place, ainsi que la France dont l’amitié nous réconforte chaque jour, seront pour nous les guides naturels de nos premiers pas. Nous savons que nous aurons besoin de leur aide. Nous sommes sûrs qu’elle ne sera pas marchandée et qu’elle aura pour unique objet de consolider notre Indépendance et nos libertés « , déclare Ahmadou Ahidjo, le premier Premier ministre, le 1er janvier 1960. Un symbole fort au sujet de ce discours, c’est qu’il a été écrit par un conseiller français.

« Ce qui était alors le Southern Cameroons (et qui sont les deux régions anglophones du Cameroun aujourd’hui) n’était pas compris dans ce nouvel État indépendant.Ce devoir de mémoire est un premier pas vers la solution au conflit anglophone. Alors pensons-y et disons-nous, bonne fête de l’indépendance chers compatriotes de La République du Cameroun !!! » , écrit le journaliste exilé camerounais Michel Biem Tong. Malheureusement, ce jour historique passe sous silence et est travesti par le régime en place.

Thomas Deltombe, journaliste et essayiste français, coauteur de « Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971 », explique que l’administration française de l’époque a réussi « un tour de passe-passe » en octroyant l’indépendance au Cameroun. En pleine guerre de décolonisation avec les indépendantistes de l’UPC dont les leaders tels que Um Nyobe ont payé de leur sang.

En effet, le 13 septembre 1958,  dans une forêt de Sanaga Maritime, dans le sud du Cameroun, Ruben Um Nyobe est abattu par une patrouille française qui le traquait depuis des mois. Le secrétaire général de l’Union des populations du Cameroun (UPC) repérera son fut abattu comme un animal sauvage. Son corps fut traîné jusqu’au chef-lieu de la région, où il fut exhibé, défiguré, profané. « Le Dieu qui s’était trompé » est mort, annoncera triomphalement un tract tiré à des milliers d’exemplaires. Le corps de Ruben Um Nyobe fut coulé dans un bloc de béton .

60 ans après l’indépendance du Cameroun pour laquelle il s’est battu comme Nelson Mandela pour vaincre le régime d’apartheid , le nom de Ruben Um Nyobè est presque interdit  en France et radié des manuels scolaires au Cameroun.

D’une certaine manière, le pouvoir camerounais, et ses parrains français, avaient raison de se méfier du souvenir de celui qui était appelé Mpodol (« celui qui porte la parole des siens », selon la traduction du grand spécialiste de cette phase de la décolonisation camerounaise, Achille Mbembe). Car, comme l’écrivait en 1975 une militante française qui fut une de ces correspondantes régulières à Paris dans les années 1950, « ce leader révolutionnaire avait des qualités humaines hors série, celle que l’on retrouve chez les saints, chez un Gandhi par exemple. L’exemplarité de sa vie, la pureté de ses intentions, le rayonnement de sa personnalité pourraient suffire à perpétuer sa mémoire » . Ruben Um Nyobè était en somme la figure inversée de ceux qui, après sa mort, prirent le pouvoir au Cameroun.

Um Nyobè est né en 1913 près de Boumnyebel (Sanaga Maritime). Le Cameroun est alors une colonie allemande, qui ne deviendra un territoire sous mandat de la Société des nations. C’est pour défendre don objectif, articulant intimement progrès social et économique, indépendance pleine et entière, et réunification des Cameroun britannique et français, qu’Um Nyobè engage toutes ses forces en tant que secrétaire général de l’UPC. Inlassablement, pendant les dix dernières années de sa vie, de 1948 à 1958, il réaffirme ces trois principes sur la tribune des Nations-Unies.

La France va réussir à l’éliminer avec tous ses camarades, y compris ceux qui sont partis en exil, et remettre le pouvoir à des acteurs politiques qui ne nuiraient pas ses  intérêts.

« À partir de 1956, le Cameroun rentre dans une situation de « troubles », comme on dit à l’époque, c’est-à-dire d’une véritable guerre, d’une répression extrêmement féroce des indépendantistes et de toutes les populations qui sont suspectées de soutenir les indépendantistes. Et c’est une guerre extrêmement meurtrière puisqu’on parle de dizaines de milliers de gens qui sont tués, massacrés avec aussi l’utilisation de la torture. Vraiment, c’est une guerre du type de ce qui se passe à la même époque en Algérie. Et le paradoxe d’une certaine façon, c’est que 1960, l’indépendance du Cameroun est en fait une façon pour la France de se libérer du regard international, notamment du regard de l’ONU sur le Cameroun. C’est-à-dire que le Cameroun était un territoire sous tutelle de l’ONU et à partir du moment où le Cameroun devient indépendant, la France sort l’ONU du jeu camerounais, ce qui permet à la France d’intensifier la guerre contre les nationalistes camerounais », déclare Thomas Deltombe sur RFI.

Voilà pourquoi la France qui choisit ses valets à la tête du Cameroun, ne veut pas entendre parler de la guerre horrible d’indépendance  qu’elle a livrée au Cameroun et dont le bilan est estimé à plus de 400 000 morts. Le 1 er janvier 1960, jour d’indépendance du Cameroun, est devenu un jour comme tous les autres. Seuls, quelques journaux, à  l’instar du site en ligne Actucameroun,  ont fait quelques articles:

« Devenu un jour ordinaire dans le pays, le 1er janvier représente le jour de l’indépendance de la partie du Cameroun sous colonisation française jusqu’en 1960, la République étant proclamée en mars suivant dans cette partie orientale du territoire. Ahmadou Ahidjo, jusque-là Premier ministre, en deviendra le premier président en mai suivant.

Dans le Cameroun occidental, alors sous domination britannique, l’indépendance est annoncée le 1er octobre 1961, suivie de fusion des deux Cameroun. En février d’avant, les Nations Unies avaient organisé un plébiscite sur cette zone, dont la partie septentrionale (Northern Cameroons) s’était prononcée en faveur d’un rattachement au Nigeria, alors que le reste (Southern Cameroons) optait pour son rattachement à la République du Cameroun.

Dès octobre 1967, Ahmadou Ahidjo est président fédéral de la République du Cameroun, avec John Ngu Foncha comme vice-président. Le pays est alors composé de deux États fédérés, trois gouvernements, quatre Assemblées et trois organes judiciaires.

La République unie du Cameroun, regroupant les parties anglophone et francophone et qui signe la fin du fédéralisme, sera consacrée le 20 mai 1972 à la suite d’un référendum où le «oui» l’emportera à 99,97%. Cette date, considérée par certains ressortissants des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest comme un «hold-up constitutionnel», correspond pour beaucoup au début des frustrations vécues par les Anglophones, dont certains ont pris les armes depuis plus de 3 ans pour revendiquer la sécession.

 La Constitution du 2 juin 1972 sanctionne la naissance de l’État unitaire, et le 20 mai devient jour de Fête nationale. Le pays est désormais constitué d’un seul État, un seul gouvernement, une seule Assemblée et seul organe judiciaire. Ahmadou Ahidjo, qui en est le président et qui mourra en exil au Sénégal le 30 novembre 1989, démissionnera de ses fonctions le 4 novembre 1982.

Jusque-là Premier ministre, Paul Biya accède à la magistrature suprême le 6 novembre suivant à la suite d’une disposition constitutionnelle. Le 21 janvier 1984, le pays prend la dénomination de République du Cameroun qu’il porte jusqu’à ce jour. », rappelle le site.

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