DÉCRÉPITUDE DU RÉGIME BIYA : CANCER ET IMMENSE SÉPULTURE PUANTE
Par Fridolin NKE
Lorsque des scélérats mettent en œuvre leurs machinations, lorsque des individus assoiffés de sang, de vengeance ou d’opprobre font la loi dans l’espace public, quand de véritables brigands insatiables veulent sévir jusque dans nos cerveaux, quel que soit le prétexte auquel recourt le citoyen ordinaire pour présenter le meilleur visage de son innocence, il sera détruit par la furie meurtrière qui enrage dans le triangle national. Mais l’homme supérieur, Joseph Ngoué nous l’a rappelé dans La Croix du Sud, sait gravir rapidement les marches de l’horreur, du rictus méprisant aux gigantesques holocaustes. Nous vivons dans un régime tyrannique, une tyrannie économiquement stérile, conduite par un Louis-Bonaparte nègre dépourvu d’ambitions pour le peuple qu’il martyrise. Comme son célèbre et triste ancêtre gaulois, il a systématisé les pratiques propres à la tyrannie : « Pour remuseler les intelligences, pour remettre à la chaîne les esprits, esclaves échappés, pour empêcher le passé de disparaître, pour empêcher l’avenir de naître, pour rester les rois, les puissants, les privilégiés, les heureux, tout devint bon, tout devint juste, tout fut légitime ». Les horreurs des années 1848, que Hugo dépeint suite à la prise de pouvoir de Bonaparte, sont aussi notre lot.
Certes, à son époque, le poète a accablé le monarque : « La bassesse de ses vices nuit à la grandeur de ses crimes. […] Louis Bonaparte a fait plus que tuer les personnes, il a amoindri les âmes ; il a rapetissé le cœur du citoyen ». Mais Victor Hugo l’a aussi éduqué : « L’homme une fois déshabillé du succès, le piédestal ôté, la poussière tombée, le clinquant et l’oripeau et le grand sabre détachés, le pauvre petit squelette mis à nu et grelottant, peut-on s’imaginer rien de plus chétif et de plus piteux ? ». Surtout, Hugo nous inspire à présent au travers de ses stupéfiantes intuitions :
« Ayons foi ! affirmons ! l’ironie de soi-même est le commencement de la bassesse. C’est en affirmant qu’on devient bon, c’est en affirmant qu’on devient grand […]
Ayons la foi.
Non, ne nous laissons pas abattre. Désespérer c’est déserter.
Regardons l’avenir » !
Bahebeck,
Prenons nos responsabilités en ces temps fatidiques ! Agissons en tant qu’intellectuels !
La seule question qui devrait retenir notre attention est celle-ci : quelle est la physionomie de notre avenir ? Quel est le traitement à réserver au népotisme, à la malgouvernance et au néocolonialisme ? quels sont les médicaments que nous devrions prendre ?
Puisque vous êtes médecin, je vous invite à vous représenter le néo-colonialisme comme un cancer. À défaut de la chirurgie qui permettrait de retirer définitivement la tumeur (en allant conquérir militairement Paris, Berlin, Bruxelles, Londres, Ottawa, Washington et les grandes métropoles occidentales), le protocole thérapeutique prévoit des alternatives : la radiothérapie et/ou un traitement systémique (la chimiothérapie, les thérapies biologiques ciblées, l’hormonothérapie et l’immunothérapie). Ces familles de traitements du cancer visent à détruire les cellules cancéreuses ou à empêcher leur reproduction. Entraver les processus impliqués dans la multiplication des cellules tumorales au moyen de médicaments anti-angiogéniques (qui assèche les sources d’approvisionnement de la tumeur) en bloquant les récepteurs qui surexpriment la maladie ou en entravant la synthèse de certaines hormones et protéines permet en même temps la dégénération des cellules porteuses d’anomalie moléculaire ciblée et l’activation des cellules immunitaires. Dans tous les cas, l’enjeu est d’arrêter le processus de multiplication de cellules anormales et de détruire les métastases du cancer.
Cette analogie du cancer en rapport avec les problèmes de gouvernance en Afrique permet de comprendre que si les métropoles occidentales incarnent la tumeur, c’est-à-dire le nœud de la pathologie, les métastases du cancer qu’est le néocolonialisme sont les gouvernements autocratiques et liberticides où nous vivons. Il devient dès lors évident que si la malgouvernance locale n’est qu’une métastase, l’enjeu est de la détruire puisqu’elle est l’affluent qui ravitaille le fleuve de la mort de nos pays qu’est le néocolonialisme. En coupant cette source d’approvisionnement, on tuerait du même coup le désordre cellulaire néocolonial en tant que gangrène cancéreuse de nos peuples. Les pouvoirs illégitimes et cancérigènes en place dans nos États disséminent leurs tentacules métastasés dans tous les secteurs de la vie des nations. Comment allons-nous sortir de ce cancer si l’on ne l’assèche pas en amont ? Quel impact aura la lutte théorique contre le Néocolonialisme si les dirigeants sont occupés à acheter les vins à quatre millions de francs coloniaux l’unité, chez les mêmes néo-colons, et si les plus proches collaborateurs du Chef de l’État s’acharnent à nous saigner pour construire des châteaux à Nyom, à Nkoladom, à Nkom Ndamba, à Mvomeka, et partout dans la République vampirisée ?
Mon précieux compère,
Par votre riche culture, le statut de philosophe-médecin vous convient. Dès lors, considérez que les larmes constituent la première maladie que vous devriez guérir. Nous devons donc nous guérir. Chacun de nous devrait se dire, comme le poète :
Je voudrais être foudre
Avoir pouvoir de mettre
L’espoir où manque l’espoir
O Puissant du temps
Que tout respire en elle
Même l’herbe des cimetières.
Se guérir, se retenir devant les traces de la bêtise canonisée, pour sonder le néant envahissant afin d’en cautériser les métastases, voilà le début de l’exercice de la discipline par excellence, la discipline de soi qui est articulée au travail rigoureux d’émancipation de soi. Comme des hallucinés de l’au-delà dont parle Zarathoustra, de Nietzsche, nous devons enseigner à nos compatriotes un vouloir nouveau ; nous devons lancer la flèche de nos bienveillantes illusions par-delà cette humanité neutralisée qui tient lieu de peuple pour le guérir de ses tourments, de ses humiliations et de ses douleurs, et pour mieux la faire renaître. Pour ce faire, il nous faut prêcher. Et pour prêcher ce changement décisif, pour assécher les rivières de souffrances et de sang qui envahissent nos champs, il faut se convaincre, soi-même d’abord, que « la beauté parle à voix basse ; elle ne pénètre que dans les âmes les plus réveillées ».
Notre peuple est dans le désarroi et il se noie dans la désespérance. Comme tout peuple dans les ténèbres où l’a plongé une tyrannie insensée, les nôtres oublient le passé et ne voient que le présent ingrat.
Mon très dévoué inspirateur,
Nous sommes des éveilleurs de conscience. Montons à la conquête de l’avenir par l’exemplarité de nos sacrifices !
Chacun de nous doit inspirer la jeunesse, et devant les jeunes compatriotes que nous rencontrons, ruminons, au quotidien et à leur intention, cette résolution radicale : « L’espoir que vous représentez importe plus que ma personne. S’il fallait que je meure pour qu’il se réalise, je mourrais sans regret ». Or, puisque la canaille n’a pas d’esprit et n’est forte que pour donner du vertige aux âmes, prenons nous-mêmes conscience que nous sommes à la fin de la nuit où est plongé notre peuple depuis plus d’un siècle. Et comme chaque début, chaque fin réquisitionne le Croyant ; elle l’éprouve dans sa foi. À cet égard, Céline a vu juste : « Il faudrait avoir la foi robuste. Tout devient plus tragique et plus irrémédiable à mesure qu’on pénètre davantage dans le Destin de l’Homme, qu’on cesse de l’imaginer pour le vivre tel qu’il est réellement… ».
Mais alors, quelle fin !
Évidemment, la fin où nous sommes embarqués symbolise plus exactement l’obstruction de l’espoir, l’évidence que le commencement avait avorté. Lorsque Michel Henri publiait Le commencement perdu en 1987, il ne s’imaginait pas qu’il prévisualisait ce dont nous rendons compte quarante ans après, à savoir, le déraillement d’un régime pourtant porté en triomphe en 1982 par un peuple meurtri qui sortait d’une tyrannie féroce et en faveur duquel il décidait de tout sacrifier afin que le président Paul Biya le porte au piédestal des nations policées. Malheureusement, Paul Biya finit autiste et méchant : il est depuis des décennies momifié par de vils serviteurs qu’il a cru manipuler durant toute sa vie politique pour se maintenir si longtemps au pouvoir.
Mon Professeur d’ami,
L’État sombre. Il est temps que chaque Camerounais, chaque Camerounais se détermine à contribuer, à son niveau, à la renaissance de la République. Depuis cinquante ans, ceux qui gouvernent ont eu un très long répit ; la providence leur a donné dix mille occasions pour réformer l’État et développer le pays. Malheureusement le résultat de leur gouvernance chaotique est visible : nous sommes à la dérive. Comme le vaisseau de Jean Bodin, la République est à la dérive ; elle plonge inexorablement vers de lugubres abîmes. Comme des prémonitions, les paroles de Bodin, ce penseur éclairé du 16e siècle, s’appliquent à nous : « Car pendant que le navire de notre République avait en poupe le vent agréable, on ne pensait qu’à jouir d’un repos ferme et assuré, avec toutes les farces, momeries, et mascarades que peuvent imaginer les hommes fondus en toutes sortes de plaisirs. Mais depuis que l’orage impétueux a tourmenté le vaisseau de notre [p. 46] République avec une telle violence, que le Patron même et les Pilotes sont comme las et recrus d’un travail continuel, il faut bien que les passagers y prêtent la main, qui aux voiles, qui aux cordages, qui à l’ancre, et ceux à qui la force manquera, qu’ils donnent quelque bon avertissement ou qu’ils présentent leurs vœux et prières à celui qui peut commander aux vents, et apaiser la tempête, puisque tous ensemble courent un même danger ».
Vu la décrépitude de nos États, nous, intellectuels, avons, par conséquent, chacun dans son domaine, le devoir de renifler l’expiration saccadée des imposteurs qui écument l’État, de sonder leurs fantasmes morbides respectifs, en analysant leurs moindres gestes maniaques lorsqu’ils déciment le bonheur et les espérances d’autrui. Car, finalement, nous en avons la preuve, ils ne travaillent pas pour la prospérité de la nation ; ils sont plutôt occupés à effacer méthodiquement toute espérance et l’égalité juridique décrété entre les êtres humains.
Plus que jamais, notre travail doit consister à rendre les citoyens et les Administrateurs plus moraux, et les institutions plus performantes en les mettant à l’épreuve de la critique. En tant que penseurs de la Révolution, nous avons à étudier et à prendre en charge les problèmes critiques qui la justifient. Et qui dit « problèmes » dit « solutions ». Dès lors, il n’y a plus de sujet tabou ; il n’y a plus de sujet intouchable. La pensée de la Révolution, c’est la discipline de la lumière et de la liberté.
C’est pourquoi Nietzsche a écrit un livre intitulé Le crépuscule des idoles. En désacralisant ainsi l’homme d’État, son statut et celui de toute autre divinité deviennent ordinaires, voire dérisoires, par rapport à l’élan déployé par le surhomme, c’est-à-dire chaque être humain qui se détermine à sortir du troupeau des crédules, des fidèles niais, des résignés et des méchants, pour tutoyer les sommets alléchants de la vie. Nul ne devrait, dans ce cas, faire l’objet d’une vénération divine. Marcien Towa dit, d’ailleurs, que la philosophie est sacrilège, pour indiquer que la fonction première du philosophe est de démystifier, de refonder, de hâter la victoire des valeurs éprouvées et des hommes intègres sur les pseudo-valeurs de pacotilles et sur les opportunistes misanthropes. C’est pourquoi, au 18ème siècle, les philosophes ont provoqué la Révolution française dont nous bénéficions des fruits de libertés jusqu’à présent et qui créa l’Etat démocratique sur les cendres de la théocratie.
Grand-frère,
Le philosophe comprend que ce qui appartient au domaine du Secret d’Etat doit rester comme tel, dans l’obscurité, hors de sa vue. Sitôt que les gémissements des victimes débordent la sécurité militaire et que les faits de torture sont établis, cela sort du Secret défense et rentre dans le domaine public, donc objet de débats publics. Les penseurs sont donc moralement obligés d’en parler, de le dénoncer, après avoir fait les enquêtes nécessaires car, comme le dit Hegel, « L’oiseau de Minerve prend son envol à la tombée du jour ». En d’autres termes, le philosophe enquête pour identifier les secteurs de la société qui fonctionnent mal et ceux qui violent la loi. Non seulement ils doivent dénoncer, mais aussi ils doivent contribuer à faire tomber les régimes qui torturent et massacrent les citoyens. L’enjeu est de rendre les institutions plus fluides et plus performantes, et surtout d’aider à redonner toute sa dignité aux fonctions politiques, en dévoilant les ratés du magistère corrompu au travers du bruit médiatique des râles des tortures d’une part, et en les amplifiant jusqu’au Palais de justice, jusqu’à la communauté internationale, d’autre part.
Par notre acharnement à forcer le changement, nous travaillons, en fait, à faire éclore des avenirs plus avenants, puisque nous engageons tous les citoyens dans la tâche titanesque de réparation du système gouvernant en place et de mise en place laborieuse d’un système alternatif davantage performant et productif.
Nous n’avons pas le choix de mener cette révolution dès maintenant. Faire l’école, au niveau où vous et moi sommes parvenus, c’est plus exactement s’engager, à vie, à servir à la réalisation de cette promesse de révolution de son peuple. C’est pourquoi nous refusons qu’au travers de leurs artifices immondes et de leur goût âcre des massacres, les dirigeants actuels fassent de notre pays une immense sépulture puante. Notre office consiste, précisément, à gueuler si fort que nos gueulements réussissent à étouffer dans l’œuf les dégueulements autocratiques qui couvent dans notre histoire fiévreuse. Se constituer le chasseur de la bêtise dans la République, c’est neutraliser les émotions grégaires pour se renflouer des hautes passions qui font l’histoire et qui motivent l’homme d’État. C’est cela, précisément, être Révolutionnaire. Ce n’est pas seulement comprendre et impacter sur les mutations de notre monde, c’est-à-dire penser son temps ; c’est aussi et surtout planer sur la vie, en s’imposant comme devoir suprême la préservation du sacré en toute existence dans le labeur quotidien. Or, mon cher, il y a un préalable pour planer sur la vie :
Il faut comprendre sans effort
Le langage des fleurs
Et des choses muettes
Amplifions donc, au-delà de nos plaies et des scarifications de nos sacrifices inouïs, au cœur de la conjoncture ingrate actuelle, les frémissements de l’éternité, en somme, toutes les vibrations infimes de l’être qui insufflent une énergie nouvelle au cosmos pour conjurer les nuages éphémères du périssable, de l’aliénation, de l’exploitation et du crime.
Bahebeck,
Portons fièrement notre croix, sans préjuger la suite !
NKE Fridolin
Expert en discernement