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DJ ARAFAT, LE SUCCÈS ET LA FIN D’UN ENFANT DE LA RUE

Après avoir eu les hommages dignes d’un chef d’État avec des célébrités du football, du showbiz et des personnalités politiques, la tombe, le cercueil et la dépouille de DJ Arafat sont profanés par ceux-là mêmes qui étaient ses fans, les  » Chinois », ces innombrables enfants de la rue. La star du coupé décalé quitte la terre sur un vrai scandale. Comme il a vécu. Nous vous proposons ici un extrait d’un article publié il y a quelques jours par le club Mediapart.

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Il y avait chez Dj Arafat quelque chose qu’on retrouve fondamentalement dans le coupé décalé, et donc au sein de la jeunesse africaine : la pulsion de mort.  Pulsion de qu’il faut mettre en rapport avec l’environnement, les sociétés africaines.  Cette notion de pulsion de mort dans le coupé décalé ou bien au sein de la jeunesse africaine mériterait d’être davantage explicitée, hélas notre texte deviendrait kilométrique.

Dans une Afrique malade, pillée, traquée militairement, ce n’est pas rien de voir un jeune homme qui abandonne ses études à 14 ans pour se livrer à la rue afin de devenir  Disc Jockey (Dj) dans les boîtes de nuit, sans que la société dans laquelle il vit ne s’en émeuve et le laisse ainsi évoluer, tout gaillardement, dans le non monde de la nuit, véritable trou noir.

Lorsque Dj Arafat décidait d’abandonner l’école pour se lancer dans la « rue », il répondait là à une intuition très forte. Il obéissait à son milieu naturel ou social qui lui informait en silence qu’il perdait son temps à école,qu’il valait mieux, s’il voulait devenir riche et célèbre, se lancer à corps perdu dans le tourbillon de la vie. A 14 ans donc, le jeune Ange Didier Houan traînait dans les boites de nuit. Il racontait lui-même qu’à cet âge, il « baisait » les filles de joie à la rue princesse en payant 1000…2000…5000 Franc Cfa. Ces filles de joie avaient-elles également 14 ans, ou 18… 24.. 35..45…ou plutôt 12 ans voire 10 ans ? Que sont-elles devenues?

Quoi qu’il en soit, ce passé (dé)composé de Dj Arafat, est le présent continu de millions d’enfants en Afrique. Les fameux enfants de la rue sont livrés à eux-mêmes. En Côte d’Ivoire, on les surnomme sans aucun scrupule : « les microbes ». Etymologiquement, « microbe », ça signifie « petite vie ». Effectivement ils ont de « petites vies ». Mais le « microbe » renvoie surtout à tous les êtres vivants qui ne se voient qu’au microscope et qui provoquent des maladies.

En Côte d’Ivoire, les enfants abandonnés, privés de tout amour, de toute éducation, seraient donc les responsables du « mal » être de la société ivoirienne. Cependant, par cette appellation, la société ivoirienne prouve ici son indéfectible attachement à la jungle africaine.

Et Dj Arafat, c’était un peu une sorte de dieu pour les «  microbes », c’était l’un des leurs. D’ailleurs, dans une de ses chansons, il dit clairement : « Avant, j’étais un petit nouchi dans la rue… ». Un nouchi c’est de l’argot ivoirien parlé par les jeunes déscolarisés qu’on retrouve dans les rues d’Abidjan, tantôt en train de se tuer dans les tâches les plus ingrates, tantôt en train de fumer la colle, et aussi, bien souvent, en train d’agresser à la lame ou ou couteau le citoyen ou la citoyenne lambda…Le nouchi c’est donc la langue de ce que les ivoiriens appellent aujourd’hui les « microbes ». Par effet de synecdoque, il désigne également le « délinquant », « l’homme de la rue », le « débrouillard », le « battant ».

Dans une Afrique où l’un des problèmes majeurs est celui de l’éducation de son immense jeunesse, Dj Arafat c’est, avant toute chose, l’éducation-qui-refuse-de-se-faire, ou qui-ne-peut-se-faire…C’est un sinistré-né ! Dj Arafat, c’est l’éducation-qui-refuse ou qui-ne-peut-se-faire au nom des « valeurs » que sont l’argent et la gloire. Et comme, malgré ce manque d’éducation, quelques africains ont quand même réussi à avoir de l’argent , des femmes, des voitures, une notoriété internationale (en Occident), on fait croire aux gens, à toute la jeunesse d’un continent hélas malade, qu’en fait, l’éducation est une option; que ce qui compte, c’est la poursuite des biens matériels,  c’est l’immédiateté, c’est s’affirmer en tant que « mâle ».
Dj Arafat, on le sait, a dû se débrouiller, a dû bagarrer pour pouvoir « exister »… . Il ne pouvait faire que ça, le coupé décalé. Qu’est ce que le coupé décalé? C’est le parti pris de l’ostentation, et donc, par essence vulgaire. Il faut afficher son pouvoir, son argent, ses femmes, sa « grandeur »….Il faut se valoriser comme un produit marchand, comme une chose ayant plein d’attributs, et jamais comme un sujet. Dans le coupé décalé, il faut écraser le faiblard, le looser, le mal sapé, le vaurien. Le coupé décalé chante la vie, mais en vérité, il est surtout porté ou habité par la mort, le culte de la mort. Les rescapés de la vie ont la rage. Ils ont le feu…ils veulent tout brûler. Ils se consument et nous consument. Mais c’est la fête.

Le créateur de ce style musical, lui aussi mort très tôt, à 33 ans, chantait dans une de ses chansons ayant pour titre Héros national (lui bien sûr): « …oui j’aime les jaloux, j’aime les méchants, j’aime les aigris
parce qu’il me permette de me corriger
je suis fort, vraiment fort et très très fort sérieusement
fort. »
Le coupé décalé se veut joyeux et dansant par ses sonorités saccadées, mais il témoigne et caractérise surtout une certaine détresse de la jeunesse africaine dans laquelle l’auteur de ces lignes se reconnaît.

Oui, j’ai suffisamment écouté le coupé décalé, je l’ai suffisamment dansé avec mes camarades de fac, pour pouvoir me faire un avis mature et non moraliste là dessus…un avis indépendant de la pulsion de « bouger » qui m’habite moi-même, à chaque fois que j’entends un rythme de coupé-décalé ou de dancehall.

Dans cette Afrique qui sombre, dans cette pauvre et malheureuse Afrique, n’importe qui, qui parvient à paraître, à s’enrichir, à se hisser tel un phallus, à mimer le bonheur, à singer le « blanc » devient une valeur, un héros, une idole, une icône, un démiurge.
L’Afrique, c’est bel et bien une jungle. Jungle des temps modernes. Jungle du village planétaire. Jungle dans laquelle, sans aucune surprise, « les plus forts » massacrent, déchiquettent « les plus faibles ».

Mais bon, les esprits les plus alertes pourront toujours m’objecter que c’est le cas partout dans le monde. Ce n’est pas faux ! Ce qui n’en fait pas moins de la jungle africaine une jungle unique et archi-triste en son genre.
La musique urbaine en Afrique n’est que la magnificence de l’esprit de la jungle, la négation de l’être, la célébration du culte du paraître, avec des codes visuels, gestuels, langagiers venus d’Occident, des Etats-Unis d’Amérique. En parlant de l’Afrique, lorsqu’on veut la peindre en noir, c’est-à-dire telle quelle, d’ordinaire, on ne regarde que ces impotents dirigeants qu’on qualifie très maladroitement de « dictateur ». Nul ne songe à regarder de très près tout ce qui est « production culturelle ». Et pourtant, le désastre de l’Afrique, ce n’est pas seulement les élections truquées et les dirigeants qui s’éternisent au pouvoir….le désastre de l’Afrique, on peut également l’entrevoir dans ses « productions culturelles » les plus en vue, les plus en vogue, les plus occidentalo-compatibles.

Dans cette jungle africaine, Il y a ceux et celles qui ont le droit de vivre, y compris de vivre tout en jouant avec la mort, et d’autres qui n’ont pas le droit de vivre, et lorsqu’ils tentent désespérément de vivre, ils meurent en silence et nul n’en parle. Mais pour ceux-là qui ont le droit de vivre, il faut toujours que la terre entière s’arrête de tourner parce qu’ils ont eu un bobo ou un malheur plus grand. Ainsi, constate la place marginale, insignifiante de cette journaliste de la RTI, doublement victime de l’irresponsabilité du motard Dj Arafat et du gouvernement ivoirien, lequel n’a pris aucune mesure significative visant à améliorer la sécurité et la responsabilité des usagers de la route.

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