LA COUR CONSTITUTIONNELLE ANNULE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE UN AN APRÈS LA RÉÉLECTION DU PRÉSIDENT SORTANT
C’est un vrai tremblement de terre qui vient de se produire en Afrique et qui agite tous les milieux diplomatiques. La Cour constitutionnelle du Malawi a annulé lundi la réélection du président sortant Peter Mutharika en mai 2019, ordonnant l’organisation d’un nouveau scrutin présidentiel dans les cinq mois.
«Nous considérons que» Peter Mutharika «n’a pas été dûment élu le 21 mai 2019. En conséquence, nous annulons les résultats de l’élection présidentielle», a décidé la Cour dans un jugement de 500 pages, ordonnant l’organisation d’un nouveau scrutin présidentiel dans un délai de cinq mois.
Elle a conclu que des responsables électoraux avaient utilisé du fluide correcteur blanc pour falsifier des votes, ce qui est «injustifiable» et constitue «une irrégularité». Et, selon elle, un quart seulement des procès-verbaux du vote a été vérifié, «un sérieux manquement qui porte atteinte aux élections».
Peter Mutharika, au pouvoir depuis 2014, avait été réélu en 2019 avec 38,57% des suffrages, selon la Commission électorale, devant le principal représentant de l’opposition, Lazarus Chakwera (35,41%). Seulement 159.000 voix les séparaient. Chakwera et Saulos Chilima, arrivé troisième, avaient immédiatement dénoncé des fraudes dont un nombre, à leurs yeux anormalement élevé, de procès-verbaux de dépouillement raturés.
Ils avaient saisi la Cour constitutionnelle pour obtenir l’annulation de la présidentielle. Le camp du vainqueur a nié toute fraude. Le chef des observateurs de l’Union européenne Mark Stephens avait souligné peu après le scrutin que «beaucoup d’erreurs avaient été commises pendant le décompte».
Le Malawi attendait avec impatience le jugement, d’autant plus qu’il a connu ces derniers mois de nombreuses manifestations de l’opposition, émaillées de violences avec les forces de sécurité.
Ces dernières étaient mobilisées lundi pour éviter tout dérapage, notamment à proximité de la Cour constitutionnelle à Lilongwe. Un hélicoptère de l’armée a survolé le bâtiment ainsi que le quartier des affaires, et les juges ont été transportés dans un véhicule blindé.
L’opposition et la communauté internationale avaient appelé au calme. Le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres a exhorté la population du Malawi à «continuer de maintenir l’Etat de droit et de promouvoir la paix, l’unité et la stabilité».
Le principal parti d’opposition, le Malawi Congress Party, s’est félicité «d’un jugement très équitable à la lumière des preuves que nous avons fournies à la Cour», a déclaré Eisenhower Mkaka, porte-parole du parti. «Cela prouve ce que nous avions dit, à savoir que les élections avaient été entachées de fraudes».
Saulos Chilima a de son côté appelé «le vaincu à accepter sa défaite avec humilité». La Coalition des défenseurs des droits de l’homme (HRDC), à l’origine des manifestations de ces derniers mois, s’est jointe à ces appels, estimant qu’on «ne pouvait pas autoriser ceux qui vont se sentir floués à semer la pagaille».
Le jugement de la Cour constitue un «moment clé de l’histoire du Malawi», ont souligné l’Union européenne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.
Le haut responsable du département d’Etat américain chargé de l’Afrique, Tibor Nagy, a appelé la population à «respecter la décision de la Cour» et à «suivre le chemin tracé par la Constitution du Malawi et les lois électorales».
De son côté, l’Union européenne a fait savoir dans un communiqué qu’elle se tenait «prête à accompagner le Malawi à l’avenir afin de préserver l’unité et les valeurs démocratiques du pays».
Les invalidations d’élection sont rarissimes en Afrique. En 2017, la Cour suprême du Kenya a invalidé pour «irrégularités» la réélection du président Uhuru Kenyatta et ordonné l’organisation d’un nouveau scrutin dans les deux mois, une première sur le continent.
Les Malawites ne s’y sont pas trompés. Pendant des mois, ils ont suivi attentivement les audiences de la Cour constitutionnelle, retransmises pour la première fois en direct et en intégralité par les radios privées. «Cette affaire a réveillé le Malawi», s’est réjoui Chatonda Jembe, un employé. Les partis «savent désormais qu’ils ne peuvent plus nous rouler dans la farine».
Si la Cour constitutionnelle a pu rendre ce jugement, c’est parce qu’elle n’est pas sous la férule du pouvoir exécutif. Dans les pays anglo-saxons, la justice est indépendante, contrairement aux pays francophones où elle est manipulée par le pouvoir en place. On a pu le constater dans le cas de la Cour constitutionnelle du Cameroun qui a jugé toutes les requêtes de l’opposant Maurice Kamto 《 irrecevables》.