LA FILLE DE VICTOR FOTSO DÉBALLE: » LES VAUTOURS MANGENT LA DÉPOUILLE DE MON PÈRE «
Victor Fotso était un self made man dont le parcours devrait figurer dans les livres d’histoire. Analphabète, il s’est bâti un empire sur des chantiers serpentés où il a fallu de la volonté, de l’audace, de l’intelligence. Il a tout ce qu’ il a récolté à la sueur de son front à la postérité.
La seule chose dont rêvait le milliardaire camerounais Victor Fotso, était d’effectuer son dernier voyage en toute tranquillité, sans jet privé . La seule chose qu’il recommandait à ses héritiers était de lui organiser des obsèques dignes d’un vaillant patriarche Bamiléké, honoré comme l’ancien président français Jacques Chirac, dont la vie privée n’était pourtant pas exemplaire. Helas, mille fois hélas, les obsèques de ce grand bâtisseur ont tourné en querelles de chiffonniers devant le monde entier. Et c’est loin d’être terminé. Christelle Nadia Fotso, avocate et fille de l’homme d’affaires qui avait déjà tiré des sonnettes d’alertes, a refait une sortie au vitriol pour dénoncer ce qu’elle qualifie de » fin immonde » de son père. Ci- dessous l’intégralité.
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« Chacun de nous a un jour, plus ou moins lointain, où il doit enfin accepter d’être un homme. » Jean Anouilh
Victor Fotso est mort il y a un peu plus de trois mois. Il n’a été enterré que le 20 juin… Il n’aura fallu que ce temps pour salir le Dernier Bamiléké. C’est d’abord et surtout de cela dont il est question, de la femme, de l’homme africains et de tous les efforts pour les réduire à des êtres en soi, des créatures exotiques et montrer qu’ils ne sont jamais entrés dans l’histoire. Les erreurs, les échecs, et la chute sont toujours plus médiatisés que ce qu’ils construisent. Sur un continent où l’espérance de vie est limitée, mon père a bâti un empire sans savoir lire ou écrire en partant de rien. En dépit de cette réussite miraculeuse et incontestable, il peut être cyniquement réduit à un piètre parent en usant de sa famille pour le vulgariser.
La fin de mon père a été immonde. Il n’est plus utile d’être explicite. Je l’ai écrit et crié lorsqu’il était vivant. Rien n’a changé… Personne ne m’a entendue. Personne ne voulait savoir. Cela aurait signifié ouvrir les yeux et cesser de manger. Cependant, il est indispensable de rappeler certains faits têtus pour comprendre combien parler du crépuscule des Fotso est presque autant grotesque et insultant qu’anhistorique et hors sujet.
Il n’y avait qu’un Fotso, mon père. C’est lui et lui seul qui a fait notre nom et qui n’avait pas à user d’un prénom. En vain, il a voulu porter ses enfants, son village, et son prochain. Il ne voulait pas réussir seul. Sa conviction profonde et inébranlable était que partager était son devoir. Le rendre coupable de la normalité banale des siens qui se transforme hélas fréquemment en médiocrité ou en obscénité est sans doute rentable mais n’en demeure pas moins abominable.
Comme toujours, il m’avait prévenue en m’affirmant que personne ne m’aiderait et que surtout que personne ne l’aiderait lui en refusant de voir ce qu’il m’a fallu trop de temps pour admettre : il était vulnérable en dépit son aura et de son apparente virilité. Je ne m’en remettrai jamais…
L’honneur de ma vie a été d’être la fille de Victor Fotso. Mieux que personne, je sais qu’il n’était pas parfait. Toutefois, je comprends qu’il n’avait pas à l’être en réalisant chaque jour combien il faut être extraordinaire pour prendre le chemin de hiala en ayant l’audace de penser qu’on peut devenir Victor Fotso alors qu’on est né à une époque où la vie de boy était la norme pour tout indigène illettré.
Ce qui est écrit sur mon père pour vendre en Kardashianisant sa vie privée me rappelle le débat aux Etats-Unis et ailleurs depuis la mort de George Floyd sur l’image des noirs et cette volonté obsessive qu’ont nos sociétés de ne rien leur passer. Beaucoup des articles écrits sur mon père sans investigation me rappellent ce qu’a pu dire Eric Zemmour sur Floyd en parlant de son casier judiciaire pour arguer implicitement qu’il ne pouvait être ni victime ni héros. A mon père, il est reproché de ne pas avoir réussi également sa vie privée en scandaleusement laissant croire qu’il devait tout réussir pour être honoré et ne pas être souillé durant au moins la sacrée saison du deuil.
Mon combat est celui d’une fille qui refuse qu’on piétine la mémoire d’un homme qui a fait, jusqu’au bout, l’effort d’être exemplaire, de ne pas s’exhiber et de ne pas mettre en scène son intimité. Face aux chiens qui se ruent sur son honneur, face aux vautours qui mangent sa dépouille, je choisis de mettre la lumière où elle doit rester, son parcours. En dépit de ma douleur et de ma colère, je tâcherai de prendre la hauteur qu’il faut pour lui rendre hommage en rappelant combien il était difficile de devenir et de rester aussi longtemps Fotso ! La vie de mon père, du Patriarche Fotso a été trop exceptionnelle pour s’arrêter à une tragédie. Il a montré l’exemple et il est grand temps que nous le suivons. Je fais le premier pas, conscient qu’il n’est pas le plus important. La restauration de l’honneur de Fotso nous concerne tous. C’est de nos valeurs, de notre histoire et de notre avenir commun dont il est question.
Elle sera suivie d’une messe publique à l’Eglise Saint Sulpice. Puis le 24 octobre à la Cathédrale Saints Michel et Gudule de Bruxelles se tiendra une messe publique suivie le lendemain par une conférence au Musée de l’Afrique Centrale de Tervuren.
En conviant ses amis, ses proches, ses pairs, la diaspora africaine, tous ceux qui ont admiré et aimé Victor Fotso à ces événements, je les prie de faire de la célébration de sa mémoire et de la restauration de son honneur une cause commune. Mon père n’appartenait pas qu’à sa famille mais à toute l’Afrique et l’humanité. Parce qu’il était le Dernier Bamiléké, il s’agira également d’honorer sa génération, ce groupe d’africains hors du commun, qui a construit le jeune continent et donc oui fait l’histoire. Cela sera une occasion unique de les saluer et de permettre que ceux qui continuent ce qu’ils ont commencé n’aient plus à porter ce fardeau sisyphien de la pureté qui mène tragiquement, inutilement à des morts ratées après des vies pourtant rigoureusement construites et brillamment réussies