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LA RUSSIE ET LES ÉTATS-UNIS SE JOUENT DE PAUL BIYA

Par Michel Biem Tong, journaliste web en exil

Il est illusoire de crier victoire après avoir entendu le secrétaire d’Etat américain aux affaires africaines, Tibor Nagy, dire ce 5 mars 2020 à Washington face aux hommes de médias, que « nous soutenons un Cameroun unifié ! », laissant de côté la partie de la déclaration qui en est en réalité le cœur. Il est tout aussi naïf de penser que parce que l’ambassadeur de Russie au Cameroun, Anatolyi Bashkine, a déclaré ce même 5 mars 2020 au sortir d’une audience avec le ministre des Relations Extérieures, Lejeune Mbella Mbella, que : « nous sommes contre toute ingérence et initiative d’intervention au Cameroun » que le véto de la Russie au Conseil de sécurité est garanti au régime de Yaoundé contre toute intervention de l’ONU au Southern Cameroons (nord-ouest et sud-ouest du Cameroun). Erreur !

LA RUSSIE PRIVILEGIE LE MOYEN-ORIENT ET S’EN FOUT DE L’AFRIQUE

Quand en 2011, l’Organisation pour le traité de l’Atlantique Nord (OTAN) lance une offensive militaire en Libye contre l’armée de Mouamar Kaddafi, le président russe de l’époque, Dimitri Medvedev (imposé par Vladimir Poutine, alors Premier Ministre) est vivement opposé à cette intervention militaire. Mais Moscou a fini non seulement par soutenir le départ de Kadhafi mais aussi par reconnaître le Conseil national de transition comme autorité légitime en Lybie. Pourtant, Mouammar Kadhafi était un important allié de l’Union des républiques socialistes soviétiques (dont faisait partie la Russie) pendant la guerre froide (1947-1989). Pourtant, la Russie, à travers le groupe pétrolier Tatneft, disposait de gros contrats d’exploration pétrolière en Lybie. Mais cela n’a pas empêché la Russie de suspendre la livraison des armes à la Libye pendant la guerre civile de 2011 et de s’abstenir de tout véto au Conseil de sécurité contre la résolution 1973 de l’ONU pour une intervention militaire en Libye.

Que les supporters du régime Biya ne se réjouissent donc pas trop vite suite aux propos de l’ambassadeur de Russie au Cameroun. Qu’ils ne pensent pas non plus que la Russie leur sera d’un quelconque soutien parce qu’elle assure la réhabilitation de la Société nationale de raffinage (SONARA) à Limbé. Il suffit juste que les Etats-Unis lui garantissent la préservation de ses intérêts dans cette zone et le tour est joué. La Russie s’abstiendra de tout droit de véto au Conseil de sécurité en cas d’intervention militaire comme dans le cas libyen. Surtout qu’avec le massacre de Ngarbuh, la France ne semble plus à même d’apporter son soutien à Yaoundé sur le dossier ambazonien.

Rappelons que seul le Moyen-Orient préoccupe Moscou et non l’Afrique où il ne dispose pas d’intérêts colossaux. La Russie soutient Bachar el Assad en Syrie contre les rebelles et les groupes terroristes de l’Etat islamique, en fournissant des armes à son régime. La Syrie est liée à la Russie par un accord secret depuis plus de 50 ans et la Syrie abrite des importantes bases navale et aérienne russes qui permettent à Moscou de contrôler le Moyen-Orient. La Russie s’impose en Syrie afin de bloquer le projet de gazoduc du Qatar ainsi que de contenir la montée du djihadisme qui affecterait son territoire et surtout l’exportation de son pétrole et de son gaz dans tout le Moyen-Orient.

LES ETATS-UNIS SOUTIENNENT L’INDEPENDANCE DES ANGLOPHONES DEPUIS LES ANNEES 1950

Que ceux qui pensent que Biya c’est Al Assad se ravisent également très vite. Si les Occidentaux font bloc pour intervenir militairement et soutenir l’indépendance du Southern Cameroons aka Ambazonia, la Russie va juste s’abstenir de véto comme en Lybie si ses intérêts sont garantis. Que les Biyalâtres arrêtent également de parler de victoire diplomatique car les Etats-Unis ont toujours soutenu l’indépendance du Southern Cameroons devenu depuis les années 1950. En effet, le pays de l’Oncle Sam fait partie des 64 pays qui, lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 19 avril 1961, ont voté en faveur de l’indépendance du Southern Cameroons. Ainsi, si d’après Tibor Nagy, le Monsieur Afrique du Département d’Etat américain, les Etats-Unis soutiennent un Cameroun unifié, il n’en demeure pas moins que le diplomate américain est favorable à un « véritable processus de paix », c’est-à-dire à des négociations entre les indépendantistes anglophones et le pouvoir de Yaoundé au cours de laquelle la séparation du Southern Cameroons d’avec la République du Cameroun sera débattue.

Que les supporters du régime de Yaoundé ne jubilent pas encore. Car l’indépendance du Southern Cameroons (qui est une réalité dans les archives des Nations Unies depuis le 1er octobre 1961) et sa reconnaissance en tant qu’Etat membre des Nations Unies dépendent non pas du Conseil de Sécurité où le Cameroun lorgne un droit de véto, mais au niveau de l’Assemblée Générale des Nations Unies qui comptent 193 membres. Ici, pas de veto, seul le vote de la majorité suffit pour qu’une résolution soit adoptée. Même pour saisir la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes perpétrés par le pouvoir Biya dans le Cameroun anglophone, il suffit juste d’un vote de la majorité des membres permanents et non-permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies et l’action publique se déclenche.

Après une Russie peu sûre et des Etats-Unis qui ne rassurent point, il ne reste plus que la Chine. Mais cette dernière aussi pourrait s’abstenir de véto comme en Libye. Surtout que tous les marchés et autres contrats raflés par l’Empire du Milieu se trouve majoritairement dans le Cameroun francophone. Alors il est important que les soutiens inconditionnels du régime Biya nous expliquent ce qu’ils entendent par victoire diplomatique.

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