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LE JOUR OÙ LAPIRO ET BEN DECCA ONT ÉCHAPPÉ AU LYNCHAGE POUR AVOIR RETOURNÉ LA VESTE

Nous sommes en pleines villes mortes à Douala en 1991. Ce matin là, l’artiste musicien Ben Decca arrive en catastrophe dans une imprimerie située au quartier Grand Moulin, en face de l’ancien Collège du Levant. Il vient faire imprimer des tracts pour se désolidariser du concert programmé en début de soirée ce même jour par Lapiro De Mbanga (RIP) contre les villes mortes. Car Lapiro avait annoncé Ben Decca comme guest star de ce concert qu’il organisait pour demander à l’opposition de mettre fin aux villes mortes. Cette annonce avait perturbé le sommeil au domicile des Decca toute la nuit, à cause des projectiles que des jeunes « combattants » en colère lançaient sur le toit de leur maison, traitant Ben Decca de traitre.

Le patron de l’imprimerie ordonne l’impression en urgence de 10 000 tracts que Ben Decca et l’équipe qui l’accompagnait allaient distribuer à travers la ville de Douala pour « enlever son nom » de cette initiative suicidaire de Lapiro de Mbanga. Et en une heure environ, le travail était achevé.

Vers la fin de l’après-midi, la salle des fêtes d’Akwa où devait se dérouler le concert est noire de monde. Quand Lapiro fait son apparition et confirme les propos qu’il avait tenu à la télévision publique nationale pour marquer son opposition aux villes mortes, le public, constitué en majorité de jeunes qui avaient vu Lapiro sillonner la ville pour leur demander de tenir bon parce que la victoire était proche, se disent : « donc l’affaire-ci est vraie ! ». En fait, beaucoup d’entre eux avaient pensé que la télévision nationale avait fait un montage truqué pour faire tenir à Lapiro des propos contraires à leur combat commun, ou alors qu’il s’était exprimé ainsi parce qu’il avait un fusil pointé sur lui.

En un quart de tour, les parpaings qu’un papa habitant en face de la salle des fêtes d’Akwa faisait certainement frapper pour une construction à venir on tous disparu, cassés par des jeunes en furie qui en ont fait des projectiles destinés à Lapiro. C’est Ndoumbe Le Morguier qui exfiltre Lapiro du lieu du concert, et à bord d’une voiture, ils prennent la direction de Mobil Bonakouamouang. Mais une horde de « combattants » avait barré ce carrefour et la voiture qui transportait Lapiro et Ndoumbe Le Morguier était obligée de s’arrêter au bas de l’immeuble qui abritait les bureaux de SITABAC à l’époque. Ndoumbe porte Lapiro et ils entrent se réfugier dans cet immeuble. Les gardiens ont juste le temps de fermer l’entrée, mais toutes les vitres de la devanture, du rez-de-chaussée au dernier étage sont cassées par des jets de projectiles.

Les jeunes « combattants » décident de camper devant cet immeuble pour attendre la sortie de Lapiro. Sur ces entrefaites, un véhicule Suzuki de DHL vient livrer des colis à SITABAC. Il est demandé à l’agent de DHL de partir rapidement, mais il s’entête à vouloir faire son travail. Le véhicule DHL est retourné et brûlé avec tout son contenu.

Les tracts de Ben Decca avaient porté, puisque les manifestants ne semblaient plus lui en vouloir. Car il lui avait été promis un lynchage en règle s’il prenait part à ce concert considéré comme un acte de trahison, avec en prime l’incendie de la maison des Decca à Deïdo. D’ailleurs l’immeuble SITABAC ne sera pas incendié grâce à l’intervention des forces de l’ordre qui sont venues disperser la foule en usant de gaz lacrymogènes et des eaux du célèbre camion anti-émeutes « mamy wata ».

Quand des communicants du pouvoir et leurs alliés (anciens et nouveaux) citent aujourd’hui les villes mortes en exemple de contestation pacifique et leurs organisateurs en exemples d’opposant « responsables », c’est du révisionnisme.

Charles MONGUE-MOUYEME

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