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LE JOUR OÙ LE PRÉSIDENT AHIDJO RENVERSA UN JOURNALISTE PAR UNE GIFLE

Par ENOH MEYOMESSE

La 7ème Coupe des Nations de Football s’était déroulée à Khartoum au Soudan en 1970. A la fin de celle-ci, il avait été demandé aux différentes délégations de désigner le pays hôte de la 8ème édition. La délégation camerounaise était conduite par Mbombo Njoya, Vice-Ministre de la Jeunesse et des Sports, secondé par Sollo Lucien, directeur de la Jeunesse et des Sports.

Aucune délégation ne se proposant d’accueillir la prochaine édition, celle du Cameroun, se basant sur l’organisation réussie de la Coupe des Tropiques quelques années auparavant, avait décidé de lever la main, pour le compte du Cameroun, comme organisateur de la 8ème CAN. Applaudissements nourris dans la salle. Mais, à Yaoundé, colère d’Ahmadou Ahidjo, une fois au courant du fait accompli devant lequel l’avaient placé Mbombo Noya et Sollo Lucien. Il n’en voulait pas, tout simplement. Les deux protagonistes seront de ce fait limogés de leurs postes respectifs. Mbombo Njoya quittera le gouvernement, et Sollo Lucien, la direction de la Jeunesse et des Sports.

Pourquoi le courroux d’Ahidjo ? Le financement. Où trouver l’argent nécessaire à l’organisation d’un tel événement ? Le Cameroun ne disposait nullement de stades à la hauteur d’une telle compétition. Déjà, la Coupe des Tropiques avait quelque peu été bricolée. Elle s’était déroulée au stade de l’Hippodrome qui, fait encore plus grave, venait d’être détruit. Les sports en salle s’étaient déroulés au gymnase du Lycée Leclerc, que récupérera plus tard et définitivement l’INJS.

D’autres compétitions avaient lieu au Centre de Jeunesse de Madagascar, aujourd’hui détruit, et au Camp de l’Unité dans le centre-ville pour la boxe. Le stade d’Akwa à Douala non plus ne faisait l’af-faire. Il fallait construire deux nouveaux stades pour accueillir l’événement tout juste deux années plus tard.

Jusqu’en décembre 1970, aucun sou n’était disponible. Janvier, février, mars, avril, mai 1971, toujours rien. La Confédération Africaine de Football a commencé à menacer le Cameroun de retrait de l’organisation de la manifestation et de désignation d’un autre pays. Dilemme. Que faire ? Finalement, vers le mois de juin, Ahidjo décide de puiser dans la Caisse de Stabilisation du Cacao, ancêtre de l’ONCPB. C’était la seule solution.

La construction des deux stades devant abriter la compétition à Yaoundé et à Douala, peut enfin être entamée. Les premiers coups de pioches seront effectués dès le mois de juillet 1971, soit à moins de cinq mois seulement de la compétition. Un véritable marathon s’engage alors. On travaille non-stop, nuit et jour. Le stade de Yaoundé en fait les frais. La tribune présidentielle prévue dans les plans initiaux pour être située dos au soleil l’après-midi, est déplacée de l’autre côté, et se retrouve plutôt face au soleil.

C’était ça, ou rien. S’il fallait qu’elle soit construite selon le plan originel, il aurait fallu attendre le mois de mars, le temps que les gradins servant à son support sèchent. Or, en la plaçant là où elle se trouve actuellement, elle bénéficiait d’une roche en dessous du stade, et sur laquelle il était possible de fixer directement ses pylônes. C’est ce qui a été fait. Conséquence, il n’est guère possible d’y livrer un match à 14h. Il faut attendre 15h, voir 16h, que le soleil commence à décliner à l’horizon.

Finalement, le stade omnisport de Yaoundé est inauguré à quelques jours du début de la compétition. J’y ai assisté. Le Président Ahidjo était venu. Il y avait eu des « mouvements d’ensemble », c’est-à-dire des chorégraphies à la chinoise, des centaines de gosses sur l’aire de jeu en train d’exécuter des mouvements cadencés. ( ) Il y avait également eu des feux d’artifices. C’était la première fois qu’en voyaient de très nombreux Camerounais. Enfin, il y avait eu des démonstrations d’acrobatie de la part d’un cadre de la Jeunesse et Sports que je connaissais bien, M. Bidjang. Il avait énormément émerveillé le public. Le Président Ahidjo avait applaudi à se rompre les mains.

En vue de l’événement, le Cameroun avait connu sa toute première « journée continue ». Il avait été décrété que le travail commencerait à 7h :30, pour s’achever à 14h :30, afin de permettre à la population de se rendre aux deux stades de la compétition, Yaoundé et Douala, ou de suivre son déroulement à la radio.

Yaoundé avait été inondé de monde. Des journalistes étaient venus en grand nombre d’Afrique, mais aussi d’Europe. On les rencontrait partout en ville avec leurs gros appareils photo. Les supporters des délégations également étaient venus nombreux. Les équipes avaient été logées dans différents hôtels de la ville. Le seul dont je me souvienne encore parfaitement, c’est l’Hôtel Impérial, aujourd’hui Prestige Hôtel, en face du Mess des officiers, car nous habitions la Vallée de la mort. Il avait été attribué à la délégation malienne. Et à l’équipe, il avait été aménagé une aire d’entraînement au quartier Anguissa, à l’époque un village, et qui a gardé pour appellation à cet effet : « Stade malien ». Je crois aussi que les Zaïrois devaient être logés à l’hôtel Casino, aujourd’hui disparu. Il se situait en face de la boulangerie Acropole à Yaoundé, sur la rue perpendiculaire qui conduit à Nkolndongo.

Lors de cette CAN, il n’y avait eu que huit équipes : le Cameroun, le Togo, le Maroc, le Kenya, le Congo-Brazzaville, la Guinée Conakry, le Mali, et le Zaïre. Le Mali était alors à l’époque une équipe très en forme avec son talentueux joueur Salif Keïta, autrement appelé « Domingo ». De très nombreux jeunes Camerounais avaient repris ce surnom à leur compte.

L’équipe nationale du Cameroun n’était pas au meilleur de sa forme. Néanmoins, nous comptions sur quelques joueurs importants tels que Tokoto Jean-Pierre, Léa Eyoum, Nlend, Mvé Emmanuel, ou encore Yebga Joseph, qui jouait à l’époque dans le championnat français. Il était perçu comme notre Eto’o Fils de l’époque. Lorsqu’il était arrivé à l’aéroport de Yaoundé en provenance de France, quelques jours avant le début de la CAN, Radio-Cameroun en avait fait grand bruit. Il avait eu droit à tout un reportage au cours du journal parlé de 20h. Il nous avait garanti la victoire du Cameroun à la fin de la coupe. Le lendemain, il avait fait la une de la presse, notamment d’un journal sportif qui paraissait à Douala : Courrier Sportif du Benin. Un titre bien étrange, lorsque j’y pense aujourd’hui, d’autant plus qu’à l’époque, le Benin s’appelait encore Dahomey.

Notre équipe avait été logée à la poule de Yaoundé. Elle avait aisément franchi le quart de finale. En demi-finale, il y avait en plus de nous, le Zaïre, et le Congo, que nous ne redoutions pas, d’autant que quelques mois auparavant nous venions de lui infliger un carton à Brazzaville, et, le Mali, que par contre nous craignions à cause de Salif Keïta. Il fallait procéder au tirage au sort des rencontres.

Deux des équipes devaient livrer leur match à Yaoundé, et les deux autres à Douala. Pendant l’opération il y’a eu double trucage. D’une part pour que notre équipe demeure à Yaoundé, d’autre part, pour éviter le Mali. Voilà comment nous nous retrouvons avec le Congo-Brazzaville dans la poule de Yaoundé, tandis que le Mali et le Zaïre étaient affectés dans la poule de Douala.

Le jour de cette demi-finale, naturellement, j’étais au stade. Mais, mon cœur battait étrangement, sans que je n’en sache la raison. J’étais assis au virage, sous le tableau d’affichage électronique. Le Président Ahidjo et tout son gouvernement étaient à la tribune. Les supporters camerounais donnaient bruyamment de la voix. Nous étions sûrs de la victoire.

Mais, contre toute attente, vers la fin de la première mi-temps, voilà que Ninga Pépé des Diables Rouges du Congo marque un but par un tir sans grande violence. Un silence de cimetière s’installe sur le stade. Peu de temps après, c’est la pause. Malgré tout, nous demeurons convaincus de la victoire.

Retour des vestiaires. Le match reprend. Nos joueurs se démènent comme de beaux diables face à ces Diables Rouges du Congo, en vain. Léa Eyoum, un des joueurs sur qui nous comptions ne produit rien. Yebga Joseph, notre Eto’o Fils, de son côté est tout simplement absent dans le match. Nous n’y comprenons absolument rien. Seul Tokoto Jean-Pierre fait des prodiges. Il est devant, derrière, à droite, à gauche, tire des coups francs, manque des buts.

Mais les minutes s’égrènent impitoyablement. Moins quinze minutes de la fin du match. Nous sommes déjà tous debout sur les gradins. Le public se met à réclamer l’extinction des lumières, car la rencontre avait commencé vers 17h :30, et il faisait déjà nuit, afin que l’on reprenne la rencontre le lendemain. Sur le banc de touche, notre vieille gloire Mbappé Lépé se lève et se met à exiger qu’on lui donne le maillot pour sauver le Cameroun. Mais, il ne figure pas sur la liste des joueurs. Léa Eyoum est remplacé, tellement il est improductif.

Moins cinq minutes de la fin du match. Nos cœurs ne battent plus dans nos poitrines. Nous ne sommes même plus là. Yebga Joseph, dans un sursaut d’énergie, décoche un violent coup de tête dans la surface de réparation du goal congolais. Le goal-kipper est battu. Le public hurle. Mais, malchance, le ballon atterrit sur le poteau, et est dévié vers l’extérieur. Nous sommes au bord de l’arrêt cardiaque. Il ne restait qu’une minute. Ce but nous aurait sorti de l’enfer.

Lorsque l’arbitre siffle la fin de la partie, des dizaines, voire des centaines de personnes s’effondrent dans les gradins. Les Diables Rouges se mettent à danser sur l’aire de jeu. Nos joueurs quant à eux ont tous les mains sur la tête, nombreux sont ceux qui fondent en larmes. C’est un tremblement de terre.

Pour ma part, je quitte rapidement le virage pour rejoindre la voiture de mon père garée au parking derrière la tribune présidentielle. Au moment où je longe les escaliers de celle-ci, je me retrouve non loin du Président Ahidjo qui lui aussi gagne sa voiture. Un journaliste de Radio-Cameroun se place devant lui. Il lui tend le micro : « excellence, le Cameroun vient d’être éliminé de la 8ème Coupe des Nations, quelles sont vos impressions ». Ahidjo est outré par la question. Il lui décoche une gifle. Le peu courtois journaliste l’évite de justesse en se courbant in-extremis. Son micro lui échappe des mains et tombe au sol. Je m’arrête pour céder le passage au Président. Il n’y a autour de lui, ni garde du corps, ni protocole, rien. Tout le monde est groggy par la défaite. Son parfum me chatouille les narines, tellement il est passé tout près de moi. Il ouvre lui-même la portière de sa voiture et s’y installe. Il attend un long moment. Le chauffeur, les motards, les gardes du corps tout désemparés arrivent enfin. Il quitte ainsi le stade dans un tohu-bohu indescriptible.

Le soir à la maison, mon père et ma mère avaient à peine parlé à table pendant le repas. Les Camerounais ont terriblement souffert dans leur chair de cette élimination.

Notre équipe avait malgré tout remporté la petite finale contre le Zaïre, par un score de 5 buts contre 2, mais dans un stade vide. Et les Diables Rouges, nos tombeurs, de leur côté avaient remporté la coupe face au Mali par 3 buts contre 2. Pour remplir le stade, la police, la gendarmerie et l’armée avaient procédé à l’arrestation de tous les badauds qu’ils rencontraient dans les rues de Yaoundé et les y avaient déversés. Ils avaient également vidé les internats du Lycée Leclerc et du Collège Vogt.

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