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LE PREMIER CHEF D’ÉTAT CAMEROUNAIS QUI EXPULSAIT LES FRANÇAIS ET QUALIFIAIT LES AUTRES ETHNIES D’ESCLAVES

Andre Marie Mbida (1917-1980) :Prologue au tribalisme comme instrument de conquête du pouvoir ou repli identitaire élaboré ?

Après les émeutes de mai 1955 et la mise hors-jeu de l’UPC par son interdiction décidée au sommet du pouvoir colonial, le projet de réforme de Gaston Defferre, qui devint la Loi-Cadre de juin 1956, inaugura la perspective d’une évolution du Cameroun vers un statut d’État autogouverné ou indépendant, avec un embryon de pouvoir exécutif aux mains des autochtones. Aussitôt, s’ouvrit entre les ténors de la scène politique locale, une course vers le pouvoir national.

En 1956, André Marie Mbida qui se trouve à la tête d’une coalition composée des anti-nationalistes s’oppose à Paul Soppo Priso qui joue un role assez moderateur dans la vie politique du cameroun.
C’est dans ce contexte qu’il adresse à la Métropole une correspondance restée célèbre dont voici quelques extraits :
« J’estime qu’il est indispensable de vous rappeler, Excellence, que je suis actuellement non certes le seul, mais le premier interlocuteur valable du Cameroun en tant que le seul et tout premier député entièrement autochtone du Cameroun à l’Assemblée Nationale française (…)
En outre, je suis encore le seul député qui représente une masse de population économiquement puissante : c’est dans la circonscription du Centre, en effet, que le taux de l’impôt personnel ou de capitation est le plus élevé.
Par contre, M. Paul Soppo Priso est le plus petit, le tout dernier interlocuteur valable (…) Aussi, au point de vue ethnique, M. Soppo Priso représente une toute petite race – les Duala – de 20.000 à 25.000 à peine (…)
Les Douala sont si peu nombreux que je me demande si leur ancêtre n’est pas par hasard, un esclave(…). Il est à retenir que les Duala n’ont jamais apporté aucune contribution à l’économie du territoire ni à aucun travail sérieux d’équipement. Ils vivent grâce aux régions et au détriment de ces dernières. Ce qui est choquant. Il faut également ajouter qu’il n’y a presque pas d’anciens combattants parmi eux (…)
Ce territoire n’est donc dans aucune impasse. La Loi-Cadre, surtout n’a rien de mauvais pour le Cameroun. Au contraire, elle va permettre un grand pas en avant.
Le nom « bëti » signifie les « Seigneurs », les « Maîtres » (…)
Les populations bëti qui forment le groupement principal de ma circonscription électorale sont donc des races de seigneurs très libres, de nobles, d’hommes loyaux, francs, honnêtes, justes, aimant et disant la vérité, ennemis du mensonge, décidés, courageux, inébranlables, d’une énergie et d’un caractère indomptable sans peur ni reproche »

Dans l’un de ses tracts de campagne on peut aussi lire ceci « Chers Électeurs et Électrices, si vous l’approuvez, si vous estimez que la troisième circonscription mérite d’être représentée à l’Assemblée nationale par un natif et non par un très nuisible intrus, votez tous, le 2 janvier 1956, pour André-Marie Mbida »

A l’issue des élections des députés à l’Assemblée nationale française de janvier 1956, André-Marie Mbida remporte sur ses deux concurrents la 3e circonscription Charles Assale, Louis Paul Aujoulat.

Après être porté par Pierre Messmer, à la tête du tout premier gouvernement local, le 10 mai 1957, il ne va pas tarder à se brouiller avec tout le monde, après avoir pourtant suscité beaucoup d’espoir. Politiquement, il manœuvre habilement, mais à très courte vue et sans aucune stratégie. Ce n’est pas un homme d’Etat pour autant

Il ne souhaite pas l’indépendance du Cameroun et devient brutalement répressif. Il adopte une répression sans indulgence, et s’appuyant sur le clergé et les associations catholiques du diocèse de Yaoundé il refuse d’entendre parler d’amnistie des membres de l’UPC et réclame même la création des camps de concentration.

A.M. MBIDA était-il un personnage mégalomane, d’une extrême susceptibilité, vindicatif, et brutal il traite les Camerounais avec condescendance et comme tous les premiers dirigeants africains, adopte une jouissance tyrannique du pouvoir selon ses interlocuteurs

Était-il un champion d’un nationalisme ethnique abusif et l’inspirateur d’une personnalisation dictatorial de son autorité ? Ce n’est pas dénué de fondement. Par conte on lui reprocha son « racisme Éton Éwondo » autrement dit Béti et la motion de censure déposé contre lui en février 1958 soulignait ses attitudes dictatoriales et racistes.

Vis-à-vis des colons français qui, en cette période, sont à la tête de toutes les circonscriptions administratives, il n’hésitera pas à leur signifier que le temps de la colonisation est fini. Il les affronte ouvertement, ce qui plaît considérablement à la population.
C’est ainsi qu’il décide de mettre fin à la ségrégation raciale qui a lieu dans les quartiers où vivent les Blancs et dans les bistrots qu’ils tiennent. Il ordonne aux colons de retirer de leurs cafés les affiches plus qu’offensantes qu’ils y ont apposées et qui portent la mention « interdit aux chiens et aux Noirs ». Tout colon accusé de racisme est aussitôt expulsé, sur son ordre, du territoire camerounais, dès qu’il en est informé

Il poussera ses airs au point de faire expulser du pays, en 9 mois de règne seulement, un effectif de Français tel que le pays ne l’a jamais égalé en 60 ans d’indépendance.

Il est hors de question pour lui de négocier avec l’UPC et coupe court aux accommodements. Le 9 Novembre 1957, à Boumnyebel dans le fief de Um NYOBE, il lance un Ultimatum agressif et provocateur : « A tous les Bassa Upécistes ou non, qui se trouvent dans la forêt, rentrez au village »

En 1958, le comportement de plus en plus mégalomane et entêté de A-M MBIDA dresse l’opinion contre lui, y compris les missions catholiques qui lui avaient accordé leur soutien.
La crise masquée jusque là éclate au grand jour.

A l’assemblée, les groupes d’opposition Charles ASSALE et Paul SOPPO PRISO se montrent de plus en plus mordants et remettent en cause la conduite du Premier Ministre et l’attitude de la France.

Dans le gouvernement, Ahmadou Ahidjo vice-premier ministre et ministre de l’interieur, responsable du groupe parlementaire du Nord décide de dénoncer la politique du Premier ministre, en démissionnant de son gouvernement avec ses affidés.
Le chef du gouvernement le constate et décide de former un nouveau gouvernement que refuse de constater le nouveau haut-commissaire Jean Ramadier arrivé au Cameroun le 3 Février 1958. Le lendemain Il reçoit longuement M. Mbida, Premier ministre, lequel sort de cet entretien consterné par les propos du haut-commissaire.
Le 10 février, le discours de ce dernier lors de sa réception par l’Assemblée législative marque la rupture :
le 11 au matin, en Conseil des ministres, le Premier ministre attaque avec une extrême violence Jean Ramadier, mais la majorité du cabinet donne raison au second ; dans la soirée, le groupe de l’Union camerounaise d’Ahmadou Ahidjo retire ses représentants du gouvernement, et celui des Paysans indépendants de Mathias Djoumessi et de Daniel Kemajou déclare ne plus maintenir son soutien à M. Mbida.
Le Premier ministre, après avoir tenté de former une nouvelle équipe ministérielle, doit se rendre à l’évidence : il n’a plus de majorité et démissionne le 16 Février 1958.

L’acte d’autorité de Jean Ramadie ressemble à un coup d’état qu’a une action légale. Le Conseil des Ministres à Paris sanctionne ce dernier qui ne reste pas plus de 15 jours au Cameroun.
Quand il rentre de Paris où il s’est rendu pour exposer la situation qui viole les dispositions légales, A-M Mbida est accueilli par une motion de censure des députés. Pis, certains membres de son nouveau gouvernement le dénoncent publiquement. Et c’est par la suite qu’on va se rendre compte qu’ils avaient été corrompus. Qui avait reçu exactement combien pour trahir Mbida ? Selon certaines sources tous les parlementaires se liguant contre A-M MBIDA ont reçu l’équivalent de 200 000 francs CFA.

Se sentant trahi, A-M MBIDA adresse sa démission à Jean Ramadier. Celui-ci accuse réception le 18 février 1958 et entame une consultation des acteurs politiques nationaux qui va conduire le lendemain à la désignation d’Ahidjo comme nouveau Premier ministre.
Le 18 Février, Ahmadou Ahidjo, ancien vice premier ministre et ministre de l’intérieur est investit et Paris est satisfait de cette solution qui procure à la France un interlocuteur moins supportable et moins contesté que son prédécesseur.

Ahidjo devenu nouveau Premier ministre jette André-Marie Mbida en prison sous un prétexte fallacieux selon certaines sourcess: avoir refusé de se rallier à son parti unique!? Ahidjo qui était au début son ami (et ex-vice-Premier ministre de son gouvernement) a voulu l’intégrer dans son premier gouvernement, mais, comme il était en désaccord avec la politique extrêmement pro-française d’Ahidjo, André-Marie Mbida refusa et s’exila.
S’en est suivi alors une activité intense ; le 16 septembre 1958, alors qu’il était de passage à Paris, André-Marie Mbida se prononce pour l’indépendance immédiate. Le 3 octobre 1958, son parti politique par voix de communiqué de presse demande « l’indépendance immédiate du Cameroun – l’amnistie totale – la levée de tutelle ».

De retour au Cameroun en 1960,A-M MBIDA réussit en très peu de temps à reconquérir une audience politique nationale que treize mois d’exil à Conakry (Guinée) avaient quelque peu flétrie.

Mais la dernière bataille qu’il allait livrer contre le gouvernement Ahidjo, la bataille contre le parti unique, allait sonner le glas de sa vie politique.

Le 23 juin 1962, le Front national unifié (FNU)
– Mr André-Marie MBIDA (B.D.C.)
– Mr Théodore MAYI MATIP (UPC légale)
– Mr BEBEY EYIDI (parti des TravailIeurs Camerounais)
– Mr OKALA Charles (parti Socialiste Camerounais) publie un manifeste signé par les trois hommes. Ils affirment leur refus d’adhérer au parti unique. Ils ajoutent qu’un parti unique aboutira infailliblement à la dictature. Ils sont arrêtés et incarcérés au Nord-Cameroun.
Cette détention provoque une dégradation physique importante chez André-Marie Mbida : il tombe malade et devient pratiquement aveugle.

À sa sortie de prison en 1965, Il va en France se faire soigner. De retour au Cameroun en 1968, il est placé en résidence surveillée à Yaoundé jusqu’en 1972. Les derniers moments de sa vie furent pénibles car faits de solitude.
En 1980, il connaît une nouvelle évacuation sanitaire en France, mais décède aveugle à 63 ans le 2 mai 1980. Ses camarades de prison Bebey Eyidi et Charles Okala etaient décédés quelques années avant.

Sources Enoh Meyomesse & Kengne Taahla

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