LE RÉGIME BIYA TUE LES ENSEIGNANTS DEPUIS LE 6 NOVEMBRE 1982
Mes enseignants le savent et mon grand frère Dieudonné Pouhé peut le confirmer : au Ces de Dschang, au lycée Leclerc de Yaoundé, au Ces de Yaoundé, au lycée de Bafia, au Collège Bilingue d’application de Yaoundé, au Grand collège de la Menoua et au lycée de Dschang, je me suis presque, à chaque fois, fait renvoyé pour « mauvaise conduite ».
Les temps changent
Partout, j’étais sans doute ou presque, l’élève le plus turbulent de l’établissement, comme ne pourraient le démentir mes camarades la journaliste Odette Ndoumbé, l’entraineur de football de haut niveau Emmanuel Ndoumbé Bosso…
Mais quand on compare ce qui m’était reproché à ce qu’on peut reprocher aux jeunes aujourd’hui, je puis me comparer à un serviteur modèle non pédophile du Pape.
La plupart des dirigeants d’établissements scolaires vous le diront : la consommation de produits dopants est de plus en plus banale et il existe dans leur établissement, des zones de non droits,où aucun responsable n’ose mettre les pieds: c’est une grande partie du problème.
Pourquoi et comment en est on arrivé là ?
Difficile de bien l’expliquer en quelques phrases. Mais, selon moi, il existe une date charnière : 1982 et l’arrivée de Paul Biya au pouvoir.
Il est tentant d’accuser les parents de manquer à leurs obligations envers leurs enfants, notamment en matière d’éducation. Mais ce serait faire fi de la casse sociale orchestrée par le régime Biya depuis son arrivée au pouvoir.
Lorsque des milliers d’entreprises ferment tandis que peu ouvrent, ce sont des parents qui se retrouvent en masse au chômage et passent sous le contrôle de leurs enfants, notamment les filles. Que peut un parent qui n’assume plus les charges du ménage ?
On voit dans de nombreuses familles, des jeunes lycéennes qui prennent en charge une partie du budget familial, pendant que pudiquement, les parents feignent d’ignorer l’origine des fonds.
On n’a pas fini de payer les âneries du régime après la dévaluation. Plutôt que de diminuer le nombre de fonctionnaires par une politique attractive de départ volontaire, augmentant sérieusement les salaires que ceux qui restaient pour contrer l’inévitable baisse de pouvoir d’achat (comme l’ont fait la plupart des pays), le pouvoir a organisé une pauvreté généralisée en baissant drastiquement les salaires, notamment ceux des enseignants.
Le drame dans nos établissements scolaires vient en grande partie de cette hérésie. On demande aux enfants de respecter leurs enseignants qui sont plutôt pitoyables. Lorsque vous avez devant vous des enseignants vacataires pas payés pendant des années et qui vivent de la solidarité des parents d’élèves, à quoi pouvez vous vous attendre ? Un de mes fils, alors âgé de 7 années, m’avait raconté qu’ils cotisaient en classe chaque jour un peu d’argent pour payer le transport en moto de leur enseignant.
Un jour à Mbanga, nous avons été alertés par le cas d’un professeur du lycée qui était tombé en syncope un jour en pleine salle de classe : c’est alors que les élèves sont allés lui acheter quelques bananes sur les conseils d’un des leurs, voisin de l’enseignant, qui savait ce dernier en attente de son premier salaire depuis des mois et qui tirait le diable par la queue. Il avait tout simplement faim.
Allez dans n’importe quel lycée à Douala dans l’après midi et voyez dans quelles conditions travaillent les enseignants devant une centaine d’élèves ; pas étonnant que l’absentéisme atteigne son paroxysme les après midi à cause d’un air irrespirable.
Du temps d’Ahidjo.
Du temps d’Ahidjo, l’enseignant faisait rêver. Quiconque a, par exemple, fait le lycée de Dschang dans les années 80, sait que le rêve de la plupart d’entre nous était de devenir enseignant de philosophie, comme le défunt Nkourrou Essengue Anatole, un professeur de lycée de très grand talent. Il sait aussi qu’à l’époque, l’enseignant non titulaire d’un véhicule NEUF était aussi rare qu’une larme de chien.
Qui, toujours au lycée de Dschang, aurait pu penser à agresser au couteau un enseignant alors que même le « chef des délinquants » que j’étais, prenait ses jambes à son coup lorsqu’il rencontrait, même en ville, un enseignant, un surveillant et surtout le terrible censeur Tchinda ? Lequel censeur, au moins une fois par semaine, me mettait à genoux en plein milieu de la cour du lycée sur du gravier, sans raison valable, pour montrer son autorité ou juste parceque j’avais « tenté » de parler, comme il aimait à le dire.
C’est auprès des enseignants qu’on découvrait les nouvelles tendances, notamment vestimentaires. C’est par exemple chez Dieudonné Dieudonné Pouhe que de nombreux jeunes ont découvert une « chaine stéréo », permettant d’écouter de la musique.
Lorsque aujourd’hui, un enseignant entre en classe, les cheveux « peint » à la poussière, les aisselles « adultérées » par la sueur, comment peut-il être crédible lorsqu’il donne des leçons de propreté et de savoir vivre ?
Où sont les syndicats ?
Ce qui est tout de même étonnant, c’est de voir l’apathie des enseignants, notamment dans la fonction publique. Qu’un des leurs soit aussi sauvagement tué sans qu’ils n’envisagent aucune action d’envergure est tout de même curieux.
De plus, les problèmes qui minent nos établissements scolaires sont connus et répertoriés : les syndicats devraient œuvrer pour trouver des solutions à proposer à la classe politique.
Les partis politiques doivent trouver des solutions pour l’avenir. Certains dans cette classe politique ont d’ailleurs tenté, au sujet de la mort de cet enseignant suite aux coups de son élève, d’en faire une expression morbide du conflit larvé entre Beti et Bami : c’est grotesque.
Cependant, une fois l’indignation passée ; une fois le constat de la faillite du pouvoir sur ce sujet fait, il serait intéressant de savoir ce que chaque chapelle politique propose afin que des familles n’aient plus à pleurer leurs enfants pour des causes aussi banales.
Benjamin Zebaze.