LE SÉNÉGAL EN FEU: LES MAGASINS FRANÇAIS ATTAQUÉS
Scènes de guérillas urbaines à travers le Sénégal , avec des morts, des blessés, des saccages et pillages de magasins, en particulier d’enseignes françaises. C’est le lourd bilan des manifestations violentes opposant jeunes contre policiers, qui ont lieu au Sénégal depuis trois jours à Dakar, la capitale, et dans plusieurs villes du pays.
Dakar a été vendredi 5 mars le théâtre de scènes de guérilla urbaine opposant les forces de l’ordre à des centaines de jeunes, après l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko, dont la garde à vue a été prolongée. Selon un bilan du ministère de l’Intérieur sénégalais partagé dans la soirée de vendredi , quatre personnes ont été tuées ces derniers jours dans les émeutes. Mais d’autres sources évoquent un bilan plus lourd.
Dans le quartier populaire de la Médina, au coeur de la capitale sénégalaise à l’arrêt, où retentissaient les grenades assourdissantes, des groupes de jeunes harcelaient à coups de cailloux de très nombreux policiers anti-émeute, avant de s’enfuir, ont constaté des journalistes de l’AFP.
Dans certaines localités, des édifices publics ont été saccagés. Mais globalement, les manifestations de l’après-midi se sont déroulées sans incidents majeur. Vendredi matin, à Saint- Louis (nord), des élèves ont délaissé les bancs de leurs écoles pour manifester dans les rues. Ils ont tenté de bloquer l’accès au pont Faidherbe, provoquant des affrontements avec les forces de l’ordre. Selon plusieurs sources, des jeunes auraient ensuite incendié le siège de l’APR, le parti du président.
Des scènes de colère signalées aussi dans le sud du pays : à Bignona, la maison du préfet a été saccagée. A Sédhiou, la gouvernance, la mairie, l’inspection d’académie et le bâtiment des Eaux et Forêts ont été vandalisés par des groupes de jeunes.
Même les médias ne sont pas épargnés. Après la Rfm, les sièges du Soleil et de Dakaractu ont subi des attaques. Plusieurs dégâts matériels ont été constatés.
L’arrestation d’Ousmane Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et pressenti comme un des principaux concurrents de celle de 2024, a aussi déclenché depuis mercredi des saccages et des pillages de magasins, en particulier sous enseigne française, dans la capitale et différentes villes du pays pourtant réputé comme un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest.
Cette arrestation a non seulement provoqué la colère de ses partisans, mais aussi, disent de nombreux Sénégalais, porté à son comble l’exaspération accumulée dans ce pays pauvre face à la dureté de la vie depuis au moins un an et la pandémie de Covid-19.
Lors d’une charge sur la grande avenue Blaise Diagne, des dizaines au moins de jeunes scandant le nom de Sonko, ont réussi à faire reculer provisoirement les policiers, malgré les tirs nourris de grenades lacrymogènes. Le sol était jonché de pierres, de cartouches de grenades et de pneus incendiés.
A Mbao, dans la grande banlieue, des pillards ont aussi été aperçus par un journaliste de l’AFP sortant les bras chargés de marchandises d’un supermarché Auchan, dont au moins 14 magasins ont été attaqués et 10 pillés, selon la direction du groupe français.
Un important dispositif de police a été mis en place dans le quartier du Plateau, centre névralgique du pouvoir où la circulation était quasi nulle.
La raison de ces soulèvements : l’emprisonnement, mercredi 3 mars, de l’opposant politique Ousmane Sonko, pour viol, un crime que le principal intéressé nie. Ses soutiens dénoncent une manipulation politique. Ce vendredi encore, un front de l’opposition a appelé les Sénégalais à manifester pour exiger sa libération. En réaction, les autorités ont restreint l’accès à internet tôt le matin même : les réseaux sociaux et applications de messagerie, dont Facebook, WhatsApp et YouTube ont été restreints.
Jeudi, « 14 de nos magasins dans cette ville ont été attaqués et 10 pillés », a déclaré le patron d’Auchan Retail Edgard Bonte, sur son compte LinkedIn. Ceux-ci ont été fermés, et leurs collaborateurs « ont été mis à l’abri ». « Pour les autres, on se coordonne avec les autorités sénégalaises », a ajouté le patron.
Il n’a pas précisé le montant du préjudice financier subi par l’enseigne, qui compte 32 magasins et un « drive » au Sénégal, selon son site internet.
Le représentant de l’ONU en Afrique de l’Ouest a lancé vendredi un appel au « calme et à la retenue ». Mohamed Ibn Chambas a exhorté également les autorités à « prendre les mesures nécessaires pour apaiser la situation et assurer le droit constitutionnel de manifester pacifiquement », appelant en outre « les forces de l’ordre à veiller à la sécurité des manifestants et des biens avec professionnalisme et dans le respect des lois ».
Ousmane Sonko, arrivé troisième lors de la présidentielle de 2019 et pressenti comme candidat à celle de 2024, a été arrêté officiellement pour trouble à l’ordre public le 3 mars dernier, alors qu’il se rendait en cortège au tribunal où il devait répondre à des accusations de viol. Aussitôt placé en garde à vue – qui doit se terminer dimanche – il a été présenté vendredi à un juge. Le député de 46 ans sera présenté à nouveau au juge lundi, selon ses avocats.
Son arrestation crée un vide dans l’opposition. En effet, il est vu comme le dernier opposant majeur face au président en place Macky Sall. Si le chef de l’Etat se retrouve en bonne place pour la présidentielle de 2024, c’est aussi parce qu’il a écarté toute concurrence, faisant rentrer dans sa majorité son dauphin à la présidentielle, l’ancien Premier ministre Idrissa Seck.
Les autres rivaux de Macky Sall ont été écartés. Karim Wade, fils et ancien ministre de l’ex-président Abdoulaye Wade, et Khalifa Sall, maire déchu de Dakar, ont tous deux été frappés par des condamnations pour des malversations financières, les tenant en retrait de la politique.