LES DJIHADISTES RENFORCÉS APRÈS LES PUTSCHS
Le capitaine Ibrahima Traoré a renversé le Lieutenant-colonel Paul Damiba, le 30 septembre 2022, quelques jours après l’attaque du convoi de Gaskindé ayant fait plusieurs morts. Confronté à une insurrection djihadiste depuis 2015, le coup d ’Etat fomenté par les jeunes officiers bouleverse les cartes géopolitiques au Sahel.
Depuis la rupture du verrou sécuritaire libyen, suite à l’intervention de l’OTAN pour renverser le régime de Khadafi, la bande sahélo-sahélienne est devenue un refuge des groupes djihadistes. Dotées d’une grande résilience stratégique, les mouvances extrémistes se sont « métastasées » du Mali au Niger en passant par le Burkina Faso. Les stratégies et les méthodes utilisées par les groupes armés conduisent souvent à une « panne de stratégies » des décideurs militaires. Le Faso n’échappe pas cette situation. Le pays a connu deux coup d ‘Etats en l’espace de 9 mois.
Le putsch des jeunes officiers réoriente le jeu des acteurs et redistribue les cartes.
La Russie est le grand gagnant du putsch au Burkina Faso. Les réticences du lieutenant – colonel Damiba à diversifier ses partenaires militaires lui ont été fatales. La sortie du fondateur de Wagner Evgeny Prijohine sur les réseaux sociaux louant le « courage » du capitaine Traoré pose les jalons d’un futur déploiement du groupe paramilitaire au Burkina, même si aucun accord n’a encore été signé.
Ainsi les déclarations du proche de Poutine renforcent les rumeurs selon lesquelles le nouvel homme fort du Burkina a eu des contacts avec Moscou trois (3) jours avant de passer à l’acte. Si une coopération militaire venait à se concrétiser avec le nouveau pouvoir à Ouagadougou, Moscou va consolider sa position au cœur du Sahel. Ce qui donnera à la Russie une profondeur stratégique allant de l’Algérie à la porte du golfe du Guinée en passant par le Mali : des territoires riches en minerais. Paris se verra ainsi priver d’une continuité géographique de sa présence militaire d’Abidjan au Tchad. Par ailleurs, le déploiement russe en Centrafrique revêt également une valeur géostratégique importante. La future installation d’une base navale au Soudan et les facilités logistiques qu’offrent l’Angola au sud créeront un arc d’influence « russe » de l’Atlantique à la Mer Rouge. Ce qui mettra la pression sur les positions françaises au Tchad et au Gabon
La France est le grand perdant.
Le Burkina Faso est longtemps resté un allié de taille de la France dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Le pays des hommes intègres est un glacis qui empêche l’extension des groupes djihadistes vers la Côte-d’Ivoire, le Togo et le Bénin. Un potentiel retrait de Paris constituerait un revers de taille dans le « grand jeu » des puissances au Sahel et les efforts consentis pour juguler la menace terroriste.
Alors en difficulté durant les premières heures du putsch, le colonel Ibrahima Traoré a utilisé la rhétorique anti-française en vigueur dans les réseaux sociaux et les milieux d’activistes. Ce qui a poussé une grande partie de la population à descendre dans les rues. Des manifestants pro-russes s’en ont pris aux symboles de la présence de l’ancienne colonie : ambassade, lycée, Institut français, centre culturel, caserne Kamboinsin où stationnent des forces spéciales françaises engagées depuis 2013 dans la lutte antiterroriste. Un potentiel déploiement de Wagner signifierait le retrait de la France du Burkina Faso. Les décideurs français jugent que « la présence est incompatible avec les mercenaires russes ». Ces propos montrent que la France, comme au Mali, ne sera pas engagée au côté des russes. Les Mirages et les drones Reaper stationnés au Sahel ne seront pas utilisés pour appuyer une quelconque force.
Le Mali d’Assimi Goita va certainement tirer son épingle du jeu. Bamako est soupçonné d’être la plateforme russe de subversion régionale. Le Niger et la Côte d’Ivoire, deux alliés proches de la France, sont régulièrement ciblés par les réseaux d’influence pro-russes basés au Mali. Le nouveau gouvernement du Capitaine Ibrahima Traoré va certainement renforcé « l’axe des putschistes » Conakry -Bamako. Si les russes parvenaient à se déployer au Burkina Faso, une coopération bilatérale entre Bamako et Ouaga, dans la lutte contre le terrorisme parrainée par Moscou, pourrait voir le jour. Ce qui constituera sans doute un coup dur pour le G5 sahel, le Niger et le Tchad.
La CEDEAO est affaiblie par la recrudescence des coup d ‘Etats. La réticence de l’organisation sous régionale à aller jusqu’au bout dans son bras de fer avec Bamako a fortement ramolli ses positions.
Les groupes djihadistes sortent renforcer après le putsch. Ils se voient consolider dans leurs « entreprises funestes ». L’attaque d’Inata a précipité la chute de Roch Kaboré. L’embuscade de Gaskindé a scellé le sort du Lieutenant-colonel Damiba. Les groupes armés voient leurs efforts récompensés, après plusieurs années de combat. D’autres groupes terroristes vont également tirer profit de la situation pour mener et coordonner des actions terroristes contre le gouvernement central burkinabé.
@El Hadji Faye
IESS, 2022