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LES ENSEIGNANTS UNIVERSITAIRES LANCENT LA GUERRE CONTRE LE COLONEL BAMKOUI ET L’ÉTAT DU CAMEROUN

Dans une tyrannie en déliquescence (qui s’amoindrit dans tous les secteurs de la société au lieu de prospérer), lorsque la Sécurité militaire impose la chappe de plomb de l’enlèvement, de la torture et de l’assassinat, lorsque l’arrestologie (la science des arrestations) rivalise avec la discernologie, il doit se lever, dans la troupe des hommes et des femmes en toges, un accusateur public pour brandir la lanterne sacrée du bon sens, du bon goût, et rappeler les vertus du Bien, du Vrai et du Beau, la valeur de la liberté en somme. Car l’heure est au règne des anthopophobes, des nécrophiles et autres nécrologues. Dans L’Archipel du Goulag, Soljenitsyne écrit : « Sans doute, dans un climat de soumission générale, un accès de désespoir est-il toujours salutaire » (p. 315).

Il a vu juste. Lorsque le sort de toute une nation est en jeu, il faut avoir en horreur les demi-mesures. C’est le cas. Nous devons donner une réponse proportionnelle au mépris, à l’arrogance et aux violences répétées contre les enseignants dans notre pays, en restant tous chez nous demain. Ils ont atteint leur point de rupture. Voici quelques cas graves de violation des droits des enseignants au Cameroun dans un passé récent et des atteintes à la liberté académique dans le supérieur : d’abord, la bastonnade de nos collègues dans nos campus universitaires depuis les années 90 jusqu’aux derniers événements tragiques de 2016 à l’Université de Buéa qui ont précipité la guerre civile au Nord-ouest et au Sud-ouest ; ensuite, le gazage et la mise à tabac par les policiers et les gendarmes des collègues du secondaire, membres du Collectif des enseignants indignés du Cameroun qui, devant la morgue du Centre Hospitalier Universitaire (CHU), rendaient pacifiquement hommage à Boris Kévin Njomi Tchakounté, professeur de mathématique assassiné par son élève le 14 janvier 2020 ; enfin, la détention arbitraire de notre collègue, le Professeur Alain Fogue Tedom, dans la Prison centrale de Yaoundé. Ce collègue avait été arrêté dans la nuit du 21 septembre 2020, détenu illégalement et torturé psychologiquement au Secrétariat d’État à la Défense. De même, le 20 septembre dernier, Joël Émile Bamkoui, le Directeur de la Sécurité militaire, s’est fait le plaisir sadique de capturer un enseignant de philosophie de l’Université de Yaoundé I, en pleine ville, à Yaoundé. Après son enlèvement, l’officier supérieur l’a insulté publiquement, lui a fait subir la torture et l’humiliation dans ses bureaux. Ledit enseignant s’en sort avec un grave traumatisme facial et une diminution de la vue nécessitant une surveillance médicale rigoureuse permanente, à vie.

La liste des infractions et des crimes du pouvoir actuel de Yaoundé contre les membres de notre corporation est élastique. C’est une vérité de Lapalisse : au quotidien, les enseignants sont victimes de torture, de traitements cruels, inhumains et dégradants dans notre pays. La présente tribune va s’articuler autour des deux parties principales suivantes : Paralysez la terreur d’État et La provocation philosophique et ses enjeux. Le premier axe porte sur six points : Ce qui est en jeu : la victoire des libertés fondamentales et des droits de l’homme sur le Soldat-chasseur (I) ; Le Chevalier de l’ordure et de l’opprobre ou le Terrassier des normes (II) ; Le règne des sots (III) ; Le temps de la violence guerrière : le citoyen soldat et le chef militaire (IV) et La pensée critique dans les casernes : le métier des armes (V) ; Les universitaires et l’industrie des cadavres (VI). Le deuxième axe portant sur la provocation philosophique et ses enjeux traite des points suivants : Le labeur du philosophe dans notre contexte (VII) ; Le statut de l’enseignant aujourd’hui (VIII) ; Prise de conscience et travail collectif de libération (IX) ; Dépasser les privilèges meurtriers d’un pouvoir politique dépassé (X).

Partie I : Pourquoi nous devons rester chez nous demain ?
Notre but est bien identifié : c’est se défaire de la terreur d’État et de la poigne maléfique du Soldat-chasseur. En effet, au Cameroun, le système concentrationnaire, l’Archipel du Goulag, est complexe et est incarné par des personnages lugubres que rien n’anime, sinon les râles des damnés qu’ils torturent, les flots de larmes et les rivières de sang qu’il déversent sur les sillons de notre Nation biculturelle. La terreur prend ses racines en amont, au niveau des cercles de décision de la Présidence de la République, où, suivant les conseils d’universitaires sans cœur et aux savoirs frelatés, l’on cultive la haine, le tribalisme et l’incompétence. En aval, au Ministère de la Défense et à la Délégation générale à la Sûreté nationale, on distille les miasmes de la peur et du crime préventif pour mieux asseoir la pilule du renoncement et de la résignation. Là, c’est le règne des animaux politiques qui jouent aux brutes de la patrie.

I/ Ce qui est en jeu : la victoire des libertés fondamentales et des droits de l’homme sur le Soldat-chasseur
L’ère du Soldat-chasseur est le triomphe de l’arbitraire, de la haine et de tous les passe-droits. Depuis la baisse drastique des salaires des enseignants et du personnels sanitaires et la préservation du traitement et des privilèges des hommes en tenue dans les années 80, il y a eu une inversion dans les valeurs et la préséance. Militaires, policiers et gendarmes, se prévalant de l’audace indue que leur garantit un État incapable de maintenir les équilibres entre les grands corps de l’État, toisent les enseignants avec dédain. Ceux-ci, lésés, contrits sans avoir péché, se sont aplatis comme le paillasson des hommes en armes, avec tous les complexes qui vont avec. C’est en fait le temps de la militarisation entretenue de la conscience nationale ou, plus exactement, de la dé-conscientisation à outrance. Car, même dans le champ de bataille, le soldat n’est pas une machine à tuer : il combat, fait des prisonniers et soumet l’ennemi par tous les moyens légaux, dissuasifs, et de contrainte mis à sa disposition. Il sait que l’enjeu de la guerre est de protéger les citoyens, de réparer l’homme et de préserver la civilisation en sauvant le territoire national de l’anarchie.

Les soldats-chasseurs, au contraire, versent dans le nihilisme (le chaos total). Ils attrapent des proies civiles et ne vont pas en guerre. Ils sont nommés dans les villes et les villages pour amplifier les frustrations et extorquer une obéissance forcée du peuple. Ils y font donc de la chasse aux citoyens indociles. Cependant, ils ne font pas des prisonniers ; ils font des enlèvements, torturent, tuent et vitrifient leurs « colis » sans égard pour les droits de l’homme, la dignité humaine et la sacralité de la vie. Le fusil, dans ces conditions, ne sert plus à dissuader l’ennemi (qui n’en est pas un d’ailleurs, puisque l’on a affaire à des compatriotes désarmés), mais pour fructifier une réputation et une gloriole infâmes. Tous les outils de guerre sont ainsi exploités comme des machines à fric. Le soldat-chasseur est nécessairement un économe de la guerre. Il est en quête de butin et convertit les pertes humaines en espèces sonnantes et trébuchantes. Le jeu est juteux : on catalyse la contestation et radicalise les communautés pour perpétuer le carnage. Les bureaux du soldat-chasseur ne sont pas des officines pour penser la guerre et les stratégies de combat. Ils sont transformés en de petites compagnies de négoce macabre où les usagers subissent l’innommable avant d’être dépouillés, gazés et empoisonnés au vu et au su de tous, avec la bénédiction d’une hiérarchie consentante. D’ailleurs, une hiérarchie civile peut-elle échapper elle-même au musèlement des hommes en armes ?

II/ Le Chevalier de l’ordure et de l’opprobre ou le Terrassier des normes
C’est pourquoi, l’on ne peut être soldat si l’on n’est pas honnête ou si l’on ne cultive pas l’honnêteté (enquête de moralité). Un soldat-citoyen n’est jamais cause de la folie guerrière caractéristique des soldats bandits. Il n’est pas formé pour faire l’expérience du vol et de la filouterie, mais pour entretenir le sentiment chevaleresque qui dispose chacun à élever l’autre au lieu de le piétiner. Il n’entretient point la furie de tuer, mais l’appétit de mourir dans l’exaltante mission de protection de son pays. Il y a un minimum de pudeur virile, même si l’on est formé pour arracher des vies. En un mot, il évite de se constituer en le fanatique de la mort, car en un sens, ce qu’il défend, c’est une paix conforme aux valeurs, et à la grandeur du peuple. Alain observe, à juste titre : « C’est pourquoi il n’est point de guerrier qui ne puise la haine et que n’ait appris à aimer les hommes » ; « c’est pourquoi les hommes rendus à l’ennemi tombé ne sont point seulement de forme. Non, mais du fond du cœur. L’homme qui estime… qui sortira de l’épreuve ».

Malheureusement, ces subtilités échappent aux pouvoirs engoncés dans l’arrogance et violence. À juste titre : la pensée libre est la hantise de la sécurocratie, quelle qu’elle soit. D’un autre côté, la révolution s’engraisse des cadavres et ce sont les suppliciés et les assassinés qui la justifient. Tous les « Arrêtés » politique actuels manifestent l’évidence que dans une autocratie rampante, l’industrie pénitentiaire n’est pas une entreprise de correction de l’homme, mais de neutralisation de la vie. Dans L’Archipel du Goulag, Soljenitsyne dénonce les enlèvements et la torture systématique dans les camps soviétiques. Il y soutient que « l’arrestation est une lueur aveuglante et un coup qui refoulent, sur-le-champ, le présent dans le passé et font de l’impossible un présent à part entière » (L’Archipel du Goulag, p. 11). Cette métaphysique de l’épuration du temps au profit du trépassement permanent de l’avenir est de rigueur à l’ère du Renouveau, au Cameroun.

III/ Le règne des sots
Il ne serait pas exagéré de parler en ce moment du règne des sots, suivant l’expression d’Alain. En effet, le temps qu’il fait actuellement nous rappelle l’époque morte, ce temps lointain, trépassé, dont parle Alain « où les sots gouvernaient par la terreur » (Alain, Convulsion, de la force, p. 15). Mais il y a lieu de distinguer les sottises ordinaires (par exemple l’appel d’un colonel à un civil désarmé pour le menacer) et les sottises géantes, en l’occurrence celles qui consistent à arrêter, torturer, embastiller un civil, sous le prétexte qu’il aurait invité, sur Facebook, à faire une marche, ou organiser des exécutions extrajudiciaires des compatriotes anglophones et les faire enterrer à la colline des fous (Nkolfoulou vers Soa). Dans tous les cas, nous sommes devant un choix radical : faire la guerre, en cantonnant les libertés et les aspirations du peuple, ou interdire la liberté d’écrire notre histoire. Le choix est cornélien : allons-nous tuer la guerre ou exécuter la pensée ?

Plusieurs compatriotes, d’ici et d’ailleurs, tourmentés par une crainte viscérale des représailles, pour éviter de condamner les dérives et les crimes, choisissent d’offrir aux tortionnaires un visage ampoulé et auréolé d’un faux respect. Pour ma part, la critique du système gouvernant actuel vise à promouvoir la liberté et l’inventivité qui lui est attachée. Mais ces principes, ces valeurs cardinales de l’humanité ne peuvent prospérer dans l’immoralité et dans l’indignité (actions illégales et déshonorantes des soldats), car « le plus grand abus de la force est sans doute d’exiger l’assentiment ». Pour sécuriser notre avenir, l’intégrité de ce pays, il faut non seulement se rendre dignes des sacrifices des martyrs qui ont donné leur vie pour notre indépendance, mais aussi mériter le sang des jeunes soldats qui tombent tous les jours à l’Extrême-nord, et dans les régions du Sud-ouest et du Nord-ouest pour maintenir la paix à l’intérieur des frontières nationales. Les arrestations arbitraires, les injustices, les frustrations entretenues et les discriminations systématiques du pouvoir en place minent ces efforts chevalesques et détruisent nos chances de nous retrouver, de nous réconcilier avec nous-mêmes, pour être à la hauteur des promesses de notre brillant futur. C’est pourquoi, les citoyens mécontents doivent contester ces institutions improductives et contreproductives qui ont hypothéqué pendant longtemps le décollage économique du pays. Il nous faut tout refonder et repartir sur de nouvelles bases, bâtir du neuf en somme.

IV/ Le temps de la violence guerrière : le citoyen soldat et le chef militaire
En République, on ne se fait pas remarquer par un philosophe, car il faut éviter la torture de ses mots réparateurs. On ne menace pas les penseurs ; on les endure. En effet, le temps de la violence, c’est le couronnement du mensonge. Sur le terrain de la torture, rien de ce qui est dit est vrai et les juges militaires s’arrêtent aux apparences convenues et veulent dissuader, au lieu de creuser le vrai. La peur est justement l’énergie qui fait carburer cette violence, qui n’est point véritablement la guerre. Mais celui qui se résigne et se rend mentalement à son bourreau oublie que la mort ne s’imagine point, et que l’homme qui a le vertige n’en est pas encore aux vrais obstacles, qui sont aussi bien des appuis. Autrement dit, jusqu’au dernier souffle et au-delà, le supplicié doit savoir que la vie prévaut. Malheureusement, ces temps moroses de la guerre ont provoqué la moisson des sots.

Choisir le métier des armes, c’est se décider à chercher l’occasion de mourir pour son pays, sans songer à se venger de quiconque ; c’est choisir la condition du combattant, sans subir aucune contrainte. C’est pourquoi le métier des armes, chez nous, est sous-tendu par deux idéaux que résume la devise « honneur et fidélité » de l’armée camerounaise. Le statut de combattant, lui, est articulé à la dignité qui consiste à suivre son destin, sans rechercher le péril, aussi sans le fuir. C’est l’étoffe d’une âme ferme, qui ne vit point d’opinions, et qui se gouverne par sa propre volonté.

V/ La pensée critique dans les casernes : le métier des armes
Le citoyen soldat n’est pas un homme au cœur de pierre ; il cultive en soi une distinguée majesté (infatuation). Ce n’est pas l’homme avide, traitre, brutal, cruel, qui sème le mal sur son passage. Il a, au contraire, sous sa langue, une saveur du devoir à accomplir qui ne le dispose ni à la grève ni à la tentation de la rapine et du rançonnement. C’est pourquoi le Chef militaire DOIT être impitoyable dans le champ de bataille parce qu’il doit maintenir cette discipline morale. Par cet expédient, en flambant ainsi le vice, il maintient en quelque sorte la flamme de la vertu, il se prémunie, aussi bien des bases attaques de l’ennemi infâme que des déconvenues du hasard. Faire la guerre, Alain le rappelle fort opportunément, délivre des passions guerrières.

Au-delà des honneurs militaires, le soldat entretient un honneur intime. Prétendre promouvoir la paix, qui est le fondement de la civilisation, la raison d’être de l’humanité, c’est se ranger du côté du droit, et de la verité : « Chacun sait que la peur se change aisément en colère, et que la violence d’un homme en colère n’est point réglée sur les causes extérieures ». À ceux qui seraient opposé à mes idées et identifieraient quelques opinions mercantiles dans ma démarche, je répondrais, avec ces mots d’Alain, que pour l’homme de troupe, le plus haut niveau du sacrifice à la patrie consiste à faire la guerre pacifique.

À cet égard, les sacrifices de tous les Camerounais qui croupissent en prison actuellement nous interpellent. Qu’ils soient membres d’un parti politique ou de la société civile, activistes ou victimes ordinaires d’excès de pouvoir, tous sont des archives vivantes qui conjurent symboliquement l’absence de références morales et la perte de notre Mémoire, le pire péril qu’affronte un peuple qui perd ses repères. Ceux qui résistent au basculement immoral actuel sont des instruments de notre réminiscence. Sans eux, nous sombrerions dans la banalité du mammifère domestique. Cette assurance par défaut est la digue qui nous aide à ne point sombrer définitivement dans le désespoir et dans l’embrasement de la guerre totale.

VI- Les universitaires et l’industrie des cadavres
Lorsque les cadavres s’amoncellent dans le champ de bataille à la cadence des billets de banque qui atterrissent dans la poche des truands et des entremetteurs de la mort, il nous revient le devoir moral et civique, celui de rappeler que le bifteck et la violence tiennent une place insignifiante devant la grandeur et le prestige d’une Nation prospère et respectée. Par conséquent, chaque responsable politique, administratif, militaire, et les citoyens en général doivent contribuer à construire la Nation par leurs activités et leurs sacrifices quotidiens.

Des illuminés pleins de morgue et de suffisance déploient un effort luciférien pour se soustraire à la prison intérieure qui les constitue. Pourtant, le plus important n’est pas de donner la mort, mais de gagner la bataille posthume, à savoir, enterrer sa victime dans l’oubli, l’éradiquer de la mémoire des générations à venir. Cela veut dire que le bourreau ne réussit jamais survivre à ses victimes. Il reste noyé dans ses crimes et il demeure aliéné et possédé par ses cadavres. C’est pourquoi nous soutenons que le travail à mener, ce n’est point de passer le temps à défendre des postures partisanes, des intérêts de partis, des accointances villageoises. Nous devons nous embarquer dans la clarification de notre horizon commun en boostant nos capacités d’analyse et les facultés humaines mobilisées dans le travail du voir, du dire, du concevoir et du promouvoir. D’où la nécessité de penser le présent pour redéfinir les priorités et les aspirations de notre peuple. C’est par exemple le travail de la philosophie.

Fridolin NKE
Expert en discernement

 

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