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LES MINISTRES BUVEURS DE GRANDS VIN DU CAMEROUN SONT DES VILLAGEOIS

Par

Jean-Pierre Bekolo

Il y a trop de villageois parmi nous. Chaque Camerounais comprend ce que signifie être un villageois. On ne vous explique pas ce que c’est qu’être un villageois, on reconnaît le villageois. Quand l’homme blanc arrive chez nous, nous sommes tous des villageois et tout ce que l’homme blanc apporte chez nous nous émerveille, normal, on a déjà vu ça ou? Tu n’as jamais vu une voiture, on te met dans la voiture et tu commences à rire tout seul… quand elle démarre alors ce sont les dents que tu veux voir ? En d’autres termes, la modernité qui nous arrive nous trouve tous villageois. C’est normal.

Ce qui n’est pas normal, c’est quand les villageois que nous sommes décident à leur tour d’obtenir ou de consommer ce qui les a émerveillé. Si c’est le costume qu’il décide de porter, d’abord il ne choisira pas le costume en fonction de sa forme physique mais plutôt en fonction de son prix, « donnez-moi le costume le plus cher » ou « le même que celui que portait telle personne. » Lorsqu’il portera le costume, quel que soit son prix, quelle que soit sa marque, lorsqu’il se présentera devant vous, vous saurez toujours qu’il est un villageois. De même que le séjour dans l’eau d’un tronc d’arbre ne fera jamais de lui un crocodile ! Combien de ministres correspondent à cette description d’un villageois ? Donnez-lui tout, il n’y a rien à faire. Ce qui est vrai pour le costume l’est aussi pour les voitures et même les maisons.

Les maisons. Vous entrez dans la maison d’un ministre milliardaire et vous comprenez que l’argent n’achète pas tout. Quand un villageois est alors envoyé pour négocier un partenariat au nom du Cameroun, d’abord les gars qui l’accueillent savent déjà que nous sommes des villageois, donc ils vont le confondre avec toutes les choses qui ne laissent pas le villageois indifférent. Cela commence par une invitation dans des restaurants qui vont impressionner le villageois, la nourriture qu’il ne sait pas manger, les vins et le champagne dont il ne sait pas apprécier le goût… à cela ils ajoutent une femme blanche à ses côtés qui reste un fantasme du villageois. Lorsque le jour de la négociation arrive, le villageois a déjà d’autres problèmes. Si ce sont les machines qu’il est allé acheter, il compte plutôt le temps qu’il lui reste pour acheter sa voiture, son salon, ses propres vêtements… le gars n’est plus avec le pays pour lequel il est en mission.

Quand il sort pour visiter la ville, ce n’est pas pour apprendre quelque chose de culturel, c’est plutôt pour prendre des photos pour dire qu’il était là-bas. Il y a beaucoup de villageois parmi nous, en fait nous sommes d’abord des villageois et c’est tout notre problème. Nous sommes trop préoccupés par le fait de sortir de la brousse, nous sacrifions tout. Si nous avons un projet, c’est d’abord celui sortir de notre brousse. Construire un pays n’est pas une priorité. Notre rêve est que notre village devienne la ville. Nous savons que nous sommes en retard et au lieu de vouloir avancer ensemble, nous voulons avancer seuls.

Quand nous achetons une nouvelle voiture, là où nous la présenterons en premier c’est chez nous, au village là où nous sommes sûrs que nous serons les seuls à l’avoir. Et nous ferons en sorte de rester le seul dans toute la contrée à en avoir. Malheur à celui qui nous défiera en achetant la même, je ne parle pas de celle qui dépasse la mienne. Voilà donc nos problèmes de villageois alors que le pays est submergé par toutes sortes de choses qui nous dépassent à résoudre. Vous connaissez ces ministres qui avaient un parking de trente voitures, n’est-ce pas ? Être un villageois est une maladie.

Pourtant, nous avons connu une génération, celle de nos parents qui étaient encore plus villageois parce qu’ils sortaient eux alors de la vraie brousse. Comment ont-ils réussi à être moins villageois que les villageois d’aujourd’hui ? Comment ont-ils réussi à rester sérieux et dignes sans extravagance ni désinvolture comme ces spectacles que nous offrent les villageois d’aujourd’hui ? Est-ce parce qu’ils vivaient avec les Blancs pendant la période coloniale et que cette proximité les a décomplexés ? Le mot est lancé « complexé » : le villageois a un complexe d’infériorité.

En pensant à ses origines, il sait qu’il n’est rien. C’est pourquoi il doit déployer tous les artifices et les signes extérieurs pour prouver qu’il est quelque chose… et surtout qu’il est quelqu’un d’autre que ce qu’il est : un villageois. Si vous essayez de le lui rappeler, vous pouvez être sûr qu’il se vengera en utilisant tous ses moyens pour vous neutraliser car vous aurez essayé de briser tout ce qu’il essaie de construire dans sa vie. Les villageois nous coûtent cher.

La véritable guerre civile qui se déroule dans ce pays est celle que les villageois mènent contre le reste du peuple et si nous parvenons à ne plus être des villageois, ce pays s’en sortira. En d’autres termes, ce sont les villageois qui empêchent ce pays de progresser.

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