LES PROTECTEURS DE PAUL BIYA CONDAMNÉS EN SUISSE
Avis de droit en main, les prévenus, qui contestent leur condamnation, estiment être couverts par une immunité. Le bras de fer continue devant le Tribunal fédéral.
Les agents de sécurité du président camerounais Paul Biya refont parler d’eux devant la justice. Rappelons que les cinq hommes ainsi qu’une secrétaire de l’ambassade du Cameroun à Berlin avaient été condamnés en été 2019 pour avoir rudoyé un journaliste de la RTS devant l’Hôtel Intercontinental. Les prévenus ont contesté cette décision au motif notamment qu’ils bénéficiaient d’une immunité.
Selon nos renseignements, la Chambre pénale de recours (CPR) les désavoue cet automne malgré l’avis de droit fourni par les agents. Ces derniers avaient mandaté un professeur de droit lausannois qui concluait à l’existence d’une immunité. Me Robert Assaël, avocat d’un agent, réagit vertement: «Les prévenus n’ont pas commis les faits que le Parquet leur reproche.
Cette décision est aussi contestée, car les prévenus bénéficiaient de l’immunité de juridiction des agents de l’État, faisant obstacle absolu à leur poursuite pénale en Suisse. Un éminent professeur de droit le confirme!»
Des gardes du corps ont été condamnés à des peines de prison avec sursis. Parmi les infractions retenues pour l’un ou l’autre des prévenus figurent la contrainte et l’appropriation illégitime d’un objet (il s’agit du téléphone portable du journaliste) sans dessein d’enrichissement et l’infraction de dommage à la propriété (les lunettes brisées du journaliste).
Les faits datent du 26 juin. En fin de journée, un journaliste de la RTS se rend à proximité du célèbre hôtel pour «prendre la température» auprès des opposants du président camerounais en poste depuis 1982. Ce dernier loge dans le palace, raison pour laquelle une manifestation se prépare. C’est dans ce contexte que le journaliste a été victime de cette intervention musclée. Certains agents l’ont immobilisé alors que d’autres s’emparaient de ses affaires, notamment son téléphone et son sac à dos. «Le plaignant, après avoir salué un opposant, a filmé la scène. Rien ne laissait penser qu’il s’agissait d’un journaliste», note Me Assaël. Le journaliste, qui a pu par la suite récupérer ses affaires, endommagées, a porté plainte, ouvrant ainsi la voie à une procédure pénale.
«Le président n’a pas été apostrophé ou injurié […] Les agents n’avaient aucun motif pour justifier leur intervention sur la voie publique.»
Les prévenus soutiennent avoir agi dans le cadre de leur mission officielle. L’avis de droit relève que les actes litigieux n’ont pas été commis à titre privé mais officiel […] les agents pouvant s’opposer à la compétence juridictionnelle des autorités pénales suisses, la procédure devait être classée. Dans le cadre du recours, le procureur général Olivier Jornot estime pourtant qu’au regard du caractère privé de la visite de Paul Biya, l’intervention de son service de sécurité destinée à disperser des opposants et empêcher un journaliste d’exercer son métier ne peut être considérée comme une manifestation de la souveraineté de l’État camerounais. Par ailleurs, selon le Parquet, l’immunité du chef d’État ne s’attache qu’à sa personne, à son conjoint et aux membres de sa suite ayant un rang élevé. Ce n’est pas le cas des prévenus, qui ne peuvent l’invoquer aux yeux du Parquet.
3000 francs à verser à l’État
Au final, les juges de la CPR vont dans ce sens. Ils constatent que le climat ce jour-là lors du rassemblement n’avait rien de délétère. De plus, le président, qui n’était pas présent, «n’a pas été apostrophé ou injurié […] Les agents n’avaient aucun motif pour justifier leur intervention sur la voie publique. Le Ministère public ne s’est pas immiscé dans la souveraineté d’un pays étranger mais a simplement veillé à ce que l’inverse ne se produise pas.» Les recourants se voient donc en plus condamnés à payer 3000 francs de frais à l’État.
Et Me Robert Assaël de conclure: «La CPR ayant violé le droit international, les prévenus ont saisi le Tribunal fédéral. Il est hors de propos que le chef de l’État était en visite privée, se trouvait à l’intérieur de l’hôtel et qu’il n’ait pas été apostrophé. Une manifestation se préparait contre lui, son service de sécurité devait réagir dans le cadre de sa mission officielle, ce d’autant plus que deux jours avant des activistes violents avaient saccagé les ambassades camerounaises en France et en Allemagne.»
Source : Tribune de Genève