LES SIGNES GRAVES DE L’APPROCHE DE LA MORT DE PAUL BIYA COMME D’AUTRES PRÉSIDENTS AVANT LUI
L’épouse du président de la République, Chantal Biya a eu un geste très maladroit en soulevant les bras de son mari de président pour saluer la foule dans la salle de réception du Palais d’Etoudi. La foule compacte des invités, entassés comme des bêtes dans un enclos, a dû donner le tournis à un homme épuisé par une longue journée de fête où il a subi un défilé civil et militaire interminable. On peut critiquer au passage cette tradition instaurée par le Renouveau qui entasse les invités dans une salle des banquets surpeuplée où tout le monde se fait écraser les orteils dans une chaleur étouffante.
A quoi servent les immenses jardins du palais présidentiel en capacité de contenir des centaines de convives dans une garden-party digne de ce nom comme on le fait les jours de fête nationale au Palais de l’Elysée à Paris ou au palais de Buckingham, résidence de la Reine d’Angleterre? Suffoquer de chaleur dans un climat tropical doux qui offre même le soir, de la fraîcheur, à Yaoundé, cela tient d’un véritable délire.
Où sont donc passés ces jours anciens où toutes les grandes dames de la capitale faisaient assaut d’élégance pour la soirée au Palais diner classique assis, orchestre rythmant une soirée dansante?
Ce 20 mai 2019 a donné à toute l’opinion camerounaise une idée de la terreur qu’inspire notre peuple au Président qui est régulièrement élu avec un score dit soviétique. Comment expliquer aux pays amis que le président a été véritablement élu par l’écrasante majorité du pays? Comment comprendre que plus de 36 ans après la seule tentative de putsch, le président affiche cette phobie de ses concitoyens? La capitale doit être totalement vidée tout le long du parcours entre le palais présidentiel et la place du défilé. On est bien loin de l’époque où son prédécesseur exigeait que les écoliers et les militants du parti unique viennent tous se masser tout le long de son parcours poir qu’il les salue tous à bord de sa limousine décapotable, une Lincoln.
Maintenant, le président se déplace dans un véritable bunker ambulant composé d’une voiture ultra blindée, une nouvelle d’ailleurs, une autre espèce de char d’assaut pudiquement habillé en véhicule 4×4, le tout escorté d’une gentille Jeep militaire. Mais autour de sa voiture, courent des gardes du corps en costumes, puis la police en moto, et la garde présidentielle en grande tenue et à cheval. Le défilé militaire toujours ouvert par une sorte d’armée prétorienne avec le Bir et la Garde Présidentielle avant l’armée régulière.
Mais le pire en terme d’image, c’est cette escouade de molosses, des chiens tueurs que les pouvoirs racistes des Etats-Unis et de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, envoyaient sur les manifestants Noirs en lutte pour leur émancipation. C’était au cœur du siècle dernier. Il ne peut venir à personne , l’idée que ces chiens dressés à tuer serviront à mordre un cambrioleur égaré dans la cour du palais présidentiel au village du président à Mvomeka’a ou à Etoudi. Non, il s’agit bien de tuer des manifestants lorsqu’on les a ratés par balles. Soweto, Alabama, même combat auquel le régime peut se rapprocher en matière de répression des masses.
En clair, le président nous montrait ce 20 mai quelques éléments de la mise en scène de la terreur d’Etat qu’on utiliserait en cas de toute contestation populaire. On ne peut s’empêcher de remarquer que ces molosses sont nourris de morceaux de choix taillés dans de la bonne viande. Rien à voir avec ces millions d’enfants privés de protéines dans nos quartiers les plus pauvres
Chaque fois qu’une contestation populaire met à bas un régime, Etoudi se crispe et met en œuvre des mesures supplémentaires pour tenir.
On comprend donc qu’à la fin de la journée, le président montre des signes inquiétants non seulement de fatigue mais d’épuisement au point de ne plus pouvoir s’orienter dans un espace réduit à un mouchoir de poche.
Il y a une vingtaine d’années le journaliste Puis Njawé purgeait une peine de plusieurs années à la prison de centrale de New-bell à Douala, pour avoir écrit que le président a eu un malaise lors d’une cérémonie publique. Il aura fallu la mobilisation de la presse nationale avec toutes ses organisations et des organisations internationales de protection des journalistes dont Reporters sans frontières en France, l’Ong Camerounaise Ocalip, l’Union des Journalistes Camerounais, et The Committee to protect journalists à New-York. L’emprisonnement de Njawé était un avertissement contre quiconque s’aventurerait à évoquer la santé du président de la République en bien ou en mal, surtout en mal. On se serait cru en Corée du Nord. Une condamnation sévère pour avoir tout simplement dit que le président avait eu un malaise. La foudre judiciaire doit vous tomber dessus comme une véritable bombe atomique pour vous dissuader d’évoque la santé du président. Les autorités ont justifié la condamnation de Njawé par le fait que cette information aurait pu provoquer le chaos et entraîner le pays dans une déstabilisation aux lendemains incertains.
La démocratie était pourtant déjà là, en 1997. Depuis, personne n’allait plus oser parler de la santé du présidentielle en dépit des signaux criards à chaque apparition de Paul Biya.
Mais cette fois-ci, la génération androïde célébrée par le président lui-même, a trahi ce que le président cachait. Comme toujours pendant la réception au palais, chaque invité se précipite sur son portable pour capter l’image du couple présidentiel, preuve qu’on était bien un des heureux élus venus trinquer avec Dieu le Père. Comment résister à la tentation de fixer sur son portable l’image du couple présidentiel, pour qu’on puisse dire preuve à l‘appui : » j’y étais »?
Mais le geste de la première dame, aidant son mari à lever des bras pour saluer, et l’orientant pour qu’il ne se perde pas, a tout révélé sur l’état de santé de Paul Biya. Mais ce cas n’est pas unique dans l’histoire, et le président ne devrait pas le redouter car notre histoire récente regorge de cas de malades installés au pouvoir. Ils croient toujours qu’en se cachant, ils dissimulent à leurs concitoyens, ce qu’ils doivent savoir.
L’histoire des grands malades au pouvoir
Lorsque le président soviétique Léonid Brejnev est en fin de vie, il ne parvient plus à s’orienter. Pour saluer un hôte au bas de la passerelle à la descente de l’avion. Le protocole est obligé de diriger sa main qu’il ne peut plus orienter. Naturellement, la Cia, toujours à l’affût pour décrypter tous les faits et gestes du principal ennemi de la guerre froide, constate que la maladie de Brejnev ne lui laisse plus que quelques semaines de vie. À sa mort, le politburo du parti communiste soviétique choisit Andropov, la Cia pose un nouveau diagnostic sur le nouveau venu. Lui aussi est gravement malade et il décèdera quelques mois plus tard. Cette fois, le parti choisit Tchernenko pour lui succéder. Nouveau diagnostic alarmant. Tchernenko meurt très vite. C’est alors que le parti choisit enfin un « jeune homme » pour lui succéder : Mikhaïl Gorbatchev. On connaît la suite.
Plus loin, en Tunisie, le héros de la lutte contre le colonialisme, Habib Bourguiba s’éternisait au pouvoir, malgré une déficience de ses facultés mentales perceptibles, ses sautes d’humeurs, ses oublis, son irascibilité , etc. Bourguiba décide de se séparer de Mohammed M’Zali son inamovible premier ministre. Il nomme alors Zine Abdine Ben Ali. Mais à peine arrivé aux affaires, que le vieux annonce son limogeage. Ben Ali convoque alors en urgence le conseil constitutionnel et les médecins pour établir son bulletin de santé et de conclure devant les institutions son incapacité à diriger le pays.
Autre exemple plus complexe celui-là, car il s’agit d’un pape, le Pape Jean-Paul II. En 2005, le Pape est au plus mal, mais le Vatican tient à l’exhiber à la fenêtre pour saluer la foule. Cela a donné lieu à des images bizarres où on hisse le pape à la fenêtre quelques minutes, puis on le descend, et on le fait à nouveau une fois. C’était à se demander si le pape, un homme de spiritualité, ne pouvait se préparer dans l’intimité à quitter ce monde. Jusqu’au bout, la communauté catholique fera comme si ce pape ultra médiatisé et grand voyageur devant l’Eternel, n’avait pas droit à un peu d’intimité et de sérénité.
On peut alors comprendre pourquoi le rigoriste Cardinal Ratzinger, gardien de la doctrine qui va lui succéder sous le nom de Pape Benoît XVI, choisira de démissionner plutôt, que de se donner en spectacle lorsque sa fin s’annoncera.
On s’en tiendra à ces deux cas pour ne pas évoquer Abdelaziz Bouteflika qui jettera lui-même l’éponge sur la demande du peuple algérien descendu dans la rue.
Dans un tout autre pays d’Afrique australe, la succession a été surprenante. Les forces déclinantes de Robert Mugabe ont poussé la première dame, Grace Mugabe à afficher son pouvoir tout puissant sur la gestion des affaires de l’Etat, au point d’exacerber la hiérarchie du parti au pouvoir, la Zanu-Pf et la hiérarchie militaire. Ce sont ces deux institutions qui vont prendre la décision de déposer le président pourtant héros de la lutte de libération du Zimbabwe.
La leçon à en tirer c’est que les services secrets, même les plus médiocres, seront en capacité de déceler en la personne du président de la République toute défaillance physique liée à une simple fatigue passagère ou des symptômes plus importants liés à une maladie grave . En fait, les services secrets étrangers savent tout, tandis que le président lui-même met un point d’honneur à se faire soigner exclusivement en Suisse. En réalité on cache aux Camerounais ce que ces médecins Suisses sont plus informés sur la santé du président que ses concitoyens.
De plus en plus, des forces lancées dans la course de positionnement autour de la succession, s’affrontent avec violence. C’est tout le sens de cette lettre qui circule sur le net faisant état d’une prétendue colère des officiers de l’armée d’origine Bulu qui se croient écartés de la succession du Président Paul Biya. D’autres textes circulent sur la mainmise d’un prétendu clan de Nanga-Eboko dirigé par la Première dame qui s’appuie sur le Secrétaire général de la Présidence et du ministre de la culture.
Dans cette aventure conviée au festin de l’Etat devenu patrimonial, c’est cette caste dirigeante issue de plusieurs régions du pays qui ont pillé les caisses de l’Etat avec l’encouragement du président lui-même qui affirmait à la presse française qu’il n’avait pas connaissance de ce que la presse de son pays affirmait. Il a fallu attendre les menaces des bailleurs de fonds outrés par cet argent du Trésor public qui a servi à enrichir une classe de prédateurs sans scrupules.
Quand le président se rend compte que le pays livré aux fourches caudines des bailleurs de fonds internationaux ne trouve plus la force de redresser le pays, alors il se barricade au palais du village comme le fit jadis son ancien homologue, Mobutu du Zaïre, dans son village de Gbadolite.
Paul Biya et son entourage ont réussi leur coup. Le chef de l’Etat est transformé en une espèce de fantôme social qui ne voit personne, ne parle à personne et n’apparait plus que dans son palais à l’occasion des cérémonies officielles.
Il faut dire que la violence des plans d’ajustements structurels a été telle que le président , désormais privé de toute souveraineté budgétaire et de tout levier économique et social, a définitivement battu en retraite. Il ne peut désormais que se contenter du rôle de gendarme qui lui a été assigné par les bailleurs de fonds à savoir, réprimer tout mouvement social d’où qu’il vienne. Dans ce contexte, la fonction présidentielle est réduite à néant. Impossible de tenir la moindre promesse de bien-être pour ses compatriotes.
La distribution des prébendes pour s’acheter une paix sociale factice pour élargir les soutiens de tous acabits sans une réelle politique d’alliance puisque le régime ne présente à ses partenaires la moindre vision. Les projets marquent le pas ou disparaissent lorsque le budget prévu a fini sa course dans les comptes des paradis fiscaux.
Alors, le président est absent. On ne le voit plus qu’à la télé. L’homme invisible d’Etoudi laisse aux forces de défenses et de police le soin de tenir tout le monde en respect. Les pauvres sous-préfets qui doivent justifier l’injustifiable. Le régime s’abrite derrière un arsenal de lois impropres à toute démocratie digne de ce nom.
Alors, le président doit s’activer à préparer la succession comme le fit son prédécesseur sans qu’il n’y ait de remous. Il faut éviter des bruits de bottes qui s’annoncent lorsque les institutions chancellent. C’est malheureusement encore le cas au Cameroun quoiqu’on dise. Ces bruits de bottes qui s’annoncent trahissent les conséquences d’une succession sujette à caution, là où son prédécesseur a réussi une transition propre sans conflits, ni états d’âmes. Dans une société où les promesses de prospérités du président n’ont jamais été suivies de résultat, le président a choisi de cultiver la distance et l‘isolement, protégé par les forces armées et de polices, et une certaine bienveillance de la communauté internationale. Mais, il a fini par lasser ses plus fervents soutiens, tant la situation politique et économique est désastreuse. La parole présidentielle n’est plus crédible, pire encore, plus personne ne l’écoute . Seuls les ministres et les chefs font semblant.
Le système féodal construit par le Renouveau où seuls les élus ont droit à la cité et tout le monde est exclu, donne toujours lieu à des révolutions violentes, les plus violentes de l’histoire. Mais visiblement le pouvoir ne semble pas s’en préoccuper.
Les pressions internationales que craint au plus haut point le régime de Yaoundé en dépit de ses fanfaronnades, provoquent de véritables démangeaisons souverainistes à s’arracher peau. Mais quand le président est en difficulté, on se précipite dans des cours de droit international public pour réciter les devoirs de la Suisse envers notre institution présidentielle en divagation.
Si la santé du président est à ce point défaillante, alors qu’on le dise au Camerounais. Le président Ahidjo s’était retiré du pouvoir pour des raisons de santé selon son épouse. Que Biya en fasse autant, et il n’y aura pas mort d’homme.
Douala le 5 juin 2019
Henriette EKWE
Journaliste