Afrique Culture

LETTRE À L’ARTISTE MUET BEN DECCA

CHER BEN DECCA…

J’étais de ceux, avec mon ami et frère Jean-Crepin Nyamsi et ma tendre et chère, à soutenir publiquement, sans fards et avec courage le déroulement du concert de tes 35 ans de carrière. C’était, dans l’esprit de mes engagements et de mes combats pour la justice, les libertés et une certaine cohésion camerounaise, une manière de séparer le bon grain de l’ivraie, après avoir organisé une rencontre entre la Bas qui prônait le boycott, les artistes et les promoteurs pour clarifier l’argument qui sous-tendait ce mot d’ordre et favoriser l’apaisement.

Pour cela, je n’ai ménagé ni mon temps pour diffuser deux messages vidéo ni mon énergie pour me rendre à ce spectacle ni mon dimanche pour être présent à Montreuil à la conférence de presse en prélude à cet événement comme au cours de la rencontre de remerciement organisée par le promoteur. Je ne le regrette pas et je recommencerai si besoin se fait.

Cher Ben Decca, je m’étonne tout simplement de ton silence, comme dans la torpeur d’un studio de musique désaffecté, face à cette dérive dictatoriale qui conduit à la mise sous verrous de Camerounais, sans le minimum de respect de la procédure pénale. Je m’étonne de ce silence assourdissant de toi, chantre de cette mélodie contre les exactions du Groupement Mobile d’Intervention, face à la brutalité à laquelle est soumis ton jeune collègue Valsero, traîné dans des cachots du grand-banditisme et de l’anti-terrorisme, juste pour son engagement citoyen.

Quand serons-nous un choeur, une chorale, une philharmonie contre cette assomption de l’autoritarisme, sous une façade démocratique ?

Quand est-ce que des virtuoses comme toi redeviendront-ils des gardiens de nos valeurs et principes essentiels ?

Quand est-ce qu’une parole de Ben Decca comme Eboa Lottin hier ou Lapiro, Lucky Dube, Bob Marley, viendra couvrir le vacarme du tribalisme et de la dérive policière ?

Combien de temps allons-nous rester chacun dans son coin, vivre sa vie et brasser les cachets de concerts quand meurent dans des fosses communes nos frères et sœurs ?

Quand est-ce nous serons une symphonie guidée par le chant de révolte de ceux qui refusent l’ensauvagement de notre pays, le Mboa qui ne se réduit ni à la terre des Bamoun, au pays Sawa, aux vallons du pays Bamileke ou aux savanes du Septentrion ou aux terres Bassa-Mpo- Bati?

J’aime beaucoup ce mot en Douala : O Mulema! Avec le cœur ! Oui, il faut que des figures comme toi retrouve ce cœur qui irradie ton immense œuvre et fait chavirer les dames. Il faut que le cœur guide tes pas vers Valsero et qu’il fredonne en enlevant ses chaînes, cet air de liberté quand nous serons tous allés le chercher et nos compatriotes avec, devant ces pénitenciers où ils n’ont pas leur place.

Dans ce tourbillon, titre d’une de tes plus belles galettes, l’amour que nous te portons ne doit plus être à sens unique…J’attends ta voix de grand !

Abdelaziz Moundé

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