NOUVEAUX ACCORDS MILITAIRES ENTRE LA FRANCE, LE CAMEROUN ET LA CÔTE D’IVOIRE: LES SECRETS DU PACTE COLONIAL
*26 DÉCEMBRE 1959: SIGNATURE DU PACTE COLONIAL ENTRE LA FRANCE ET LE CAMEROUN*.
de Jean-Paul Pougala
(Extrait de la leçon de Géostratégie Africaine n° 70 partie 1/2 de J.P. Pougala publiée il y a 5 ans, le 15/05/2014)
Dans son livre intitulé : « Les Bamiléké au Cameroun: Ostracisme et sous-développement » à la page 159, Thomas Tchatchoua nous donne des détails très croustillants, même si tristes, très tristes de l’environnement dans lequel ont été signés par Amadou Ahidjo, tous les accords post-indépendance avec la France, y compris les fameux accords militaires. Il en résulte qu’après avoir fait écarter les camerounais qui étaient avec Ahidjo, tous les conseillers chargés de négocier les accords avec la France étaient des français.
Ainsi, selon cette source, les accords de défense entre le Cameroun et la France ont été négociés, côté camerounais, par deux français : Jacques Rousseau et Georges Becquey. C’est à dire que le pays France a négocié avec 2 français, représentant le Cameroun de l’avenir du Cameroun. Un vrai cirque.
Et que stipulent donc ces accords confidentiels de défense entre le Cameroun et la France ?
Dans ces accords, en échange de la protection militaire de la France, il est imposé au Cameroun de suivre les quelques indications suivantes :
a) Informer la France de la politique que les politiciens camerounais entendent suivre en ce qui concerne les matières premières et produits stratégiques, ainsi que des « mesures qu’ils se proposent de prendre pour l’exécution de cette politique »
b) Faciliter, au profit des forces armées françaises, le stockage des matières premières et produits stratégiques; et lorsque les intérêts de la défense l’exigent « limiter ou interdire leur exportation à destination d’autres pays »;
c) « Le Cameroun doit réserver en priorité, la vente de ses matières premières et produits stratégiques à la République française, après satisfaction des besoins de sa consommation intérieure, et s’approvisionner en priorité auprès de la France », etc.
d) Les accords mentionnent une liste de matières premières dites stratégiques qui appartiendront de fait à la France s’ils seront découverts sur le sol camerounais, notamment : les hydrocarbures liquides et gazeux, l’uranium, le thorium, le lithium, le beryllium, l’hélium etc. De peur que dans l’avenir, la science identifie certains minerais qui ne figuraient pas sur la liste, la France a pris soin de signifier que cette liste pouvait encore s’allonger sans trop de complication, en ces termes : « les modifications à cette liste feront l’objet d’échanges de lettres entre les parties contractantes ».
En des mots plus simples, avec ces accords signés par 2 français sous la présidence de Amadou Ahidjo, en 1960 et renouvelés en 1974, le sous-sol du Cameroun appartient à la France. On comprendra seulement après que même ce qui était au dessus du sol appartenait aussi à la France, comme les plantations de café et de cacao, d’où le risque de prison pour toute personne qui tentait de couper ces plantes pour les remplacer par quelque chose de plus rentable.
Et ce n’est qu’en 2009, après la signature des nouveaux accords que les Camerounais ne risquent plus la prison lorsqu’ils se débarrassent de ces plantations ingrates et inutiles de café, de cacao et de coton. D’après le contenu des nouveaux accords par Paul Biya et Nicolas Sarkozy, on peut donc affirmer que l’indépendance du Cameroun ne commence qu’en 2009. Et pourquoi donc ?
NOUVEAUX ACCORDS DE PARTENARIAT DE DÉFENSE OU ACTE DE DIVORCE
La constitution du Cameroun est modifiée en mars 2008 et Biya peut se présenter à nouveau. Mais au même moment, il va jurer à ses interlocuteurs français et américains qui veulent son départ qu’il ne va plus se représenter. Tout ce qu’il veut maintenant, c’est l’abolition des accords de défense avec la France. Des indiscrétions proches de la présidence camerounaise, nous apprendrons plus tard que Biya avait même fait croire d’être à ce point malade qu’il ne pouvait même pas se rendre à Paris pour la signature des nouveaux accords, confirmant de fait à ses interlocuteurs français qu’il ne se représenterait plus.
À Paris, on chuchote en coulisse que c’est même l’un des éléments déterminants qui va convaincre Nicolas Sarkozy d’envoyer son premier ministre à Yaoundé. Alors que pour tous les autres pays africains qui vont renouveler ces mêmes accords, leurs présidents seront obligés d’effectuer le déplacement à Paris.
Le 21 mai 2009, bingo ! C’est fait. C’est par communiqué de presse que nous avons été informés de la signature à Yaoundé entre le Président du Cameroun, Paul Biya et le premier ministre français François Fillon d’un accord instituant un « partenariat de défense ». C’est un texte composé de 28 articles et d’une annexe, lui-même en 11 articles.
Lorsqu’on compare ce texte à celui de 1974, et à celui signé en même temps, ou après, entre la France et d’autres pays africains, on peut dire que c’est l’acte officiel de divorce entre le Cameroun et la France. Il s’agit en effet d’un texte très vague, composé de grands principes propres à la diplomatie de la langue de bois, reprenant pour l’essentiel les accords-cadres de Lisbonne de 2007 entre l’Union européenne et l’Union africaine.
Qu’est-ce qui change entre l’ancien et le nouvel accord ?
– Avant, pendant 50 ans, il s’agissait des : « accords de défense et de coopération technique militaire », condamnés à rester secrets. Désormais, c’est plus court, ce sont les « accords de partenariat de défense ».
– Avant, les accords étaient confidentiels. Désormais, ils sont publics, tout simplement parce qu’il s’agit dans ce cas d’un vrai accord de divorce et nous allons voir pourquoi.
– Toute la partie de contrainte pour le Cameroun et des matières premières dites stratégiques devant revenir automatiquement à la gestion de la France a tout simplement été supprimée des accords. Ce qui en langage du quartier Briqueterie à Yaoundé, veut dire que ce n’est que depuis 2009 que le Cameroun est réellement devenu indépendant et que Monsieur Biya n’est en réalité président du Cameroun que depuis cette année-là, pouvant donc librement disposer du sol camerounais sans l’accord préalable de la France. C’est ce qui explique la frénésie des contrats tous azimuts avec la Chine, ce qui était tout simplement impossible il y a 10 ans, lorsque l’Angola par exemple profitait de la manne chinoise pour relancer son économie.
UN ACCORD DE VRAI DIVORCE
À l’article 2 alinéa 2, on nous donne même le nombre maximum de militaires français qu’il peut y avoir sur le sol camerounais. Et ce nombre est de 15. L’accord va plus loin. Il nous indique même le travail de ces 15 militaires français présents sur le sol camerounais : ils doivent s’occuper uniquement de la logistique.
Il est même indiqué que si un militaire français vient au Cameroun former les Camerounais, il est obligé de porter la tenue militaire camerounaise et non française.
Un dernier détail montre que Biya voulait vraiment en découdre avec la France : le précédent accord avait une durée de 50 ans. Désormais, le nouvel accord n’a de validité que 5 ans renouvelable.
Il a été validé par le parlement français sous François Hollande en 2012, validité jusqu’en 2017.
Question : Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t’il accepté de signer un tel document aussi défavorable à la France ?
Réponse : Sarkozy jusqu’à la fin de son mandat ne va pas soumettre ce texte au parlement français et il faudra attendre 2012, avec la venue au pouvoir de François Hollande, pour que cela se fasse. Sarkozy s’était donc rendu compte, très tard, d’avoir été roulé dans la farine par le président camerounais. Paul Biya avait promis et juré qu’il ne serait pas candidat aux élections présidentielles de 2011.
Celui qui aurait dû venir après lui et remettre en question tous ces accords, attend encore très certainement dans un bureau, dans un aéroport, dans un hôtel ou dans une prison quelque part. Et les médias français relayés par leurs homologues camerounais naïfs qui auraient dû bombarder aux oreilles des Camerounais de l’exceptionnalité de ce sauveur de la patrie devront attendre 2018.
Le seul problème est qu’en 7 ans de vraies libertés de mouvement des dirigeants camerounais, le pays est en train de se transformer en un véritable eldorado, grâce surtout à la nouvelle donne créée par les investissements chinois. C’est à ce titre que le choix des autorités chinoises et camerounaises d’inaugurer le chantier du port en eau profonde de Kribi avec une première enveloppe chinoise d’1 milliard de dollars, la veille même des élections présidentielles d’octobre 2011 n’était pas un pur hasard.
COMAPRAISON AVEC LA COTE D’IVOIRE
Pour comprendre qu’il s’agit bien d’un acte de divorce entre le Cameroun et la France, nous devons mener une autre comparaison et c’est avec l’accord que le président Gbagbo ne voulait pas signer et que le nouveau pouvoir à Abidjan a été très heureux de signer dès son arrivée au pouvoir en 2011.
C’est par communiqué de l’Ambassade de France à Abidjan le jeudi 17 novembre 2011 que nous sommes informés que mercredi 16 novembre 2011, le nouvel accord de partenariat de défense a été parafé entre le nouveau Premier ministre et ministre de la Défense ivoirien, Guillaume Soro et l’ambassadeur de France, Jean-Marc Simon. Au premier chef, on constate que ces accords confirment le maintien des troupes françaises sur le sol ivoirien, même si réduit de moitié de 700 personnes à 350.
C’est en tout cas, ce que dit le texte, réduction due surtout aux raisons économiques, car la France n’a plus les moyens de tenir beaucoup de militaires dans le pays. Mais ce qui attire notre attention est la raison évoquée pour cette présence : « Une présence militaire pour assurer la protection des ressortissants français en cas de crise, mais aussi pour former les forces ivoiriennes. » La question que même nous les « pousseurs » ne pouvons ne pas nous poser est celle-ci : pourquoi la France a-t-elle besoin d’une base militaire à Abidjan pour la sécurité des Français dans ce pays alors qu’elle n’en ressent nullement le besoin pour le Cameroun ?
Pourquoi pas une base au Vietnam ou au Cambodge et l’Inde ? Les Ivoiriens sont-ils si dangereux ? La réponse est que la base militaire française en Côte-d’Ivoire est la preuve-même de l’amateurisme de plusieurs générations de politiciens français, incapables de comprendre que la vraie guerre est aujourd’hui économique et non militaire.
S’il y a 10 ans on avait demandé à un Ivoirien ce qui dans sa maison provenait de France, il serait arrivé à un pourcentage de 80%. Aujourd’hui, ce pourcentage est ravi par la Chine avec ses produits moins chers et elle n’a nullement besoin de poster une base militaire à Abidjan pour gagner cette bataille économique.
CONCLUSION
Dans l’avenir, il y aura problement plus vite un Métro à Abidjan et rien à Yaoundé, un Tram à Abidjan et rien à Douala. Il y aura certainement encore plus de gratte-ciels à Abidjan qu’à Yaoundé, plus de ponts à Abidjan qu’à Douala, tous construits par des entreprises françaises; un poids de taille sur le dos des générations futures d’ivoiriens qui se retrouveront avec une dette colossale, contractée auprès de la France, pour offrir les grands travaux souvent inutiles ou tout au moins non prioritaires, à ses entreprises qui pourront ainsi continuer de se sucrer là où le Président Laurent Gbagbo voulait fermer le robinet du surendettement du pays.
L’Indépendance, la vraie, est économique. Cette indépendance ne se mésurera pas en nombre de gratte-ciels présents dans une ville africaine, mais le pourcentage de ces immeubles appartenant à des nationaux. Notre indépendance ne se mésurera pas en fonction du tissu industriel performant ou pas, mais combien de Nationaux sont propriétaires de ces usines.
Nous pouvons être fiers de dire que le Rwanda décolle économiquement, mais ce serait mentir à nous-mêmes, si nous ne remarquons pas l’absence des noms rwandais sur la liste des industriels dont nous vantons les produits Made in Rwanda. Au Rwanda, c’est la diversion des Start-Up appartenant aux Rwandais, lorsque les vraies usines, sont presque toutes entre les mains des Indiens, Brésiliens, Israéliens, Iraniens, Pakistanais. De qui se moque-t’on ?
Pour information, la Chine ne se vante jamais du fait que le Iphone ou le Samsun est produit sur son sol, mais met en avant le champion national qu’est Huawei.
Si cette indépendance camerounaise acquise en 2009, ne sera pas accompagnée par des actions de création de richesses, c’est-à-dire d’augmentation du pourcentage des usines appartenant aux camerounais, qui est aujourd’hui, moins de 20%, cela ne sera que de l’indépendance sur le papier, pour faire bavarder les historiens demain.
Jean-Paul Pougala
(Sardinard)