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PAUL BIYA ET LA FRANCE CONTINUENT À S’ENGRAISSER SUR LE DOS DES ANGLOPHONES

Par Michel Biem Tong, journaliste web en exil

Comme il fallait s’y attendre, Paul Biya vient une fois encore de faire montre de ses talents de boulanger hors-pair. Ses courtisans et autres larbins vantent depuis quelques jours dans les médias et sur les réseaux sociaux les mérites du statut spécial accordé aux régions anglophones du Cameroun (s’il faut les appeler ainsi) et qui est contenu dans le projet de Code des Collectivités territoriales décentralisées en examen en ce moment au parlement camerounais.

Le régime de Yaoundé et ses maîtres néocoloniaux français tiennent visiblement plus à la préservation de leurs intérêts dans le Cameroun anglophone qu’à l’autodétermination du peuple qui y vit, malgré l’indépendance octroyée à ce dernier par l’ONU en avril 1961. En effet, le statut spécial en question est un chèque sans provision, un cercueil beau de l’extérieur mais horrible de l’intérieur. En un mot comme en mille, une coquille vide.

Qu’y a-t-il de spécial dans le statut offert aux anglophones ? Rien que les mots : Common Law, House of Chief, House of Divisionnal Representative, Assemblée Régionale, Public Independant Conciliator. Voilà qui fait la différence avec le Cameroun francophone. Pour le reste, le pouvoir de Yaoundé garde la haute main sur tout. Y compris sur la Common Law !

Le gang qui fait main basse sur le Cameroun depuis 37 ans sait-il même ce que c’est que la Common Law ? Il s’agit d’un système juridique et judiciaire purement anglo-saxon qui était inscrit dans la Constitution de Macpherson en 1948, laquelle était en vigueur dans le Southern Cameroons (actuelles régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest), alors sous tutelle des Nations Unies (destiné à être Etat indépendant) et administré par l’Angleterre. Et à cette époque, le Southern Cameroons avait un parlement qui légiférait suivant la Common Law et un exécutif incarné par le Premier Ministre (Dr Endeley puis Ngu Foncha) qui veillait à l’application des lois émanant de ce sous-système juridique anglo-saxon.

Or non seulement il n’existe aucun parlement dans le Cameroun anglophone (le parlement du Southern Cameroons a été aboli en mai 1972 par Amadou Ahidjo) pour légiférer suivant la Common Law, mais, plus grave, c’est Paul Biya qui, d’après l’article 3 alinea 4 du projet de Code des collectivités territoriale, va prendre des textes particuliers (des décrets) pour donner du contenu à la Common Law. Sacrilège !

Selon le projet de Code en examen au parlement camerounais, les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest auront chacune une Assemblée Régionale. Mais attention, elles n’auront aucun pouvoir de légiférer. Pourtant, en République démocratique du Congo, les Assemblées provinciales détiennent des pouvoirs législatifs sur le plan local. Les Assemblées Régionales du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ne pourront que délibérer sur des questions de développement économique, social et culturel, sur le plan local.

Mais ne nous réjouissons pas trop vite ! Assemblée Régionale n’est pas synonyme d’autonomie. Surtout quand on est dépourvu de pouvoir législatif. D’après l’article 348 du projet de Code, la présence d’un représentant de l’Etat lors des travaux de l’Assemblée Régionale (le défenseur des intérêts de la bourgeoisie régnante à Yaoundé) est de droit et ce dernier est autorisé à prendre la parole pendant les sessions.
A titre d’exemple, si l’Assemblée Régionale du Sud-Ouest veut délibérer sur une taxe de 30% sur l’exploitation des produits pétroliers à Limbé, le représentant de l’Etat peut estimer au cours des travaux que ce taux est très élevé et qu’il faut le ramener à 5%.

Le représentant de l’Etat aura donc un grand rôle à jouer dans les Assemblées Régionales du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Surtout que d’après l’article 345 alinea 4, toutes les délibérations (décisions) adoptées par les Assemblées Régionales font l’objet de transmission au représentant de l’Etat envoyé par Yaoundé.

Même au sein du Conseil exécutif régional chargé de mettre en application lesdites délibérations, l’ombre du pouvoir de Yaoundé plane. D’après l’article 323 alinea 2 du projet de Code, le secrétaire général de la région, nommé par décret présidentiel, pourra par exemple bénéficier des délégations de signature du président du Conseil exécutif régional.

Pour fonctionner et investir, les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest auront besoin d’argent. Mais le projet de Code ne leur permet pas de lever l’impôt de manière autonome sur les ressources du sol et du sous-sol que le clan Biya et les entreprises françaises pillent dans lesdites régions. D’après l’article 390 du projet de Code, la direction générale des Impôts (dont le directeur est nommé par Paul Biya) continuent de collecter les taxes pour le compte des collectivités territoriales (dont les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest).

Selon les articles 399 alinea 1, alinea 3 et l’article 40 alinea 1 du projet de Code, les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ne pourront faire des emprunts intérieurs comme extérieurs ainsi que bénéficier des dons et legs que sur approbation du représentant de l’Etat. Même pour élaborer leur budget, ces régions ne pourront le faire, selon l’article 415 alinea 1, que suivant le cadre réglementaire fixé par les ministres des Finances et de la Décentralisation qui sont basés à Yaoundé.

Les choses sont suffisamment claires. Depuis 3 ans, le peuple anglophone du Southern Cameroons demande à Paul Biya la chèvre. Au lieu de la lui offrir avec sa corde, il garde la chèvre et lui donne plutôt sa corde. Accorder un statut spécial aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest suppose que les populations anglophones redeviennent maître de leur destin sur leur territoire au regard de leur histoire et de leur spécificité.

Le drame est que non seulement le peuple anglophone n’aura aucun pouvoir de légiférer comme ce fut le cas avant la vraie-fausse Réunification du 1er octobre 1961, mais c’est Yaoundé qui : (1) donnera le contenu au système judiciaire de la Common Law (2) exercera un contrôle des décisions prises par les organes délibératifs et exécutifs des deux régions anglophones (3) lèvera l’impôt et fixera le cadre réglementaire du budget des deux régions. Cela s’appelle de l’escroquerie politique et voilà qui donnera de bonnes raisons aux populations anglophones de poursuivre la lutte pour se libérer des chaînes de la Françafrique.

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