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PAUL BIYA ET OBIANG VERSENT PLUS DE 45 MILLIARDS DE FCFA À UNE CHAÎNE DE TÉLÉVISION FRANÇAISE

Notre série s’intéresse aujourd’hui à Africa 24. Vous avez pu apercevoir ses programmes dans la matinale de la chaîne Numéro 23 (devenue RMC Story), qui les a repris entre 2013 et 2018. Née en 2009, Africa 24 est la plus regardée des chaînes d’information africaines, devant Africanews et Telesud. En effet, elle réalise 0,4% de part d’audience sur les 15 ans et plus, selon l’étude Africascope menée à l’automne 2020 par Kantar/TNS. L’audience grimpe à 54% sur les cadres dirigeants, toujours selon cette étude menée dans huit capitales africaines. Toutefois, Africa 24 n’est pas “la chaîne d’information francophone la plus regardée d’Afrique”, comme elle l’affirme. Elle reste loin derrière France 24, qui affiche 2,6% sur les 15 ans et plus, et 74,1% sur les cadres dirigeants.

Officiellement, la chaîne est éditée par une société française, A Media France SAS, détenue et dirigée par Mylène Innocent, directrice déléguée de la chaîne. C’est cette société française qui a notamment signé la convention de la chaîne avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).

En réalité, la chaîne est financée par le Cameroun. Dirigé par Paul Biya depuis 1982, c’est “un des pays les plus dangereux pour l’exercice du journalisme sur le continent”, déplore  Reporters Sans Frontières, qui le classe aux tréfonds de son palmarès de la liberté de la presse (135ème rang sur 180).

En pratique, Yaoundé a versé plus de 40 millions d’euros à la chaîne depuis 2010. Cela a principalement pris la forme d’espaces publicitaires. Yaoundé en a acheté pour 21 millions d’euros entre 2010 et 2017, puis s’est engagé en 2019 à en acheter pour 3,2 millions d’euros par an, même si en pratique la somme a été un peu inférieure (2,8 millions d’euros prévus pour 2021). Par ailleurs, le Cameroun s’était aussi engagé à subventionner les pertes de la chaîne, et a versé à ce titre 4,9 millions d’euros. En outre, il a apporté 10 millions d’euros en capitaux à Afrimedia International, une holding luxembourgeoise qui détenait la chaîne jusqu’en 2019. Mais tout cet argent n’a pas suffit. Afrimedia SAS, la filiale française de la holding luxembourgeoise, a déposé le bilan en janvier 2018, puis a été liquidée en février 2019. Le Cameroun a alors versé encore un million d’euros supplémentaires pour reprendre les actifs, en demandant toutefois à ce que ces actifs soient apportés à une société française “de substitution”, à savoir A Media France SAS. De plus, Yaoundé a aussi promis de couvrir les éventuels déficits de trésorerie à hauteur d’un million d’euros.

L’autre bailleur de fonds de la chaîne était la Guinée équatoriale. Dirigée d’une main de fer depuis 1979 par Teodoro Obiang Nguema, arrivé au pouvoir via un coup d’Etat, ce petit pays du golfe de Guinée est classé 164ème sur 180 dans le palmarès de la liberté de la presse de RSF. Au total, il a apporté 19 millions d’euros : 10 millions d’euros de capitaux, plus 8,9 millions d’euros en achats d’espaces publicitaires (il avait promis en 2012 d’acheter 2,5 millions d’euros par an sur 5 ans).

Parmi les annonceurs, on trouve aussi d’autres pays africains, comme le Tchad. Une créance de 1,7 million d’euros dûs par N’djamena a ainsi été dépréciée fin 2016. Toutefois, le fondateur de la chaîne, Constant Nemale Jr, assure à Capital : “Ni le Cameroun ni la Guinée équatoriale n’ont jamais eu aucune influence ni sur l’éditorial, ni sur le contenu, ni sur le management”. Un rapport commandé par la chaîne à Olivier Zegna-Rata, ancien directeur de cabinet du président du CSA, abonde : “le soutien continu et confirmé de la République du Cameroun constitue une garantie de stabilité sans pour autant affecter l’indépendance éditoriale du média”. Toutefois, ce rapport ajoute: “le Cameroun est désormais le principal acteur de la politique audiovisuelle du continent africain à travers son contrôle d’Africa 24… A l’instar des grandes puissances qui disposent d’un atout médiatique comme le Qatar (Al Jazeera), l’Angleterre (BBC) ou la France (France 24), le Cameroun dispose avec Africa 24 d’un atout important”.

Lors du dépôt de bilan, l’administratrice judiciaire Isabelle Didier avait ainsi résumé la situation délicate dans laquelle se trouvait la chaîne : “les investisseurs institutionnels [Cameroun et Guinée équatoriale], tout en participant au projet, ne perdent jamais de vue dans leurs perspectives la prise de contrôle de l’outil. Aucune limite ne se pose pour le partenaire industriel qui intègre cet objectif. Une telle démarche fragilise le projet et déséquilibre la structure”.

Le tribunal de commerce de Nanterre fera la même analyse : “les difficultés sont liées au déséquilibre structurel du modèle économique bâti exclusivement sur les subventions d’Etat. La société était très fortement dépendante de la volonté des Etats actionnaires à poursuivre les subventions nécessaires à l’équilibre de l’exploitation”.

Le dépôt de bilan résulte d’ailleurs de l’arrêt des financements par la Guinée équatoriale, suite à une brouille avec la chaîne. “Un tel outil d’influence a pu aiguiser l’appétit de la Guinée équatoriale, qui a exprimé le souhait de prendre le contrôle lors du dépôt de bilan”, assure Constant Nemale Jr. Selon ce dernier, Malabo “n’a pas payé pour la diffusion des publicités durant trois ans (2015, 2016, 2017), alors que ces publicités ont bien été commandées et diffusées à l’antenne. Ces publicités non payées représentaient au total 10 millions d’euros.”

Constant Nemale Jr a alors réclamé ces 10 millions d’euros à l’ancienne colonie espagnole devant l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada), une organisation intergouvernementale qui arbitre notamment les litiges commerciaux dans les pays membres. Le 27 février 2020, le tribunal arbitral a finalement débouté Constant Nemale pour des raisons de forme, estimant qu’il n’était pas en droit d’attaquer la Guinée équatoriale devant l’Ohada. “Le tribunal arbitral a jugé que c’était à la holding luxembourgeoise, et non à ses actionnaires, de saisir l’Ohada, explique Constant Nemale Jr. La holding luxembourgeoise a donc la possibilité de saisir à son tour l’Ohada, mais va privilégier dans un première phase une approche amiable. En outre, selon l’analyse du tribunal arbitral, il n’est pas contesté que la Guinée Equatoriale n’a pas respecté ses engagements au titre du pacte d’actionnaires ». Interrogée par Capital, l’ambassade de Guinée équatoriale a juste répondu avoir “obtenu gain de cause”, sans plus de commentaires.

Malabo a contre-attaqué en mettant en cause la gestion de Constant Nemale Jr. Ce dernier rétorque : “cette mise en cause est intervenue uniquement quand la chaîne a réclamé à la Guinée équatoriale ces factures impayées. KPMG, commissaire aux comptes de la filiale française depuis 2009, n’a jamais relevé aucun écart dans la gestion”.

Quoiqu’il en soit, Constant Nemale a mis en place plusieurs dispositions permettant de tenir à distance ses deux bailleurs de fonds. D’abord, il a déposé la marque Africa 24 à titre personnel. Ensuite, il a conservé 74% de la holding luxembourgeoise, bien que le Cameroun et la Guinée équatoriale aient apporté la quasi-totalité des capitaux (10 millions d’euros chacun).

Enfin, la régie publicitaire de la chaîne est externalisée auprès de deux sociétés lui appartenant : la société française Etnium SARL chargée des annonceurs européens, et Etnium International basé à Dubaï chargée du reste (soit 90% des recettes). Ces régies prélèvent sur les contrats publicitaire une commission de “30% maximum”. En 2015, le fisc a contesté ces commissions, et a infligé un redressement d’un million d’euros à la filiale française. Constant Nemale Jr répond sur ce point : “Le fisc a contesté certaines ventes réalisées par la régie Etnium International. La filiale française a clairement contesté ce redressement”.

L’un dans l’autre, la chaîne reste très dépendante des fonds versés par Yaoundé -et hier Malabo. Au total, les 30 millions d’euros de publicité apportés par les deux Etats à fin 2017, représentent environ la moitié des revenus de la filiale française. L’objectif affiché est de se diversifier auprès d’autres annonceurs.

Ainsi, le plan d’affaires présenté par le Cameroun au tribunal de commerce prévoit de faire passer de 1 à 2 millions d’euros entre 2019 et 2021 les revenus provenant d’annonceurs privés.

Ce projet a été accueilli avec circonspection par le tribunal de commerce : ”la pérennité de l’activité n’apparaît pas, à ce stade, véritablement assurée à moyen terme, attendu que le modèle économique proposé par le Cameroun est identique à celui proposé par M. Nemale [durant l’année 2018], et que la société n’a pu démontrer au bout de 14 mois sa capacité à faire évoluer son modèle économique initial qui a conduit à la cessation de paiements”.

Toutefois, le tribunal a approuvé l’offre de reprise du Cameroun, bien que Yaoundé était actionnaire de la société en dépôt de bilan. Il faut dire que les juges n’avaient guère le choix, car l’offre de Yaoundé était la seule en lice. Certes, « des groupes de médias français et internationaux de référence avaient fait des offres », raconte Constant Nemale Jr. Mais tous avaient jeté l’éponge. Deux d’entre eux ont déploré que Constant Nemale de s’engage pas à leur céder la marque Africa 24. « Je n’ai pas reçu la moindre offre concrète de rachat de la marque », rétorque l’intéressé.

Source : Capital

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