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PAUL BIYA SEIGNEUR DES GUERRES

Par Achille  MBEMBE

Il n’y a pas longtemps, ils justifiaient sa longévité au pouvoir du fait que le Cameroun était “un îlot de paix” dans une mer agitée. Aujourd’hui, de tels propos relèvent de la farce.

Le pays est écartelé entre un cancer terroriste dans l’Extrême-Nord, un boulevard pour aventuriers de tout acabit sur l’ensemble de la frontière centrafricano-congolaise, et une guerre fratricide et d’éradication dans les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Après avoir, pendant 36 ans, administré du formol à tout un peuple devenu cynique et hilare, puis placé son pays dans un congélateur, le plus vieux des satrapes équatoriaux s’apprête, à plus de 85 ans et contre vents et marée, à rentrer dans l’histoire comme celui qui aura présidé à la dislocation de l’un des pays les plus prometteurs du continent africain.

Des élections sont prévues cette année. Le tyran, manifestement, jouera sa dernière carte et, pour l’heure, tout indique que ce ne sera pas sans fracas.

Pourquoi?

Parce que le gouvernement par l’immobilisme, l’abandon et la brutalité (que certains confondent avec le machiavélisme) a atteint ses ultimes limites. Sur le plan interne, la surenchère dans la violence n’y changera rien.

Beaucoup, en effet, veulent tourner la page. Qu’on le veuille ou non, celle-ci sera tournée. Dans quelles conditions, à quel prix pour qui, et en retour de quoi – telle est l’inconnue.

On ne l’a pas suffisamment dit: le rejet (de plus en plus viscéral) de M. Paul Biya ira croissant, de même que son isolement sur la scène internationale où beaucoup sont désormais convaincus qu’il n’ y a strictement rien qu’il puisse faire aujourd’hui qu’il n’eut pu faire au cours des 36 dernières années.

Il eût été de l’interet de tous que sa sortie s’effectuât dans la raison. Pacifiquement. Sans violence. C’est ce que l’on appelle “organiser la fin”. D’une manière qui eut pu faire avancer la cause de la démocratie sur notre continent. Et fait du Cameroun un bel exemple dans une Afrique centrale plongée au cœur des ténèbres.

Vœu pieux, sans doute, tant les choses sont en train de s’accélérer, tandis que chacun des acteurs, désormais, ne cesse de perdre une partie du contrôle sur le déroulement des événements.

Au-delà de l’individu, le noeud gordien, c’est évidemment le système qu’il a mis en place, véritable machine à broyer les énergies.

La grande pomme de discorde, c’est évidemment l’existence d’une république une et indivisible.

Or, les sécessionnistes ne veulent plus en faire partie.

Pour parvenir à leurs fins, ils ont commencé à sacrifier leurs propres vies et à verser le sang de bien d’autres camerounais. Les méthodes sont plus ou moins semblables à celles que l’on a vu ailleurs, lors des conflits sanglants qui ont émaillé l’histoire récente du continent – Liberia, Sierra Leone, Sud Soudan, Angola, Mozambique, RD Congo, etc. Dans chacun de ces cas, il s’est souvent agi de guerres contre les civils en priorité.

De son côté, le complexe politico-militaro-affairiste qui constitue la colonne vertébrale de la satrapie s’est lancé dans une entreprise d’eradication.

Celle-ci est conduite a huis-clos, sur le modèle colonial des opérations contre-insurrectionnelles appliquées il y a à peine 50 ans en pays Bassa d’abord, puis en pays Bamileke. Les résultats commencent à s’accumuler – enfumages et incendies de villages entiers, petits massacres, quadrillage territorial, arrestations et punitions collectives, confiscations de biens et ponctions diverses, émergence de petits seigneurs de la guerre et ainsi de suite.

Entre ces deux forces extrémistes animées par le désir féroce de tuer, il y a l’immense majorité des Camerounais de toute obédience et origines.

Ce qui les unit?

Une seule chose – ils ont échoué à se débarrasser d’un gouvernement violent et destructeur; et ils ont échoué à empêcher la guerre fratricide.

Ils paieront par conséquent, eux aussi, le prix de leur propre lâcheté, responsables qu’ils sont de ce qu’ils ont laissé faire en leur nom.

S’ils ne parviennent pas à arrêter la spirale du déclin et celle de la violence, et donc à mettre un terme à la guerre fratricide, ils seront très vite confrontés à deux ou trois factures.

L’appât du gain aidant, de plus en plus d’aventuriers viendront se joindre à la mêlée en cours dans leur pays. Les conflits du genre auquel ils font face, généralement, s’autofinancent et, par conséquent, tendent à se perpétuer.

Guerre et affaires dans un contexte de prédation généralisée déboucheront, ici comme cela a été le cas ailleurs, sur une aliénation massive de leurs ressources et à la perte réelle du contrôle sur leur avenir commun. Comme cela s’est passé ailleurs, aussi bien chez les sécessionnistes que du côté du complexe politico-militaro-affairiste, les activités militaires seront de plus en plus confondues aux activités de prédation et d’extorsions au profit d’acteurs privés civils et militaires ou miliciens.

Davantage encore, s’ils ne parviennent pas à régler leurs différends entre eux, d’autres le feront à leur place et à leurs depens.

D’ores et déjà, la crise camerounaise n’est plus simplement une affaire intérieure. Elle menace la stabilité et la sécurité régionale. Sur le plan interne, nombreux sont ceux qui s’efforcent de se servir de la question anglophone pour solder la question de la succession au sein du RDPC ou celle de l’alternance. Tel ne serait sans doute pas le cas si les perspectives d’un changement de régime par la voie électorale existaient.

Or il n’en est rien. Tout ayant été verrouillé, la tentation est grande, chez beaucoup, de recourir soit à des moyens extra-légaux, soit à l’appel à des puissances externes.

Dans ces conditions, la rhétorique de “la souveraineté nationale et de l’ingérence dans nos affaires” ne veut pas dire grand chose. C’est plutôt d’abdication de souveraineté qu’il s’agit. En ne s’occupant pas eux-mêmes de régler pacifiquement leurs différends, ils invitent d’autres à le faire à leur place, que ceci porte le nom de “médiation internationale” ou qu’il s’agisse d’entreposer entre les protagonistes des forces étrangères.

Pour l’heure, les deux principaux différends tournent autour de la forme de l’État et sur les conditions de restitution, au peuple camerounais, du pouvoir de choisir librement ceux qui le gouvernent.

La seule manière de régler le différend autour de la forme de l’Etat est de constitutionnaliser la régionalisation. Celle-ci n’aura aucun sens si elle ne conduit pas à l’octroi d’un statut spécial aux deux zones anglophones.

C’est la seule voie pour conserver l’intégrité physique du Cameroun et garantir son indivisibilité. Il n’y en a pas d’autre.

D’autres propositions concernant la forme-État portent sur l’extension des pouvoirs du Parlement, la mise en place d’autorités indépendantes, le renforcement des mécanismes d’accountability, la nature du regime (parlementaire ou présidentiel) et ainsi de suite.

Afin de débloquer l’impasse historique à laquelle ont conduit 36 ans de gabegie, il faut restituer au peuple le droit de choisir librement ses dirigeants.

Ceci passe par une réforme électorale radicale qui limite drastiquement les mandats presidentiels (à deux); institue un scrutin à deux tours; octroie le droit de vote à tout Camerounais âge d’au moins 18 ans; consacre l’independance totale de la Commission électorale, et prescrit un âge limite pour certaines fonctions.

Si ces réformes fondamentales ne sont pas mises en place (et le temps presse), le Cameroun amoindrira notablement ses chances de sauvegarde de sa souveraineté et de son intégrité territoriale. La faute, alors, ne reviendra à nul autre qu’a ses fils et à ses filles.

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