PLAINTE DÉPOSÉE CONTRE EMMANUEL MACRON À LA CPI?
Francis Lalanne s’était rendu en juin à La Haye, accompagné de deux avocats, pour dénoncer des «arrestations arbitraires» ainsi que des «violences» dans le cadre des manifestations des gilets jaunes. La plainte vise aussi Christophe Castaner.
Question posée par Cassa le 22/11/2019
Bonjour,
Votre question fait notamment référence à un article du média russe Sputnik. Celui-ci raconte que Francis Lalanne s’est rendu «le 11 juin à la Cour pénale internationale afin d’y déposer une plainte pour crime contre l’humanité contre le président français et son ministre de l’Intérieur». En cause, selon le chanteur proche des gilets jaunes : «les blessés graves parmi les manifestants et la police», «les arrestations arbitraires», «les gardes à vue injustifiées», ou «les perquisitions abusives» depuis le début du mouvement de contestation, comme l’expliquait le texte de sa pétition en ligne qui a dépassé les 100 000 signatures.
L’article de Sputnik terminait en expliquant que Francis Lalanne et ses avocats «devraient recevoir d’ici un mois une réponse sur la recevabilité de ce dossier». Depuis, plusieurs internautes et pages Facebook liées aux gilets jaunes assurent que c’est chose faite. «La plainte déposée contre MACRON et CASTANER a été reconnue recevable et est en phase d’instruction sous le n° de dossier OTP.CR 273/19, sous le silence assourdissant des médias français. Vous pouvez rejoindre cette plainte», peut-on par exemple lire sur la page Facebook Colère 44.
A l’en croire, il n’existe aucun examen préliminaire en cours concernant la France (et a fortiori aucune enquête )
Alors à quoi correspond le numéro OTP.CR 273/19 présenté par de nombreux internautes comme le numéro de la plainte contre Macron et Castaner ? «Il s’agit d’un numéro de dossier ouvert par le bureau du procureur quand nous lui avons donné les premiers éléments en juin», indique l’avocate Sophia Albert-Salmeron, qui s’était rendue à la CPI le 11 juin en compagnie de Francis Lalanne et d’un autre avocat, Ghislain Mabanga.
Concernant les différents posts sur les réseaux sociaux, Sophia Albert-Salmeron reconnaît des imprécisions : «Personnellement, je n’ai pas employé le terme de « recevabilité », que j’ai pu voir sur les réseaux sociaux. Simplement, en général, on reçoit une lettre de refus de la part du bureau du procureur au bout d’un mois environ. Comme cela fait plusieurs mois et que nous n’avons rien reçu, les gens ont pu estimer que le dossier était recevable.»
Ce silence ne peut toutefois être interprété ni dans un sens ni dans l’autre, selon Catherine Le Bris, chercheuse CNRS à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne et spécialiste du droit international : «Le fait que le procureur n’ait pour l’instant pas répondu ne signifie rien en soi, me semble-t-il. Le procureur croule peut-être tout simplement sous la tâche, ce qui explique qu’il tarde ainsi à répondre.»
Sur le fond, ensuite, cette «plainte» pour crime contre l’humanité aurait-elle des chances d’aboutir dans l’hypothèse où le procureur demandait finalement l’ouverture d’une enquête ? «Pour qu’il y ait crime contre l’humanité, deux éléments doivent être réunis, détaille la chercheuse. En premier lieu, il faut un acte individuel. Cet acte individuel peut être un meurtre par exemple, mais pas seulement : il peut aussi consister en des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. L’auteur de l’acte lui-même pourra être tenu responsable, mais aussi son supérieur hiérarchique.» En théorie donc, la responsabilité d’un chef de l’Etat ou d’un ministre de l’Intérieur peut être engagée devant la CPI. «Toutefois, en second lieu, il faut un autre élément pour qu’il y ait crime contre l’humanité : un élément politique. Cela implique que l’acte individuel ait été mené dans le contexte d’une « attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile ». Dit plus simplement, il faut que l’acte en cause soit commis en application d’une politique criminelle d’un Etat. Il ne faut pas qu’il s’agisse d’un « simple » dérapage», précise Catherine Le Bris.
«On peut considérer que le premier élément existe : ces violences ont parfois donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique. Des instances de protection de droits de l’homme au niveau européen et onusien ont d’ailleurs indiqué à la France leur inquiétude quant à un usage excessif de la force, quant au non-respect du principe de proportionnalité dans leur réponse aux manifestations, rappelle la chercheuse. Toutefois, de mon point de vue, il est douteux que le second élément existe. En effet, peut-on réellement soutenir que les violences contre les gilets jaunes présentent un caractère massif, systématique, et qu’elles sont le fruit d’une politique criminelle de l’Etat français ? Toute atteinte à un droit de l’homme n’est pas un crime contre l’humanité, qui est une notion bien plus grave.»
Contacté par CheckNews, le bureau du procureur de la CPI n’a pas encore donné suite à nos sollicitations.
Source : Libération