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PROCÈS DE L’ASSASSINAT THOMAS SANKARA :  » IL NOUS INTERDISAIT D’AVOIR DES MAÎTRESSES « 

Le procès de l’assassinat de Thomas Sankara se poursuit. De la dramaturgie, on sourit parfois par les confidences et anecdotes des témoins qui défilent à la barre.

La journée d’audience de mardi 16 novembre 2021, première journée de passage des témoins, a été aussi caractérisée par le dévoilement de certaines facettes de la Révolution démocratique et populaire (dont le Conseil national de la révolution était l’organe de direction).

Avec le colonel-major à la retraite, Daouda Traoré, l’on a appris par exemple que les maîtresses et la polygamie étaient mal gobées par Thomas Sankara. « Il ne transigeait pas, quand il s’agissait de morale révolutionnaire. Il estimait par exemple qu’un révolutionnaire ne doit pas avoir une maîtresse, qu’il ne devait pas avoir deux femmes », renseigne Daouda Traoré.

Et de dévoiler plus loin avec une dose d’humour : « Une fois, il a tenu ce discours, moi-même j’ai eu peur ; parce que Lingani quand même en avait deux ». Lingani (Jean-Baptiste) était le Commandant en chef du Haut commandement des forces armées populaires et Ministre de la Défense et des anciens combattants.

Lorsqu’en 1983, en Haute-Volta, Thomas Sankara nomme trois femmes sur vingt-deux ministres dans son gouvernement (soit 13,6 %), dont une au ministère du budget, il apparaît comme un président pour le moins audacieux. Par cette décision, le révolutionnaire anti-impérialiste, qui va diriger le pays de 1983 jusqu’à son assassinat en 1987, va devenir un précurseur en Afrique et même au-delà.

« Thomas, avec le pragmatisme qu’on lui connaît, était convaincu qu’il était impossible de faire une révolution sans l’apport des femmes, explique Germaine Pitroipa, nommée haut-commissaire (équivalent de préfète) dans une province burkinabée en 1983. Selon lui, il était inconcevable de réussir une révolution populaire en se privant de la moitié de l’humanité. »

Lorsqu’il prend la décision de féminiser la vie sociale et politique, Thomas Sankara, qui a six sœurs, est vivement critiqué. Sa volonté d’émanciper les femmes lui serait venue dans ses premières années, lorsqu’il aurait assisté au tabassage d’une épouse par son mari dans une caserne de l’armée. N’ayant pu intervenir à cause de son jeune âge, il aurait nourri de profonds regrets et un sentiment d’injustice. A sa manière, franche et directe, le capitaine au béret rouge va donc bouleverser les traditions et révolutionner les mentalités.

L’émancipation des femmes burkinabées ne se limite pas aux nominations dans les ministères, les préfectures ou au sein des Comités de défense de la révolution (CDR). Thomas Sankara instaure, une fois par mois environ, une « journée des hommes au marché », dont l’objectif est de libérer les femmes de leurs tâches ménagères, mais aussi d’envoyer leurs maris faire les courses afin qu’ils connaissent le prix et la valeur des aliments. « La révolution et la libération des femmes vont de pair, lance t-il dans un discours le 8 mars 1987. Et ce n’est pas un acte de charité ou un élan d’humanisme que de parler de l’émancipation des femmes. C’est une nécessité fondamentale pour le triomphe de la révolution. Les femmes portent sur elles l’autre moitié du ciel. »

11 septembre 1986, un reportage du journal télévisé d’Antenne 2 rendait compte de cette politique, qui se manifestait notamment par une course de moto cross de femmes à travers le pays. « On avait jamais vu au Burkina Faso des femmes faire une croisière de 2000 km », s’enthousiasmait l’une des participantes ». Cette aventure sportive devait contribuer au « partage des responsabilités, au changement des mentalités », expliquait le commentaire du reportage. A chaque étape, des « palabres et de la fête »., et parfois des discours. Comme celui du président Thomas Sankara, qui déclarait vouloir « donner à chaque femme un emploi, à chaque femme le moyen de gagner honnêtement et dignement sa vie ».

La journaliste Dominique Torres rappelait dans la suite de son reportage la dure condition des femmes africaines : « 14 heures de travail quotidiennes, une espérance de vie de 32 ans, la femme africaine fournit près de 80% du travail agricole, ainsi que la moitié des prestations nécessaires à l’alimentation. Elles s’occupent à la fois du ménage, des enfants, du ramassage du bois, de l’eau à chercher à des kilomètres de distance, de la nourriture de la famille […] ».

Etablissant le constat que l’éducation des femmes était essentielle au développement du pays, le gouvernement Sankara s’attachait à changer les mentalités sur des questions touchant aussi bien le salaire des femmes que l’excision.

Thomas Sankara met fin à la dot et au lévirat, qu’il considère comme une marchandisation du corps féminin. Progressivement, il met aussi un terme aux mariages forcés en imposant un âge légal ainsi qu’à la prostitution qui est, selon lui, « la quintessence d’une société où l’exploitation est érigée en règle et le symbole du mépris que l’homme a de la femme. » Le président institue enfin le salaire vital, un prélèvement automatique (environ 0,5 %) sur le salaire des fonctionnaires pour rétribuer le travail quotidien de leur épouse et faire en sorte qu’elle puisse subvenir aux besoins de la famille.

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