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QUE RISQUE-T-ON PÉNALEMENT POUR L’APPEL AU BOYCOTT AUX ÉLECTIONS AU CAMEROUN

L’appel au boycott des élections du 09 févier prochain au Cameroun, lancé par le MRC, est une démarche visant à promouvoir l’abstentionnisme comme moyen d’expression politique. La participation électorale étant considérée comme l’un des traits les plus caractéristiques de la bonne santé d’un régime démocratique.

Lors d’une élection, d’un référendum ou plus généralement d’une délibération, le comportement d’abstention marque le refus d’une personne de participer au vote : les personnes qui s’abstiennent sont qualifiées d’« abstentionnistes ».

L’ABSTENTIONNISME EST UN ACTE POLITIQUE

L’abstentionnisme est un acte politique pour des personnes considérant que le régime politique ou le contexte juridique et politique dans lequel se déroule l’élection, vide cet exercice de toute signification ou n’est pas suffisant pour répondre aux voix et aux choix de chaque individu composant la société. L’acte politique de refus du vote a pour finalité de ne pas cautionner un système considéré injuste. En général, les militants politiques de l’abstentionnisme appellent cela abstention active, ceci pour se démarquer des abstentionnistes passifs, qui eux ne vont pas voter parce qu’ils ne sont pas intéressés par l’exercice de ce droit tout simplement.

LA THEATRALISATION ET LA DRAMATISATION DE L’APPEL AU BOYCOTT DU MRC

L’annonce de la non participation du MRC aux élections prochaines et la campagne engagée par ce parti pour expliquer les raisons de ce boycott, a crée au Cameroun, chez les défenseurs de l’ordre institutionnel existant, des comportements qui procèdent de la volonté du régime de Yaoundé, d’en faire un élément de diabolisation de ce parti.

L’hystérisation du débat politique sur la question prend également une tournure judiciaire.

LA MANIPULATION DE LA LOI PENALE

Se référant à la LOI N° 2016/007 du 12 Juillet 2016 portant Code Pénal et à la Loi N°2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral respectivement en leur articles 122 et 288 qui disposent:

« Est puni d’un emprisonnement de trois (03) mois à deux (02) ans et d’une amende de cinquante mille (50 000) à cinq cent mille (500 000) francs ou de l’une de ces deux peines seulement, celui qui:

… A l’aide de fausses nouvelles, de propos calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, supprime ou détourne des suffrages, détermine un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter ; » les acteurs politiques et judiciaires au Cameroun croient trouver en elle, le moyen de réduire au silence toutes les voix favorables au boycott.

Ces incriminations qui sont spécifiques aux opérations électorales en elles-mêmes, sont manipulées, pour tenter de les faire appliquer à l’expression politique libre, qui est le droit d’aller à une élection ou de ne pas le faire.

L’absence de vote obligatoire en soi induit la prise en compte de l’abstention comme moyen d’expression politique. Le RDPC qui a longtemps profité de l’abstention, tant ceci lui rend plus aisée la fraude, la décrie aujourd’hui quand il a besoin de donner du crédit à ses arrangements électoraux.

Les articles ci-dessus ne sauraient s’opposer à la liberté d’expliquer pourquoi on ne participe pas au vote. Ils ne sanctionnent non plus le droit de demander à des électeurs potentiels de s’abstenir de participer à un processus électoral, en adoptant ce moyen d’expression politique qui est l’abstentionnisme.

La loi pénale est d’interprétation stricte et non fantaisiste. L’application des articles sus-cités obéit à 3 conditions cumulatives qui ne peuvent être réunies dans ce qui a pu conduire à l’interpellation et la mise en détention d’un militant du MRC:

· il faut démontrer qu’il ya eu des fausses nouvelles, de propos calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses

· il faut démontrer que cette infraction est volontaire, en ce sens que, loin de proposer une démarche politique militante, la personne poursuivie serait simplement une délinquante qui cherche à fausser le jeu électoral.

· il faut démontrer que ces manœuvres ont déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter. Ce qui est impossible à démontrer ou prouver avant le vote du 9 février.

En réalité, cet article sert à combattre certaines formes de fraudes électorales et non à réprimer la liberté d’expression politique. Il n’est applicable que si l’élection s’est tenue et que un ou plusieurs électeurs potentiels, n’ont pu voter du fait des manœuvres d’un acteur du processus électoral ou de toute personne qui aurait intérêt à cette élection.

Il est donc juridiquement faux de faire appliquer cette disposition à des militants expliquant la démarche politique qui est la leur. La loi pénale n’est pas élastique.

LA VERITE DE L’ARTICLE 123 DU CODE PENAL: CORRUPTION ET VIOLENCE EN MATIERE ELECTORALE

Est puni d’un emprisonnement de trois (03) mois à deux (02) ans et d’une amende de dix mille (10 000) à cent mille (100 000) francs ou de l’une de ces deux peines seulement, celui qui :
a) Par attroupement, par clameurs ou démonstrations menaçantes, trouble les opérations électorales ou porte atteinte à l’exercice du droit ou à la liberté du vote ;
b) Le jour du scrutin, se rend coupable d’outrage ou de violences envers un de ses membres, ou qui, par voies de fait ou de menaces, retarde ou empêche les opérations électorales ;
c) Par dons, libéralités, faveurs, promesses d’octroi d’emplois publics ou privés ou d’autres avantages particuliers faits en vue d’influencer le vote d’un ou de plusieurs électeurs, obtient leur suffrage soit directement, soit par l’entremise d’un tiers ;
d) Directement ou par l’entremise d’un tiers, accepte ou sollicite des candidats des dons, libéralités, faveurs ou avantages cités au paragraphe (c) ci-dessus ;
e) Par voies de fait, violences ou menace contre un électeur, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi, soit d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, influence son vote.

Cet article qui complète le dispositif répressif de la fraude électorale de l’article 122, précise en même temps l’esprit et le contexte de ces dispositions législatives. Il est donc juridiquement faux de prétendre que les appels au boycott sont punissables par un texte de loi qui traite de la fraude électorale.

LES PRINCIPES DE LA LEGALITE DES POURSUITES ET DE L’OPPORTUNITE DES POURSUITES

Le respect de ces principes en cette période pré-scrutin, commande que des poursuites ne soient engagées que dans la mesure où elles sont nécessaires, c’est à dire si ces agissements ont influencé les résultats du scrutin. Autrement dit, les infractions décrites par ces deux articles ne sont punissables qu’en rapport avec la conséquence de l’acte incriminé.

LA LOI PENALE EST EGALE POUR TOUS

Si l’on considère que l’on peut poursuivre des citoyens qui expriment une opinion, sur la base de l’article 122 du code pénal, sans savoir en quoi ce comportement préjudicie aux droits de l’électeur, il faut également considérer qu’en vertu de l’article 123, tous ces militants du RDPC qui organisent de véritables orgies alimentaires, distribuent de l’argent et des présents, afin de déterminer des électeurs à voter pour eux, tombent sous le coup de la loi, indépendamment du résultat de ces infractions.

A vrai dire les actes répréhensibles commis dans le cadre de la campagne, avant le jour des opérations électorales proprement dites, ne sont punissables qu’en vertu des dispositions générales du code pénal, Lesquelles n’incriminent pas le fait d’expliquer pourquoi on ne va pas à une élection.

Au delà de toute considération, l’abstention telle que envisagée par le MRC est une démarche profondément citoyenne, une expression de la démocratie, car elle ne vise pas à promouvoir une forme d’incivisme électoral, mais au contraire elle ambitionne de repenser les conditions meilleures d’expression politique, de donner plus de sens à la consultation électorale.

Maître Amédée Dimitri TOUKO
Militant – Analyste Politique

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