RUINÉ, LE PAPE BAISSE LES SALAIRES DES CARDINAUX, ÉVÊQUES…
Il y a un an déjà, le premier confinement s’abattait sur une large partie du monde, fermant la quasi-totalité des commerces, cloisonnant les populations chez elles, et interdisant jusqu’à l’accès des églises. Un an plus tard, ces longs mois sans messe ont une conséquence particulièrement concrète sur les finances du Vatican. Privés des revenus qu’il tire habituellement des quêtes organisées à chaque messe, le Vatican se trouve confronté à une situation financière catastrophique. Un problème que le pape a décidé d’affronter frontalement, notamment au moyen de coupes significatives dans les salaires du haut-clergé.
Selon les informations du Point, le souverain pontife aurait ainsi décidé de réduire de 10% les salaires des cardinaux, à compter du 1er avril. Au 1er mars 2021, le collège cardinalice comptait plus de 220 cardinaux.
Les chefs de départements et les secrétaires de dicastère (ministère au Vatican) devraient également être concernés, à hauteur de 8% de leur salaire actuel. Enfin, précise Le Point, les salariés du Vatican les moins bien payés devraient également être soumis à une coupe budgétaire, via un rabotement de 3%. Les augmentations de salaire, comme ailleurs corrélées à l’ancienneté du salarié, seront également gelées pour les deux prochaines années. « Bien que le Saint-Siège (…) soit adéquatement capitalisé, il est nécessaire d’assurer la durabilité et l’équilibre entre les recettes et les dépenses », a notamment expliqué le pape François. Selon Le Point, le Vatican s’attendrait à une perte de 50 millions d’euros sur l’année 2020.
Le montant du denier de Saint-Pierre est passé de 100 millions d’euros en 2006 à 50 millions d’euros en 2019, tandis que le déficit du plus petit Etat du monde a doublé depuis 2017.
Il s’établit à 70 millions d’euros sur un budget de 300 millions d’euros, dont 45 % sont consacrés aux salaires de ses 5.000 employés. Selon le livre du journaliste Gianluigi Nuzzi, « Jugement dernier » (version française à paraître chez Flammarion), un défaut de paiement serait possible dès 2023 à cause d’une « gestion clientéliste et sans règles, d’une comptabilité fantasmée et d’un sabotage têtu de l’action du pape ».
« C’est plutôt Alitalia qui risque la faillite avec des pertes annuelles de plus de 600 millions d’euros », ironise Carlo Marroni, le vaticaniste du quotidien économique « Il Sole 24 Ore ». « Le risque de krach est ridicule, poursuit-il. Le patrimoine de l’Eglise dans le monde est estimé à 2.000 milliards d’euros, en prenant en compte les universités, les écoles, les hôpitaux… Plus qu’un trésor de l’Eglise, il faut parler de plusieurs trésors, qui sont gérés de manière souvent autonome, et il est vrai peu claire. Mais le pape a réellement lancé une opération de transparence et de rationalisation des finances en adoptant les nouveaux statuts de l’IOR [la banque du Vatican], en renforçant les règles de l’Autorité d’information financière [AIF], créée par son prédécesseur, en instaurant, un an après son élection, un Secrétariat pour l’économie, qui n’existait pas. L’investissement à Londres n’a rien d’illégal en soi et l’enquête déclenchée en interne est la preuve que les anticorps contre les maladies de la mauvaise gestion commencent à fonctionner. L’autre preuve de cette détermination du pape est la récente série de nominations d’hommes de confiance à des postes clefs. Nous sommes entrés dans la phase 2 du pontificat. »
Avec elle est né l’espoir d’une reprise en main des finances du Vatican. Elles étaient sans véritable pilote depuis juillet 2017 et le départ en Australie du cardinal George Pell, préfet du secrétariat pour l’Economie, accusé puis condamné pour agressions sexuelles. Son poste vacant est occupé depuis le 1er janvier par le jésuite espagnol Juan Antonio Guerrero Alves, diplômé en économie et répondant directement au pape.
Le président de l’AIF, l’avocat suisse René Brülhart, n’a pas été renouvelé à l’issue de son mandat. L’Italien Carmelo Barbagallo, ancien chef du département de surveillance bancaire et financière de la Banque d’Italie, le remplace. Enfin, Giuseppe Pignatone a été nommé à la tête du tribunal de l’Etat de la Cité du Vatican. Ce procureur à la retraite est l’un des magistrats antimafia et anticorruption les plus connus de la péninsule, suite à son travail contre les clans de Cosa Nostra, de la Ndrangheta et, plus récemment, pour son enquête « Mafia Capitale » à Rome.
« Le bon pape désireux de réformer et les méchants cardinaux qui lui mettent des bâtons dans les roues, c’est une légende éculée », commente Emiliano Fittipaldi, auteur des enquêtes de « L’Espresso » sur l’Eglise et de l’ouvrage « Avarizia » en 2015 à l’origine de l’affaire Vatileaks2.
« François ne cesse de prêcher la transparence, mais on ne sait rien des investissements du Saint-Siège, ou du montant exact de son patrimoine, constate-t-il. On doit se reposer sur sa bonne foi, ce qui est bien peu. L’un des motifs de la chute des dons est la baisse de confiance des fidèles à l’égard d’un pape qui avait suscité beaucoup d’attentes. Les derniers scandales concernent des faits postérieurs à 2013, donc en plein pontificat de François. La plupart des personnes impliquées ont été nommées par lui. C’est un très bon pasteur, mais pas un si bon politique. Il a sa part de responsabilité, car il veut décider, et il aime décider sur ces dossiers. Mais il a du mal à admettre qu’il a eu tort, et beaucoup de temps passe avant qu’il ne corrige ses erreurs. »
L’un des principaux reproches qui lui est fait est d’avoir choisi le cardinal Pell pour diriger le Secrétariat à l’économie. Un choix motivé, entre autres, par sa réputation d’homme à poigne. « La Curie romaine est un organisme délicat, avec ses rituels qu’il faut respecter et ne pas brusquer, confie un religieux italien fréquentant les milieux économiques du Vatican. Pell est arrivé comme un éléphant dans un magasin de porcelaine en voulant centraliser l’activité de la centaine d’organismes qui gèrent leurs fonds de manière autonome. La jalousie de ses prérogatives, les résistances à la réforme et au changement sont consubstantielles à toutes les bureaucraties, et pas seulement à celle de l’Eglise. » Elle se distingue néanmoins par son culte de l’opacité, avec des membres disposant le plus souvent de maigres compétences lorsqu’il s’agit de questions financières, et qui préfèrent se fier à leurs « nombreuses connaissances ».
« J’ai un ami au Vatican, qui a longtemps été un sésame pour obtenir un prêt en Italie ou ouvrir un compte en banque au Vatican, rappelle Mimmo Muolo, le vaticaniste du quotidien l »Avvenire’, proche de l’épiscopat italien. Les dérives sont connues, avec des figures de la mafia parmi les clients de la banque du Vatican (l’IOR), à l’origine de plusieurs scandales retentissants dans les années 1980. François est un Argentin qui est étranger à cette culture. Il a d’ailleurs fait le ménage. » Près de 5.000 comptes bancaires suspects ont été fermés en 2016. Les 15.000 clients de l’IOR (congrégations religieuses, prêtres, diocèses…) relèvent presque intégralement de l’Eglise. L’été dernier, le pape a enfin procédé au changement de ses statuts avec l’introduction d’un commissaire aux comptes externe, qui devra vérifier ses bilans financiers, conformément aux normes internationales reconnues. Jusqu’alors, cette tâche incombait à trois auditeurs internes à la banque.
« C’est la fin d’une banque offshore, plus liée à l’histoire italienne qu’à celle de l’Eglise, et qui attirait des personnages troubles, explique le vaticaniste Carlo Marroni. L’opacité était utile auparavant, elle est contre-productive dans le monde d’aujourd’hui. Le monde d’hier est mort, celui où Jean-Paul II pouvait demander une valise de billets pour soutenir Solidarnosc en Pologne sans se soucier de sa provenance. C’est ce qu’a compris François, mais pas tout le monde au Vatican.
Les règles internationales en matière financière sont bien plus rigoureuses. Techniquement, les normes vaticanes ont été modifiées pour s’y conformer. François a nommé des hommes de confiance pour s’attaquer à un changement de culture au sein du Vatican. »