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SUCCESSION D’ALI BONGO: LE GABON SUR UN VOLCAN

André Mba Obame, l’un des pères fondateurs de la première force politique de l’opposition, l’Union nationale, et docteur en sciences politiques avait pour habitude de rappeler que dans ce domaine  » il faut communiquer, communiquer encore et communiquer toujours ». Car, la mémoire collective du citoyen est très sélective voire fragile. Le peuple en général, celui du Gabon en particulier, a une capacité de passer d’un sujet à un autre sans la moindre transition, faisant parfois fi de l’essentiel.

En 42 ans de pouvoir, Omar Bongo Ondimba avait su huiler son système de fonctionnement qui permit aisément à son fils Ali de lui succéder. C’est ainsi qu’il opéra un certain nombre de changements qui acheva son projet politique pour ce dernier entamé depuis belle lurette. Au niveau du Sénat, le dur à cuire René Radembino Coniquet fut remplacer par la douce Rose Francine Rogombé. Dans le parti, l’un des changements majeurs, sinon l’unique, fut la nouvelle place donnée à Ali Bongo. Dans les forces de défense, Ali Bongo jouissait de la parfaite maîtrise de ses troupes. Et la boucle du dispositif de transition était quasiment complète. Le reste, Dieu aidant.

En plus de ce dispositif, on pouvait s’apercevoir du fonctionnement régulier des cinq piliers qui soutenaient le pouvoir du président Omar Bongo Ondimba. (1) On avait sa famille aux premières loges du pouvoir: sa fille Pascaline Mferri comme directeur de cabinet. Ses frères, fils, petits fils et neveux naviguaient dans toutes les arcanes du palais présidentiel, à des postes aussi bien stratégiques qu’obscures.

(2) Les Tékés, membres de son clan, siégeaient en maîtres et seigneurs dans la haute administration, les banques et l’armée. Bien que choquant, Omar Bongo avait su faire accepter à tous la gestion de toutes les régies financières par les siens ainsi que la tête de tous les commandements en chef des différents corps.

(3) Les cadres du Haut-Ogooué, toutes ethnies confondues, bénéficiaient de places juteuses dans les grandes entreprises publiques et parapubliques. (4) Pour s’assurer la maîtrise du plus grand nombre, surtout l’élite intellectuelle, il y avait la franc-maçonnerie. Quant à la masse, elle était logée dans le Parti Démocratique Gabonais (PDG) qui se devait de canaliser les ambitions des uns et des autres.

(5) Afin de se garantir un soutien sans faille à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, Omar Bongo développa un réseau diplomatique des plus impressionnants. Pour ce faire, il avait su garder le contact avec les premières vagues de ses collaborateurs. Dans la sous région, il s’était donné une mission de pacificateur. Dans le monde entier, la France, les Etats-Unis, les pays du Moyen Orient, la Chine, la Russie, il s’était tissé des amitiés fortes qui lui garantissaient un soutien sans atermoiement.

Telle une hélice, le système d’Omar Bongo ne s’était pas arrêtée en même temps que son cœur. Il fallait donc aller vite pour que tout le dispositif en place ait un sens et une force dans l’action. Ce qui, évidemment, favorisa l’ascension d’Ali Bongo, au sommet de l’Etat. C’était une conséquence logique des actes de compromission posés par les uns et les autres lorsqu’ils voulaient faire plaisir au prince.

L’échec d’André Mba Obame en 2009 ne se justifie que par ses réalités objectivement présentées. On ne peut construire pendant des décennies un schéma de pensées qu’on présente au monde entier comme l’invention du siècle et espérer qu’en l’espace de quelques jours de campagne faire croire une réalité autre à l’univers. C’est juste impossible, incohérent et pas crédible. Soit…

Dans son obsession d’instaurer sa marque de gestion du Gabon, Ali Bongo a pris le risque de bouleverser les codes établis. C’est alors que les fissures ont été perceptibles dans le cercle familiale. Puis, c’était au tour de la décapitation des Tékés qui occupaient la haute administration. Idem pour les cadres du Haut-Ogooué qui sont tombés sans ménagement de leur piédestal. La vidéo rendue publique, montrant l’intronisation secrète d’Ali Bongo comme grand maître de la grande loge du Gabon, exprimait une forme de défiance voire de contestation.

Dans le PDG, les départs en cascade et la mise en veilleuse de nombreux cadres ont marqué le rejet du fils d’Omar Bongo. Que dire de la diffusion du film documentaire de Patrick Benquet « Francafrique, 50 ans sous le sceau du secret » sur France 2, chaîne publique française, qui confirmait le malaise entre la France politique et le Gabon?

Dans ce marasme compliqué pour le chef de l’Etat, l’omniprésence de ses principaux collaborateurs, rangés sous le vocable de légion étrangère, n’a pas arrangé les choses. Leur arrogance, leur gestion approximative voire hasardeuse de l’Etat contribua à développer le concept de  » La République des maquettes ». De cette situation symbolique il en découlera une crise au sein du parti qui se soldera par une scission.

D’un côté, il y avait le MOGABO, un collector d’acteurs sans légitimité et de l’autre, le mouvement « Héritage et Modernité », créé par un groupe de parlementaires, qui prêtera main forte à l’opposition en août 2016. Celle-ci bénéficiant déjà de la sympathie de certains membres de la famille, du clan, de la province, des francs-maçons et des pays dits amis.

Qui pour soutenir Ali Bongo dans un contexte où, durant tout un septennat, pas grand monde n’avait joui des ors de la République? Du constat établi, ça ne se bousculait pas au portillon. Seule une poignée de gens déterminées avaient jugé utiles ce combat périlleux.

Aussi, que ce soit sur le plan politique, diplomatique, sécuritaire ou de la communication, on peut très rapidement identifier ceux qui auraient dû désormais constituer le système d’Ali Bongo Ondimba. Hélas, après le règne de la République des maquettes, c’est maintenant l’ère de la République des émotions et son lot de caprices. Plombant ainsi la dynamique du mérite et la motivation de ceux qui s’étaient battus pour maintenir Ali Bongo au sommet de l’Etat.

A cet effet, combien peuvent objectivement présenter leurs états de service qui justifieraient la place qu’ils occupent dans les hautes sphères du pouvoir? A la vérité on dira pas plus de trois. Autrement dit, nous sommes confrontés à une invasion de coucous dans la République.

Car, les faits sont têtus. Par ces affirmations vérifiables, nous pouvons affirmer que rien n’est à espérer en termes de succès tant que l’élan engagé demeurera inchangé. Il est à parier que plusieurs soutiens d’Ali Bongo n’accepteront plus de dresser un lit sur lequel ils ne pourront même pas s’asseoir.

Et Patrick Devedjan, soutien inconditionnel de Nicolas Sarkozy dans son projet présidentiel de lui dire:  » La fidélité n’est pas forcément le contraire de la compétence. Je suis pour aller très loin dans l’ouverture, très loin, y compris jusqu’aux sarkozystes ». Au moment où la France rend hommage à cet acteur politique tué par le covid-19, cette interpellation fait échos au pouvoir d’Ali Bongo. Pensons y.

C’est en cela qu’en toute objectivité, une candidature du président de la République à sa propre succession croisera d’énormes difficultés. Pire encore si le projet d’une succession sous la forme Bongo Omarienne est clairement envisagée. Celles-ci seraient motivées par qui, par quels faits, par quels arguments et par quelles perspectives?

Les frustrations et autres déceptions peinant à être justifiées. L’état d’esprit général présente des signaux rouge sang. La République des émotions a dynamité les résistants de 2016. Ce qui fait qu’Ali Bongo n’a plus de système. Celui d’Omar Bongo a quasiment cessé de fonctionner. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à se remémorer le dixième anniversaire de sa mort. Un fiasco total.

C’est en cela que, pour les nostalgiques de l’ère Omar Bongo, plutôt conservateurs qu’aventuriers, l’équation Omar Denis Junior Bongo Ondimba reste une aubaine. Car ne trainant aucun passif ou aucun passé sulfureux. Et que nul ne peut faire payer à un fils les actes manqués de son père. Toutefois, la validation de ce schéma devra recevoir le timbre du peuple dont un nombre non négligeable pense que le patronyme Bongo a fait son temps au pouvoir. C’est dire que la succession à venir est vraiment à hauts risques. Osons espérer que la gestion de l’épidémie covid-19 sauvera les meubles.

Par Télesphore Obame Ngomo

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