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TROIS FACTIONS, TROIS SONS DE LA LUTTE ANGLOPHONE : TRAHISON, RÉVOLUTION ET MÉDIATION

Par Michel Biem Tong, journaliste web en exil

Lorsqu’au soir 23 octobre 2018 (avant mon enlèvement puis ma séquestration pendant 2 mois), je me retrouve de manière inopinée face aux fins limiers de la Division de la Sécurité Militaire (SEMIL) à Yaoundé pour une prétendue « enquête de sécurité », je suis informé par un agent SEMIL assis dans ce même bureau que « nous avons mis en place une stratégie pour les diviser mais toi tu viens avec un discours unificateur ? Mesures-tu la gravité de ce que tu as fait ? ». Rien de grave en fait. Dans un message whatsapp (en privé donc !), j’exprimais mon inquiétude quant à la confusion qui commençait à régner au sein du peuple révolutionnaire anglophone et l’appelait à resserrer ses rangs en pensant à ses frères et sœurs tués par la milice criminelle du régime de Yaoundé.

Ce que j’ignorais donc est que mon discours (assimilé à tort à de l’apologie de terrorisme par le cervelet givré et d’analphabète juridique du colonel Emile Bamkoui, patron de la SEMIL) a eu le don de brouiller la « stratégie » mise en place par le pouvoir de Yaoundé pour casser la résistance politico-militaire anglophone. Cette stratégie consiste à l’infiltrer de manière à y semer une totale confusion et ainsi pousser les populations locales et de potentiels soutiens en Occident au découragement. Les vents contraires qui traversent en ce moment la résistance de ce peuple assimilé, annexé, torturé, massacré depuis des décennies par les régimes Ahidjo-Biya, en complicité avec la France, sont-ils la conséquence de ces manœuvres souterraines ? Toute personne dédaigneuse de l’injustice aurait la faiblesse de croire que le ver de la division est vraiment dans le fruit de la révolution anglophone.

En effet, il existe 3 factions qui en ce moment disent parler au nom du « people of Southern Cameroons (Nord-Ouest et Sud-Ouest) ». La première faction est celle du Interim Government (IG) dirigée depuis le Maryland aux USA par le pasteur Dr Sako Samuel Ikome. La deuxième faction est celle de l’Ambazonian Government Council (AGC) conduite depuis la Norvège par Ayaba Cho Lucas (ancien leader estudiantin au début des années 2000 à l’Université de Buea). La troisième faction est celle de ce que les Anglophones appellent avec un zeste d’ironie « Kondengui IG ». Il s’agit d’une faction dirigée depuis la prison principale de Yaoundé-Kondengui par Sisiku Ayuk Tabe (enlevé au Nigéria le 5 février 2018 avec 9 membres de son équipe dirigeante par les services secrets nigérians et livrés au Cameroun).la faction de Sisiku Ayuk Tabe a pour vice-président Dabney Yerima, basé aux USA.

A priori, cette segmentation de la révolution anglophone en factions n’a rien de grave dès lors qu’elles concourent au même objectif : défendre la cause du peuple anglophone opprimé et martyrisé par le système de la Françafrique. Mais, ne mégotons pas sur les mots et mise à part toute idée de se ranger du côté de tel groupe ou tel autre : lorsqu’une faction donnée ne concentre ses énergies que dans le sabotage de la révolution et des actions menées par l’autre faction, il est clair que la première faction œuvre davantage pour les intérêts de l’oppresseur que pour ceux du peuple opprimé.

Tenez ! Lorsqu’un leader révolutionnaire qui prétend lutter pour son peuple, dit avoir reçu de l’argent d’un sénateur et homme d’affaires du RDPC (parti de Paul Biya, l’oppresseur) et demande au cours d’un échange whatsapp à un de ses commandants sur le front de guerre de neutraliser tous les groupes d’autodéfense qui ne veulent pas se mettre sous son autorité, à qui rend-il service ? Surtout pas à son peuple pour lequel ces groupes d’autodéfense luttent aussi mais à l’oppresseur. Lorsque depuis la prison, le leader d’un groupe forme un gouvernement qui fait concurrence à celui qu’il a laissé vacant au moment de son kidnapping et qui continue de fonctionner, cela profite sans doute à l’oppresseur qui d’ailleurs le laisse faire cela. C’est à se demander comment depuis la prison, on peut conduire une révolution !

Lorsqu’une faction milite pour la médiation suisse (entérinée par les Etats-Unis et le Canada) pour les négociations de sortie de crise et qu’une autre est contre, c’est que cette dernière se range du côté de l’oppresseur qui lui aussi est contre. Lorsque le porte-parole de la branche armée d’une faction organise une séance vidéo pour commenter une fausse information contenue dans l’article d’un journal inexistant sur le retrait de la médiation suisse et que sa hiérarchie ne le recadre pas, alors cette hiérarchie-là est au service de l’oppresseur, rien à faire !

Lorsque le même porte-parole de la branche armée de cette faction demande ouvertement aux groupes armés de kidnapper des gens sans qu’il ne soit démis de ses fonctions, c’est le camp de l’oppresseur qui jubile et c’est le peuple qu’on prétend défendre qui en souffre. Lorsqu’une faction mène une action sur le terrain en faveur de la révolution et que l’action en question est non pas félicitée mais contestée ou revendiquée par une autre faction, c’est que cette dernière est au service de l’oppresseur. Lorsque fin décembre 2019, une faction se réunit pour envisager un (blocus total) dans les semaines qui viennent (sans précision sur la date) et que quelques jours plus tard, d’autres factions fixent déjà la date dudit lockdown sans consulter les groupes d’autodéfense soumis à la première faction, cela participe d’une volonté de semer la confusion qui profite au premier chef à l’oppresseur.

Lorsqu’après l’assassinat de la gardienne de prison Florence Ayafor le 29 septembre 2019 par la milice du pouvoir de Yaoundé en complicité avec l’activiste Nkonda Titus aka Ma Kontri Pipo Dem, une faction rend public le 13 octobre un communiqué portant arrestation de 3 des assassins de la victime et que, jusqu’à ce jour, on est sans nouvelle de la suite de l’affaire et n’a aucune vidéo des présumés criminels, ça manque de sérieux. Surtout qu’on a eu droit à aucune excuse de la part de la faction en question qui a pourtant pris l’opinion internationale à témoin en annonçant l’arrestation de ces 3 assassins. C’est la révolution qui perd des plumes et l’oppresseur qui a tué Ayafor est sauf.

Lorsqu’en tant que leader révolutionnaire, le porte-parole de ton groupe armé demande dans un échange téléphonique à un de ses généraux de déposer ses armes, d’abandonner la lutte pour une vie meilleure aux Etats-Unis et que tu n’y trouves rien de scandaleux, c’est que tu luttes pour autre chose que pour la libération de ton peuple. Lorsque le leader d’une faction est reçu dans une commune d’un pays d’Amérique Latine où l’Etat dont vous souhaitez la restauration est reconnu comme légitime et qu’à son retour, au lieu de l’acclamer, vous le dénigrez, vous faites le bonheur de l’oppresseur. Si vous reprochez au leader d’une faction d’avoir détourné de l’argent et qu’au lieu de le mettre à l’écart pour continuer la lutte, vous vous attaquez à lui et à ses soutiens à longueur de journée, c’est que vous travaillez pour l’oppresseur.

De manière globale, lorsqu’au sein de la révolution anglophone, on se déchire, le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji saute de joie, le ministre de la Défense Joseph Beti Assomo sable le champagne,le Colonel Bamkoui de la SEMIL et le commissaire Maxime Eko Eko de la Direction Générale de la Recherche Extérieure (DGRE) jubilent, les hommes d’affaires anglophones tels que Chief Mukete, Chief Tabetandoh, le Premier Ministre Dion Ngute et le chargé de mission à la présidence de la République Arrey Mengot se disent « mission accomplie », l’activiste Nkonda Titus, aka Ma Kontri Pipo Dem est bien servi. Heureusement que la population sur place dans la zone anglophone a su distinguer le bon du mauvais. Autrement, il y a longtemps qu’on parlerait de cette révolution au passé.

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