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UN CHEF D’ÉTAT ASSASSINÉ TRAÎNÉ DANS LA RUE, SON SEXE MUTILÉ…

Il est un peu plus de 13 h, ce dimanche 9 septembre 1990. Les commandos du président libérien résistent, depuis neuf mois, aux rebelles de Charles Taylor et de Prince Johnson. Ils sont bien entraînés – formés naguère par les Israéliens -, bien armés par les Etats-Unis. Et la peur leur sert de courage : tous de la même ethnie que leur président, ayant massacré des Libériens d’autres ethnies, ils savent que leurs adversaires ne leur feront pas de cadeau. Ils seront tués. Mais ils sont sûrs d’eux : ils ne laisseront pas leur président négocier avec les rebelles.

Direction : le port

Survient Samuel Doe qui annonce à sa garde qu’il va sortir. Pour une fois il n’a pas trop bu. Branle-bas à Executive Mansion, le palais présidentiel : depuis plusieurs mois, le chairman ne sortait plus et si, aujourd’hui, il décide de sortir, c’est qu’il se sent lui-même fort. Le ministre de la Défense ainsi que son collègue qui assure l’intérim du ministère de l’Information sont immédiatement convoqués. Direction: le port.

Annoncé, de loin par les sirènes hurlantes, le convoi présidentiel s’arrête, quelques minutes plus tard, devant un bâtiment de deux étages. C’est là, en plein cœur de la zone portuaire de Monrovia, que l’Ecomog, la force d’interposition envoyée au Liberia par la Cedeao, a établi son quartier général. Samuel Kanyon Doe descend de sa voiture blindée et monte directement au premier étage, vers le bureau du général ghanéen Quainoo, alors commandant en chef de l’Ecomog. Visiblement, il n’était pas attendu. Aucune mesure particulière de sécurité n’a été prise et le général travaille tranquillement dans son bureau. Dans la cour vaquent tout aussi tranquillement des soldats gambiens, nigérians, ghanéens. Tous étonnés de voir débarquer dans leurs quartiers un chef d’Etat censé être reclus dans son bunker.

Doe, ses deux ministres et des éléments de la garde présidentielle gravissent les escaliers. Un groupe de journalistes de la radio-télévision libérienne, convoqué au dernier moment, les rejoindra avec dix minutes de retard. En tout, les loyalistes sont une centaine à envahir l’état-major de l’Ecomog.

Une journaliste britannique de la BBC, Lise Blunt, venue pour rencontrer des officiers de l’Ecomog, assiste à toute la scène du rez-de-chaussée. Elle n’est pas expulsée des lieux, personne ne l’empêche de regarder. Elle nous raconte : « Quelques minutes après que Doe et son groupe sont montés, j’ai vu arriver un autre convoi. Cette fois, c’est Prince Johnson, l’un des deux chefs rebelles, accompagné d’hommes armés jusqu’aux dents, reconnaissables à leur bandeau ou ruban rouges.

Cliquetis d’armes

Ils descendent de leurs véhicules : des bus réquisitionnés, des voitures particulières saisies, des Toyota tout terrain. Très vite, la querelle éclate entre les deux groupes. Johnson veut monter voir le général Quainoo, mais des officiers de l’Ecomog l’en dissuadent. Il semble très nerveux. Ses hommes interpellent ceux de Doe. J’entends leur cliquetis d’armes. Un officier gambien de l’Ecomog me pousse dans un bureau du rez-de-chaussée et me dit de me mettre à plat ventre.

Quelques instants plus tard, Prince Johnson entre dans la pièce où s’est réfugiée notre consoeur. Il est de plus en plus excité. L’officier gambien, pour le calmer, lui tend une canette de bière qu’il repousse brutalement en criant : « Je m’en fous ! » Il va à la fenêtre et crie à ses hommes : « Ouvrez le feu ! » Et c’est le massacre. Fusils-mitrailleurs, roquettes et même armes anti-aériennes détonnent. Il est 13h 30 ou 13h45.

Au premier étage, le général Quainoo essaie de s’interposer et crie : « Cessez le feu ! » Personne ne l’entend. Ses officiers, dans la cour, tentent également de calmer les protagonistes. Rien n’y fait. Les tirs continuent de plus belle. Les éléments de l’Ecomog assistent, impuissants, à cette tuerie : « Que pouvions-nous faire ? » dira plus tard l’un des officiers. Nous ne pouvions pas tirer sur Johnson, ce n’est pas notre rôle. Alors tirer sur Doe ? Ç’aurait été encore pire. L’Ecomog a néanmoins sauvé la vie des deux ministres de Doe ainsi que des journalistes.

Humiliations

Au bout de 90 minutes environ, les tirs semblent cesser. On comptera 78 cadavres. Essentiellement des fidèles du chef de l’Etat. Et Prince Johnson crie encore à ses hommes : « Cette fois, nous allons le prendre. » Les hommes de Johnson ont capturé Samuel Doe dans le bureau du commandant en chef de l’Ecomog qui n’a rien pu faire. Ils le déshabillent, lui arrachent les gris-gris qu’il porte en travers de la poitrine, l’humilient de toutes les manières. Un rebelle lui brise les deux jambes avec deux rafales de sa Kalachnikov. Le « docteur » Samuel Kanyon Doe n’est plus président. Seulement un grand blessé emporté comme un baluchon par les rebelles qui le jettent dans une voiture.

Au camp militaire de Bushrod Island, près du village de Caldwell à moins de 10 km de Monrovia, c’est la joie sadique. En cette fin d’après-midi de ce 9 septembre, les rebelles ont traversé la capitale en criant: « Nous avons capturé Doe.» Le président captif a les mains liées derrière le dos. Il n’a plus ni protecteurs ni protections : ses gardes ont été tués ; ses gri-gri arrachés. Un rebelle, à la machette, lui coupe les deux oreilles. Un autre lui balafre le visage. Et on va le soumettre à l’interrogatoire.

Ses doigts sont brisés, ses parties génitales broyées. Il avoue tout : sa fortune, l’adresse de ses banques, la cachette de certains de ses proches. Samuel Doe est à bout. Ses larmes se mélangent au sang qui dégouline de sa bouche. Il crie, il essaie de calmer ses douleurs. Par réflexe, sa tête se renverse sur son torse. Il pousse un gros soupir. Un rebelle, croyant qu’il essaie ainsi de faire appel à un dernier gri-gri pour devenir invisible, lui tire une dernière rafale en pleine tête.

Samuel Kanyon Doe meure comme il a vécu. Horriblement.

Pantin sanguinolent

Le lendemain lundi 10 septembre, son corps mutilé, est promené dans une brouette à travers Monrovia. On expose le monstre monstrueusement tué. Doe est mort. Ça ne suffit pas. Il faut le démontrer. Donc montrer son corps. Cet homme avait sauvagement tué et fait tuer ceux qu’il avait renversé en 1980 ; cet homme avait fait mutiler ses adversaires et exposer leur cadavre. Ses tueurs feront de même. Ce lundi 10 septembre, dans l’après-midi, le pantin sanguinolent qu’est devenu le chairman est exposé dans la cour d’un petit hôpital, Island Clinic. Sans oreilles, sans sexe, sans doigts, les jambes brisées. Il y restera plusieurs jours.

Les hommes de Prince Johnson ont pris le soin de faire appel à des médecins et à des infirmiers pour faire retarder la décomposition du cadavre : on lui a injecté du formol.

Depuis la fin de septembre, le corps a disparu. On ne sait pas s’il a été enterré. Lui, au moins, a fait enterré ceux qu’il avait tués. Dans la boue, dans des fosses communes. Broyés par des bulldozers.

Dès le lendemain de ce massacre, dont le seul héros n’a été qu’un chef d’Etat fantasque, les commandos de l’ancienne garde présidentielle se vengent. Ils tuent, pillent, violent, brûlent tout. Ils n’ont plus qu’un seul slogan : « Sans Doe, pas de Liberia ! Sans président, pas de capitale ! » Même avec Doe, il n’ya avait plus de capitale. Plus de Liberia. Il faudra tout recréer. Un assassin comme Samuel Doe n’était pas un créateur. Mais tout de même, que la terre soit légère à ce qui reste de son corps. Même s’il est mort comme il avait tué.

Sennen Andriamirado et publié dans J.A. n° 1553, du 3 au 9 octobre 1990.

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