UN DIALOGUE NATIONAL SANS LE LEADER DE L’OPPOSITION MAURICE KAMTO, NI LES LEADERS ANGLOPHONES EN PRISON
Le président de la République, Paul Biya, peut encore jusqu’à minuit, faire procéder par le pouvoir de grâce qu’il détient, à la libération d’Ayuk Tabe et de tous ceux qui ont été condamnés avec lui, après le procès qui a suivi leur interpellation au Nigéria, en janvier 2018. Chimère ? Espoir vain ? Dialogue de sourds ?
Ce serait la suite logique du choix qu’a fait le Gouvernement camerounais d’inviter aux Assises de Yaoundé, des membres de l’entité dite « Gouvernement intérimaire » de l’Ambazonie, du nom que les tenants de la sécession ou de la restauration de l’ancien Southern Cameroon ont donné aux régions du Nord-ouest et du Sud-ouest. Car si Ikomi Sakho, le président de cette entité, a reçu un carton d’invitation, si les plus radicaux tels que Mark Bareta, Ayaba Cho Lucas, Ebenezer Akwanga et d’autres, malgré les mandats d’arrêt lancés contre eux, les exactions imputées par le Tribunal militaire à Ayuk et cie, il n’y a pas de raison que le glaive continue de peser sur ces condamnés. Et tout aussi, qu’ils soient sous les verrous pendant que leurs collègues et congénères planchent au Palais des Congrès.
De même, dans l’esprit qui semble se dégager pour une décrispation de la situation politique, le chef de l’Etat a encore le temps, par le mécanisme de l’arrêt des poursuites, étant le patron hiérarchique du Commissaire du Gouvernement, du fait du cordon ombilical entre la Chancellerie et le Parquet, de faire procéder à la libération de Maurice Kamto, de ses partisans et alliés. Ceci en prenant en compte le mémorandum remis par ce parti au Premier Ministre, comme le flot de propositions remis lors des pré-consultations.
Tout aussi, en écoutant et lisant le ministre Gregoire Owona parler d’humilité, il serait utile que l’ordre du jour soit modifié pour que la phase de pré-consultation ne soit pas un tour de passe-passe, une opération de communication politique, destinée d’une part à envoyer des signaux aux partenaires internationaux du Cameroun, après tant de remous, et, d’autre part, de stopper le cycle politique inauguré par la contestation post-électorale.
Rien de ce qui a été proposé n’a été intégré dans le programme officiel et la composition des commissions, des éléments décisifs restes conformes au discours du 10 septembre :
– La question de la décentralisation n’a fait aucune place au débat incontournable sur la forme de l’Etat et l’on voit sur les plateaux, l’agacement des membres du RDPC quand affleure ce sujet. Comment donc dans ce cas espérer couper l’ananas cultivé sur les deux rives du Moungo en deux pour que les fondements du problème anglophone dont la crise qui court depuis 2016 est un des aspects, connaisse un dénouement structurel ? Comment mettre fin aux frustrations qui couvent depuis 1972, si une chance n’est pas donnée aux bonnes volontés favorables au fédéralisme, endigue les tentations et la poussée sécessionnistes ? L’humilité commence par là !
– Les gouverneurs de régions peuvent-ils être mis en avant pour conduire des délégations quand l’aspiration forte est précisément la fin du centralisme étouffant, de la main mise de Yaoundé, quand l’aspiration est à la gestion directe des territoires, à la fin de la férule des Délégués du Gouvernement ? Il fallait donner un signal symbolique en laissant les gouverneurs à leur place et en mettant en avant ces forces qui préfigurent une nouvelle approche de la gouvernance.
Demain, sur quels ressorts et sursaut, les forces de changement joueront-ils pour obtenir que la question de la forme de l’Etat se matérialise en commission dédiée et soit l’un des cœurs des débats ? Celui d’un consensus au dessus des égos et coteries, des parades et de l’esbroufe. Pour obtenir ce que des partis ont obtenu à la Tripartite de 1991, la mise en place d’un Comité technique sur la Constitution alors que l’ordre du jour prévu par le chef de l’État était réduit à la révision du Code médiatique et du Code électoral. Obtenir ce qui n’a pas été possible en 91 à cette Tripartite, en 93 avec la Commission Owona et en 94 avec le Comite consultatif constitutionnel, après les conclaves des All Anglophone Conference, à savoir l’inscription de la question anglophone dans les débats.
Comme tous ceux qui cueillent et brandissent l’arbre de la paix, appellent de leurs vœux à la fin de ce carnage de près de 3000 morts et cette saignée de déplacés et réfugiés, nous sommes nombreux à continuer de croire que la raison et l’intérêt collectif peuvent triompher du règne de la ruse et de la manœuvre politiques.
Il est à craindre que ce Dialogue ne soit un Congrès bis du RDPC, que ces vœux restent lettre morte et que des options soient prises pour faire prévaloir comme pour les Commissions et l’ordre du jour, l’agenda prévu par le gouvernement. Soit des résolutions, déjà préfigurées, qui consisteront :
– à réintroduire le poste de Vice-président, pouvant assumer le pouvoir en cas de vacance ou jusqu’à la fin du mandat en cas de démission, confié à une personnalité anglophone, dans un système décentralisé et non fédéraliste dont Dion Ngute serait l’un des favoris ;
– mettre en application la loi de décentralisation de 2014 avec des régions disposant d’autonomie et de moyens
– des mesures originales en faveur du bilinguisme
– Des mesures et des milliards pour la reconstruction des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest
– Des mesures d’intégration de combattants ambazoniens dans l’Armee et plus larges de désarmement
– un quota de fonctions et de postes beaucoup plus important pour les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest
– l’autorisation de la double-nationalité…
Des solutions d’un certain intérêt, mais qui, hélas, ne permettront pas de sortir durablement de l’ornière. Si notre propos est démenti, l’espoir sera alors permis.
A. Mounde Njimbam