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UN JOURNALISTE RACONTE COMMENT IL A ÉCHAPPÉ À L’ASSASSINAT PAR LES SERVICES SECRETS CAMEROUNAIS ET BURKINABÈ

Par Michel Biem Tong, journaliste web en exil (Témoignage)

Je commencerai par dire merci au peuple du Burkina Faso pour son accueil chaleureux et pour son extrême gentillesse. Ce pays réputé pour l’intégrité de ses hommes aurait dû être ma terre d’asile si son appareil d’Etat n’était pas infesté de ripoux et de brebis galeuses qui n’ont pas hésité à se mettre en intelligence avec le régime autoritaire, criminel et voyou de Yaoundé, qui a mis ma tête à prix. A ceux qui me disaient: « Michel, le Burkina Faso n’est pas un pays sûr pour ta sécurité, cherche à partir de là pour le Ghana ou pour l’Europe », je leur répondais : « Écoutez, je ne risque rien ici, ce pays respecte la personne humaine et mieux que le Cameroun, est à cheval sur les principes démocratiques ».

Avec le recul, je me rends compte que j’ai été naïf de croire que j’étais en sécurité au Burkina Faso car au moment où je quitte ce pays le 24 novembre dernier pour la Norvège où je suis désormais établi, j’échappe de justesse à un enlèvement par les agents de la Division de la Sécurité Militaire (SEMIL) du Cameroun, mis en mission à Ouagadougou par le colonel bestial et triste personnage Émile Bamkoui : « ils ne pouvaient pas venir par l’aéroport de peur d’être arrêtés. Ils sont entrés à Ouagadougou par voie terrestre. Ils sont encore présents à Ouaga et nous sommes d’ailleurs à leurs trousses pour les faire arrêter. C’est bien que vous soyez sortis car nous étions prêts à vous exfiltrer vers le Ghana. Ils étaient en train de préparer une opération, ils ne pouvaient pas le faire avant les élections (présidentielles et législatives du 22 novembre 2020, ndlr), ils ont attendu la fin des élections pour mener leurs opérations », m’a confié ce 4 décembre 2020 au téléphone, un membre de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR), les services secrets burkinabè. C’est au début de cette année 2020 que les signes avant-coureurs de mon enlèvement ou mon assassinat au Burkina par les services d’intelligence camerounais ont commencé à poindre.

17 janvier 2020: Vers 21h, une de mes sources d’information proche de la SEMIL m’appelle par téléphone et me dit avoir entendu le colonel Bamkoui nourrir l’intention de me tuer au Burkina: « il dit qu’il mène des opérations à travers le monde et qu’il est capable de te tuer là où tu es au Burkina Faso. D’ailleurs, le chef d’état-major de l’armée burkinabè, Général Minoungou Moïse, est son camarade d’école de guerre », m’a confié la source.

Le 26 février 2020, vers 21h, à mon retour d’une course, une voisine de ma cour (au Burkina, les maisons sont dans des camps clôturés appelés cour), une dame âgée de la cinquantaine et membre de la famille du premier président du Faso, Herman Yameogo, m’informe que des individus parlant avec un accent camerounais sont venus me chercher : » ils nous ont dit qu’ils cherchent un camerounais au nom de Michel qui vit ici, je leur ai dis qu’il n’y a pas de Michel dans cette cour », m’a raconté la dame. Le lendemain matin, cette maman, qu’on appelait dans la cour « Mami », m’entraîne à l’entrée de la cour et me confirme que des hommes à l’accent camerounais sont passés me chercher la veille et ont d’ailleurs fait le tour du quartier, demandant dans chaque cour si un certain Michel d’origine camerounaise y vit.

Le 27 mars 2020, une de mes sources d’information, très introduite au sein des services de sécurité camerounais, m’envoie un SMS m’enjoignant de l’appeler de toute urgence. Ce que je fais. C’est alors qu’il me confirme que les hommes passés me chercher à ma résidence à Ouagadougou étaient venus de Yaoundé et qu’il s’agit des agents du colonel Bamkoui : « ils ne sont pas venus t’offrir des fleurs, mon petit (entendez, ils sont venus pour me tuer, ndlr) « , m’a confié ce jour-là ma source qui m’a donné quelques conseils: « Mon petit, quitte ce pays, où alors déménage de là où tu restes. Sache également que le chef d’état-major de l’armée de là-bas ne te porte pas dans son cœur ».

Pourquoi devrais-je prendre cette information au sérieux ? Un jour et quelques semaines plus tard, dans un forum WhatsApp, un confrère, directeur de publication du journal Le Courrier, Olivier Mbelle, par ailleurs agent de la SEMIL et de la Direction Générale de la Recherche Extérieure (DGRE), services secrets camerounais, m’a pris à partie en me disant : « Je connais exactement où tu résides à Ouagadougou ». Normal, puisque ses collègues de la SEMIL y étaient déjà quelques semaines plus tôt pour m’éliminer physiquement.

A l’attention de l’opinion nationale et internationale, mes sources m’ont révélé qu’Olivier Mbelle fait partie de ceux qui ont localisé le lanceur d’alertes Paul Chouta et ont facilité sa filature avant son enlèvement le 28 mai 2019. Le même Olivier Mbelle n’avait de cesse de me dire dans des foras WhatsApp que mon retour au Cameroun c’est en fin d’année et que je lui dois d’ailleurs deux bonnes gifles à mon arrivée. Allez savoir pourquoi !

Le 24 octobre dernier, une école est attaquée à Kumba, au sud-ouest anglophone du Cameroun. 7 élèves sont sur le carreau. Grâce à mes informateurs, je suis au parfum des auteurs et commanditaires de ce crime. Je rédige un article que je publie sur ma page Facebook. L’article va recuillir plus de 700 partages. Au sein du régime Biya et parmi ses soutiens, c’est la débandade.

En effet, cette attaque a été menée par les tueurs professionnels du régime Biya dans le but de porter un sérieux coup au mouvement indépendantiste anglophone qui allait ainsi être discrédité à travers le monde pour avoir conduit à l’assassinat d’élèves. C’est du moins la campagne que préparaient les spins doctors du régime Biya à l’international. Mais mon article a complètement fauché leur plan. A partir de cet instant, je suis devenu la bête à abattre, les cabinets noirs du pouvoir de Yaoundé se sont sans doute rendus compte que j’en savais un peu trop sur les dessous du conflit anglophone. Pour gagner la bataille de l’opinion dans le cadre de la crise anglophone, il fallait me neutraliser. Le pouvoir Biya a engagé une campagne médiatique contre moi dont le fil d’Ariane était la nécessité pour les autorités du Burkina Faso de me livrer au Cameroun.

Le 25 octobre dernier, dans un communiqué largement publié par la presse locale, un organisme appartenant à l’activiste politique camerounais Shanda Tomne, suggère au gouvernement camerounais d’engager une procédure par voie diplomatique afin que je sois déporté vers le Cameroun où je dois être jugé entre autres pour incitation à la violence.

Le 26 octobre, Rosalie Guisselle Ayissi, une consœur de la chaîne de télé privée camerounaise Info TV (proche du régime Biya), lors de l’émission Le Débat qu’elle présente, formule une doléance à l’endroit du gouvernement burkinabè pour que je sois confié aux autorités camerounaises. Bien entendu, il ne s’agissait pas de simples doléances mais de ce qui se sussurait au sommet de l’Etat du Cameroun.

Le 28 octobre, je suis informé à travers un post Facebook de Me Dimitri Touko, avocat camerounais basé en France, que la Sécurité Militaire a dépêché des agents à Ouagadougou pour me ramener au Cameroun dans une « valise diplomatique ». Les agents en question, d’après l’avocat, allaient bénéficier de la protection d’un officier supérieur de l’armée burkinabè. Devinez de qui il s’agit !

Pourquoi un tel acharnement sur ma personne? Simplement parce qu’à ma sortie de prison le 14 décembre 2018, il était question que je me taise, que je ne critique plus le régime Biya tel que je faisais avant mon arrestation le 23 octobre 2018. Ce que j’ai refusé de faire quitte à choisir l’exil.

Dieu merci, grâce à un organisme international (dont je préfère taire le nom pour l’instant), je suis désormais très bien installé en Norvège avec possibilité d’écrire mes articles et de lancer mes projets littéraires et médiatiques au service des droits humains, de la démocratie et de la bonne gouvernance en Afrique, avec possibilité de faire des consultations à travers le monde sur ces différentes questions.

L’opération visant mon enlèvement à Ouagadougou a donc échoué. Aux dernières nouvelles, Bamkoui et tous ses agents sont fous de rage et ne savent plus où donner de la tête. Ma présence en Norvège me rend désormais quasiment hors de leur portée. Les agents dépêchés par la SEMIL au Burkina sont désormais pourchassés par les services de sécurité burkinabè. Comme quoi, les chasseurs de Biem Tong sont devenus des chassés. Quelle triste fin !

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