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UN PRÊTRE ARRÊTÉ POUR AVOIR MARCHÉ POUR LA PAIX AU CAMEROUN

Décidément, il faudrait désormais se terrer chez soi pour ne pas se faire arrêter au Cameroun. Toute tentative de marche pacifique est considérée comme une tentative de déstabilisation du régime Biya.

Le prêtre Jésuite Ludovic Lado qui a entamé hier une marche entre Douala et Yaoundé pour le retour de la paix dans les régions anglophones du Cameroun vient d’être arrêté par la police non loin d’Edéa.

‘Son pèlerinage n’ira visiblement pas plus loin. Il est en ce moment dans un pick-up de la police en direction de Yaoundé…’, informe notre collègue Jean Bruno Tagne.

Voici la lettre où le prêtre catholique annonçait son pèlerinage,  invitant les Camerounais à œuvrer pour mettre aux souffrances de leurs compatriotes des régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest. Mais surtout, à la fin de son périple, il envisageait rendre visite au porte-parole de Maurice Kamto et d’autres détenus de la marche du 22 septembre. Un programme pas du tout au goût du régime.

« LETTRE OUVERTE D’UN PRETRE CATHOLIQUE QUI MARCHE

« LEVE-TOI ET MARCHE » (Jn 5, 8)

Chers Compatriotes,

Quand vous lirez ceci, je serai déjà en chemin, pour faire ma part. Je vous écris fraternellement pour partager avec vous l’esprit du pèlerinage de la fraternité et de la réparation que j’entreprends à pied ce 12 octobre 2020, de Douala à Yaoundé, pour prier, d’une part, pour le dialogue, la justice, la paix et la réconciliation dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du Cameroun et, d’autre part, pour faire pénitence pour la réparation des crimes contre la dignité humaine commis dans ces régions particulièrement. Je puise dans ces valeurs chrétiennes qui sont simplement humaines : fraternité, dialogue, justice, réconciliation, paix.

« Lève-toi et marche » (Jn 5, 38) disait Jésus au malade qui, comme notre pays, avait attendu la guérison pendant 38 ans. Au commencement de la crise anglophone, vous vous souvenez, était une marche pacifique réprimée. Et depuis un peu plus de quatre ans le sang coule dans le NO/SO. Récemment encore plusieurs centaines de manifestants pacifiques ont été arrêtés et croupissent dans les cellules infectes de notre pays. Je marche pour que le sang humain cesse de couler dans notre pays. Je marche pour que le droit constitutionnel de manifester pacifiquement au Cameroun soit respecté. Je marche en solidarité avec les déplacés internes et les réfugiés de la crise anglophone. Je marche pour exorciser en moi et en nous le démon de l’indifférence. Marcher n’est pas seulement un droit humain mais divin. Je marche pour que ça marche.

Le thème général de ce pèlerinage est « Où est ton frère ? » (Gn 4, 9), question que Dieu posa à Caïen qui venait de tuer son frère. Je me réjouis particulièrement de la sortie récente de l’encyclique du Pape François « Fratelli Tutti » (Tous frères) sur la fraternité et l’amitié que je lis et médite avec beaucoup de saveur pendant ce pèlerinage. Oui, où sont nos frères et soeurs du NO/SO ? Certains sont morts, souvent dans des conditions atroces ; d’autres sont restés au pays mais dispersés dans nos villes et campagnes, souvent à nos portes ; d’autres encore sont réfugiés hors du pays.

La plupart sont restés dans le NO/SO où leur dignité est quotidiennement éprouvée par la précarité. Face à tout cela un pasteur peut-il rester tranquille ? Mon cœur me répond NON ! J’ai donc décidé d’entreprendre ce pèlerinage que j’offre au Seigneur Jésus Christ, le prince de la paix, de la justice et de la miséricorde, comme les cinq pains et deux poissons des apôtres dans les Saintes Ecritures (Lc 9, 16). Il en fera ce qu’il voudra.

Pour le volet pénitence, j’ai été fortement encouragé récemment par la journée nationale de jeûne et de prière organisée par la Conférence des évêques catholiques des États-Unis en vue de réparer le péché du racisme et de renouveler son engagement pour la justice raciale.

En effet, en méditant sur le passage de la Genèse d’où est tiré le thème général de ce pèlerinage, j’ai été touché par l’évocation des conséquences sociales et cosmiques de tout crime de sang : « Le Seigneur reprit : « Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi! Maintenant donc, sois maudit et chassé loin de cette terre qui a ouvert la bouche pour boire le sang de ton frère, versé par ta main. Tu auras beau cultiver la terre, elle ne produira plus rien pour toi. Tu seras un errant, un vagabond sur la terre. » (Gn 4, 10-12). Notre sol est désormais maudit par le sang des innocents. Je marche donc aussi pour faire pénitence pour la réparation des crimes de sang commis contre les innocents dans le cadre de cette sale et inutile guerre du NO/SO.

Enfin, la première phase de ce pèlerinage qui a lieu ce mois d’Octobre me conduit de Douala à Yaoundé, le cœur des institutions politiques dont la première vertu, nous le dit Paul Ricoeur, doit être la justice sociale. Je voudrais vous rassurer que même si je suis un ardent défenseur de l’alternance politique comme indicateur de toute saine démocratie, je ne marche pas pour demander le départ de ceux qui sont au pouvoir. Ce n’est pas mon rôle mais celui des politiciens. Mais je n’oublie pas que c’est un politicien qui a fait tuer Jésus Christ pour contenter le clergé de ces temps-là. Le point culminant à mon arrivée à Yaoundé sera la visite que je rendrai à M. Bibou Nissack, détenu au SED, symbole de plus de 600 détenus de la marche du 22 septembre 2020. Je marche aussi pour la libération de tous ces détenus.

Enfin, cette phase de mon pèlerinage est aussi ponctuée d’une levée de fonds pour contribuer à la scolarisation des enfants des déplacés internes dans les autres régions du Cameroun. Cet élan de générosité est l’expression et l’incarnation même de notre fraternité, car, en effet, nous sommes « Tous frères », comme vient de nous le rappeler le Pape François dans sa belle et providentielle encyclique.

Et parlant d’incarnation, Jésus s’est incarné pour se faire notre frère et nous apprendre à appeler Dieu « Notre Père ». Je marche pour partager un tout petit peu la condition de nos frères et sœurs du NO/SO, déplacés internes ou réfugiés, qui vivent dans la précarité depuis un peu plus de quatre ans. Vous pouvez contribuer à la mesure de vos possibilités aux numéros suivants : 6 83 91 80 56 / 6 97 21 04 80. En sponsorisant un pas, vous offrez un cahier ou un livre à un enfant déplacé interne.

Voilà, chers confrères, le sens de cet exercice spirituel et humain. Je sollicite humblement vos prières pour que mon offrande soit agréable à Dieu comme celle d’Abel et que cette guerre fratricide qui viole la dignité humaine puisse enfin prendre fin pour céder la place aux négociations de paix et au travail de réconciliation. Nous sommes tous frères et sœurs (Fratelli Tutti). Que Dieu vous bénisse !

Fraternellement,

Ludovic Lado SJ »

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