UN SAVANT DEMANDE AUX AFRICAINS DE SE DRESSER CONTRE LE COLONIALISME DE LA FRANCE
Par CHEIKH ANTA DIOP
De toutes les puissances européennes qui dominent l’Afrique, la France est l’une des plus colonialistes – sinon la plus colonialiste.
Les méthodes qu’elle applique (politique d’assimilation, etc.) sont telles que malgré l’exploitation la plus féroce, on n’a pas vu surgir, jusqu’ici, dans ses colonies d’Afrique noire (les territoires sous mandat mis à part) une franche aspiration à l’indépendance nationale.
Le colonialisme français a même réussi un tour de force exceptionnel en créant des consciences politiques, de tout âge, vieilles, d’âge mûr, jeunes, attelées à la défense de l’Union française.
Car l’Union française, quel que soit l’angle sous lequel on l’envisage, apparaît comme défavorable aux intérêts des Africains, en ce sens qu’elle impliquera, toujours, une exploitation unilatérale de l’Afrique par la Métropole et un étouffement des aspirations légitimes d’indépendance nationale des peuples colonisés, sans la réalisation desquelles il n’y a pas de démocratie possible.
On est en face d’une véritable Sainte Alliance Européenne impérialiste agonisante. Cette Sainte Alliance s’imposera de plus en plus comme une nécessité aux puissances colonisatrices avec l’éveil de la conscience nationale.
14 POINTS ESSENTIELS SUIVANTS COMME PRINCIPES DE BASE D’UNE ACTION CONCRÈTE
(Par Ousire CHEIKH ANTA DIOP)
En conclusion, on peut dégager 14 points essentiels suivants comme principes de base d’une action concrète :
1°) Restaurer la conscience de notre unité historique.
2°) Travailler à l’unification linguistique à l’échelle territoriale et continentale, une seule langue africaine de culture et de gouvernement devant coiffer toutes les autres ; les langues européennes, quelles qu’elles soient, restant ou retombant au niveau de langues vivantes de l’enseignement secondaire.
3°) Élever officiellement nos langues nationales au rang de langues de gouvernement servant d’expression au Parlement et pour la rédaction des lois. La langue ne serait plus un obstacle à l’élection d’un député ou d’un mandataire analphabète de souche populaire.
4°) Etudier une forme de représentation efficace de l’élément féminin de la nation.
5°) Vivre l’unité fédérale Africaine. L’unification immédiate de l’Afrique francophone et anglophone, seule, pouvant servir de test. C’est l’unique moyen de faire basculer l’Afrique Noire sur la pente de son destin historique, une fois pour toutes. Attendre en alléguant des motifs secondaires, c’est laisser aux Etats le temps de s’ossifier pour devenir inaptes à la Fédération, comme en Amérique latine.
6°) Opposer une fin de non-recevoir à toute idée de création d’Etats blancs, d’où qu’elle vienne et ou que ce soit en Afrique Noire.
7°) Prendre dans la Constitution les dispositions nécessaires pour qu’il ne puisse pas exister une bourgeoisie industrielle. Prouver ainsi qu’on est réellement socialiste en prévenant l’un des maux fondamentaux du capitalisme. Qui pourrait, aujourd’hui, s’opposer décemment à une mesure préventive contre une classe encore inexistante en Afrique ?
8°) Créer une puissante industrie d’Etat. Donner le primat à l’industrialisation, au développement et à la mécanisation de l’agriculture.
9°) Créer une puissante armée moderne, dotée d’une aviation et d’une forte éducation civique, inapte aux putschs de type latino-américain.
10°) Créer les instituts techniques indispensables à un Etat moderne : physique et chimie nucléaires, électronique, aéronautique, chimie appliquée, etc.
11°) Réduire les trains de vie et niveler judicieusement les salaires afin de transformer les postes politiques en postes de travail.
12°) Organiser en coopératives de production les volontaires possédant des champs contigus, en vue de la mécanisation et de la modernisation de l’agriculture, de la production sur une grande échelle.
13°) Créer des fermes modèles d’Etat, pour élargir l’expérience technique et sociale des paysans non encore groupés. La collectivisation à la campagne rencontrera mille fois moins de difficultés chez nous que dans les pays européens, pour toutes les raisons indiquées dans l’Afrique Noire Pré-coloniale.
14°) REPEUPLER L’AFRIQUE A TEMPS.
(LES FONDEMENTS ECONOMIQUES ET CULTURELS D’UN ETAT FEDERAL D’AFRIQUE NOIRE (CHEIKH ANTA DIOP)
(P. 120,121,122))
Nous sommes donc forcés de réviser notre stratégie et notre tactique et de les adapter à cette nouvelle situation si nous voulons accroître nos chances de succès.
A la coalition il nous faut opposer la Coalition.
Il est plus que jamais nécessaire de dresser contre la coalition de la vieille Europe celle des jeunes peuples de toute l’Afrique victimes de la colonisation.
Sortir de l’isolement ou se trouvent engagés les mouvements Africains et donner à la lutte un caractère Continental, tel apparaît le moyen le plus sûr de quitter l’impasse actuelle de la politique Africaine, tout en apportant une contribution de plus en plus efficace au combat pour la paix.
(ALERTE SOUS LES TROPIQUES (CHEIKH ANTA DIOP) ; P.67, 69, 71)