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UN UNIVERSITAIRE DÉTRUIT MACRON, MBEMBE ET LE SOMMET FRANCE-AFRIQUE

Je me suis fait violence. Croyez-moi sur parole ; J’ai réfréné mon ardeur, tempéré ma colère ; J’ai même fait preuve d’une extrême cautèle à propos de ce sommet de Montpellier baptisé « Nouveau sommet France Afrique » ou vice versa. Mais comment est-il possible de rester de marbre face à une histoire qui se joue devant soi alors même qu’on est acteur de son époque ? Comment s’extraire d’une réalité dont on est coeffecteur, y compris en faisant silence ? Albert Einstein disait : « Ne faites rien contre votre conscience, même si votre Etat vous le demande ». Alors, n’obéissant qu’à la mienne, je vais livrer ici ma grille de lecture critique sur ce sommet France Afrique d’un genre nouveau.

Les actes que posent certains hommes de leur vivant font résonance au-delà des époques et les actions substantielles qui engagent des générations ne sauraient souffrir de l’absence des sachants, des carences des analystes, de la démission des érudits. Abdiquer à se prononcer devant un sommet qui engage des millions d’Africains face à des Etats puissants serait purement et simplement de la lâcheté. Surtout quand, par la pesanteur de sa connaissance, l’on prétend apporter une contribution fût-elle infime à l’édification d’une pensée rationnelle, d’une conjugaison de la raison avec l’histoire : Nous devons être acteurs de notre propre histoire, celle de notre époque. Le poète allemand Heiner Müller ne disait-il pas que « la plus grande chute est celle que l’on fait du haut de son innocence » ? Alors, ne soyons pas innocents mais coupables d’action, de tellement d’énergie qu’elle finisse par procurer de la lumière à nos semblables par l’outrance de nos tentatives.

ACHILLE MBEMBE L’A DIT !

Ce jour, au détour d’une intervention, j’ai lu un billet d’Achille Mbembe. A l’en croire, il y aurait eu des propos ad hominem à son endroit suite au sommet de Montpellier. Si c’est le cas, je condamne car ce n’est pas l’essentiel pour moi. Pourtant, à dire vrai, je n’ai ni ressenti le besoin, ni eu l’occasion de lire les réactions de ses détracteurs, encore moins les dithyrambes des zélateurs et autres tartuffes de circonstance pour m’effarer de l’initiative de notre Césaire équatorial pour qui j’avais pourtant de l’estime en tant que penseur de la post-colonie qu’il analysait sous le prisme analytique de la déconstruction d’un diktat.

Je n’ai pas non plus ressenti le besoin de requérir l’avis d’observateurs africains sur ce sommet de France pour comprendre les fondements de la réprobation populaire. Et contrairement à ce que les organisateurs de ce sommet ont l’air d’imaginer, le logiciel de la grande majorité des Africains ne peut être programmé simultanément en faveur d’une hostilité congénitale à la France ou envers ses autorités, quelle que fût la localisation géographique ou l’idéologie sous-jacente. C’est impossible !

Le bon sens élémentaire requiert donc de laisser au minimum le bénéfice du doute aux contempteurs de ce sommet en posant le préalable qu’ils sont aussi pourvus de raison humaine, adultes donc doués de cognition et d’un soupçon de rationalité qui, bien que limitée (contrairement aux démiurges néomacroniens qui ont imaginé un tel sommet), n’en est pas moins légitime. Seuls les axes d’analyse paradigmatiques changent le regard sur ce sommet. Mieux encore, le vent de liberté qui gagne progressivement l’Afrique peut tout autant justifier cette hostilité spontanée pour ce qui s’apparente davantage à une tutelle larvée, une tentative mercantile de s’arroger l’Afrique par la ruse. L’objectif de la France restant le même, seule change la méthode.

Il se trouve que n’étant pas des naïfs et ayant une faculté de discernement désintéressée, si ce n’est l’attachement à notre continent d’origine, nous devrions pouvoir bénéficier d’une présomption d’objectivité bien supérieure à celle de personnes qui ont reçu des perdiem et autres gratifications pour pouvoir discuter en notre nom de l’avenir des relations entre la France, ancienne puissance tutélaire et nos patries d’origine dont nous ne saurions brader les intérêts, le futur et les espérances des peuples, même pas pour des sourires enchanteurs de campagne ou des promesses de postes à responsabilité équivoques.

ILS ETAIENT SI HEUREUX DE POSER AVEC JUPITER

Et je les revois d’ici, souriants, émus, fiers et fermement convaincus d’avoir œuvré pour le bien-être des générations futures. Certains de ces acteurs (à l’instar du présentateur mélanoderme de RFI) pensent même connaitre l’Afrique, parce que souventes fois, plus d’ailleurs qu’à leur tour, aux frais de tel roi ou de sa princesse, ils s’y offrent quelques séjours de luxe généreusement rémunérés au détour d’une invitation spéciale, tous frais payés, en première classe et aux frais du contribuable.

D’autres, éloignés de longue date du terroir d’origine, le côtoient par médias interposés et transposent leurs réalités et représentations à toute l’Afrique en veillant à faire une analyse critique fortement livresque face à des réalités complexes. Une situation plus stable ne serait sûrement pas de refus. Cependant, on foule du pied l’œuvre d’une vie : quelle chute !

EROSTRATE ET MASLOW FONT CHORUS AVEC JUPITER ET LE SERPENT SE MORD LA QUEUE

L’analyse froide requiert une distanciation avec l’objet d’étude : c’est l’approche analytique. Or les acteurs qui défendent et justifient leur sommet sont à la fois juges et parties, car étant des pions au sein d’un vaste échiquier de façonnage d’une réalité tronquée. Et c’est ici que le complexe d’Erostrate, c’est-dire la tentation naturelle à l’ostentation proche de l’exhibitionnisme social se confond avec le sentiment du bien-fondé de son action progressiste.

La vérité est que la déconstruction mythologique à laquelle les acteurs se livrent souffre d’un biais cognitif originel qui réside dans le postulat de base qui leur sert de prétexte à cette vaste entreprise spoliatrice. Comment en effet envisager objectivement le rapport de la France « aux Afriques » sans en être une partie prenante par la suite ? C’est ainsi que Achille Mbembe se voit offrir non seulement une mission d’élaboration d’un rapport sur la situation des relations conjuguées et compliquées entre la France et l’Afrique, non sans avoir esquissé une éventuelle solution qui consisterait en un fonds d’innovation pour la démocratie de 30 millions d’euros géré par lui (sûrement dans le but d’enseigner la démocratie aux Africains ?!!! ) ou au pire, une maison de l’Afrique et des diasporas bien entendu, ici aussi dirigée par lui (On y apprendrait sûrement beaucoup en matière de cultures africaines !!!). Un poste stable, une reconnaissance internationale, ça peut toujours servir en lieu et place de la transhumance qu’inflige la transmission du savoir au gré des sollicitations…Eh oui, le temps presse, il faut se poser… En réalité, un fonds d’innovation pour la démocratie bénéficierait grandement aux Africains si on formait les satrapies africaines actuelles soutenues par la France aux fondements même de ce concept d’origine grecque, ce qui est pour le moins antithétique des intérêts français en Afrique (sic).

Et c’est ici que le serpent se mord la queue. En effet, hier pourfendeur acharné de la politique d’une France anachronique et unilatéraliste envers l’Afrique, notre Césaire des Tropiques se mue aujourd’hui en chef d’orchestre grassement rémunéré d’une entreprise de spoliation du continent par la ruse. Et pourquoi ? Explication : Soyons donc cohérents un instant voulez-vous ?

  • Comment peut-on analyser objectivement des relations multilatérales entre la France et ses anciennes colonies sans évoquer l’hypothèse d’une rupture de ces relations biaisées ?
  • Comment peut-on préempter une relation équilibrée entre l’Afrique et la France en faisant allégeance à cette dernière ? En devenant son obligé, son conseil ? Où sera désormais l’objectivité dans l’analyse ? « Abdiquer sa personne pour devenir un personnage », c’est se faire chose disait Sartre. Ainsi rentre l’intellect dans la sphère marchande, avec en corollaire inéluctable, le renoncement à sa liberté de penser.
  • Peut-on à la fois prôner l’amitié entre des peuples aux mémoires antagonistes et croire que l’on peut être en capacité de condamner les intérêts criminogènes des puissances au regard des nations institutionnellement et économiquement faibles ? Au mieux ce serait de la naïveté, au pire de la collusion au détriment de populations démunies.

L’entreprise de séduction de Macron aux bons sentiments grumeleux n’est qu’un cache-sexe vicié à la base. C’est comme cette beauté fatale aux yeux bleu azur que l’on vous mettrait en tête de gondole pour une pub alors que se cachent des substances cancérigènes à l’intérieur du produit. La véritable réalité est la forêt oligarchique que sa figure de proue cache à ces hordes de jeunes à qui l’on a offert un voyage pour mieux les convertir à la nouvelle stratégie de communication censée apaiser les esprits. Cette stratégie augure une opération de reconquête offensive moins brutale, moins formelle, moins militarisée parce que relevant d’organisations de la société civile et de partenaires jeunes dans une Afrique en construction. J’insiste sur le terme « Jeunes » car le pari est fait que la population jeune est le bras séculier de cette nouvelle donne anthropologique qu’il faudra conquérir pour de futurs marchés prometteurs. Il faut donc réduire cette potentielle résistance psychologique, cette défiance sourde envers l’ancienne puissance colonisatrice dont les rapports se sont dégradés avec les anciens colonisés. Ce que la nouvelle doctrine Elyséenne veut, ce n’est pas une nouvelle collaboration plus équilibrée, mais une population plus docile et moins turbulente pour pérenniser l’exploitation pacifique des mines, et autres matières fossiles d’Afrique tant nécessaires au prestige de la France.

QUI SONT DONC LES PERDANTS DANS CETTE NOUVELLE STRATEGIE FRANCAISE ?

A vrai dire, dans ce jeu à somme nulle, les perdants sont bel et bien les Africains, embarqués dans une nouvelle configuration géopolitique imaginée depuis l’Elysée, sous la tutelle d’un intellectuel qui sert de caution implicite à un braquage des esprits.

Alors, le décor est mis en place par un saltimbanque qui croit en toute naïveté servir la cause des Africains (je parle ici de l’animateur d’origine antillaise qui gesticule beaucoup) ; d’ailleurs est-il naïf ou tout simplement très narcissique ? Sûrement un peu des deux, puisque très imprégné du complexe d’Erostrate.

Dans moult interventions cybernétiques, attaqué de toutes parts pour sa participation à cette grand-messe orchestrée de main de maître par des stratèges Elyséens en géopolitique, stratégie et communication politique, chacun tire son épingle du jeu. L’un peut continuer à se donner de l’importance grâce à son excellente diction en qualité de maître de cérémonie et surtout expert en billevesées, l’autre obtenant la promesse de devenir une personnalité de haut rang avec chauffeur et gardes du corps, reconnaissance qui lui aura tant manqué dans ses pérégrinations intellectuelles à travers le monde. Le donneur d’ordre, Jupiter pourra désormais compter sur la sympathie des nouvelles élites africaines qui amplifieront ses paroles, son discours égalitaire entre la France et ses ex-colonies, faisant même oublier au passage qu’il n’est pas dépositaire de la souveraineté éternelle de la France, mais simplement son serviteur temporaire. Il aura réussi à redorer l’image de l’Etat Français après les ravages commis à Dakar par un de ses goujats de prédécesseurs. Ainsi donc, Erostrate et Maslow se donnent la main au bal organisé par Jupiter où les invités applaudissent la nouvelle incarcération dans laquelle ils s’enferrent sans en avoir même conscience.

Là où les uns et les autres auront succombé au charme du maître de céans, une simple grille de lecture polyscopique dans les rapports de force en présence leur aurait pourtant permis de comprendre que le président Emmanuel Macron ne représente pas l’individu, mais bel et bien une entité géopolitique qui continue d’arbitrer, et dans certains cas de façonner l’arbitraire. Par son emprise séductrice, il aura fait oublier les 8000 soldats français qui sont dans le Sahel à défendre les intérêts de la Nation Française, les bases militaires de Djibouti (1450 soldats), du Sénégal (350 soldats), de Côte d’Ivoire (950 soldats), du Gabon (350 soldats) et tous les enjeux géopolitiques et géostratégiques qui font le socle granitique de ses orientations politiques circonstanciées. (Vous vous souvenez du sourire de la nymphe aux yeux bleu azur sur la pub ?) De fait, qu’Emmanuel Macron soit sympa ou pas en tant qu’individu n’intéresse personne, seule compte son action politique et pour les Africains, seul importe leur bénéfice dans cette nouvelle relation.

UN IMPERATIF CATEGORIQUE : NE JAMAIS FAIRE DANS L’AD PERSONAM

Je ne parle pas ici d’intellect ni de côte d’intelligence dont la mesure requiert des mercuriales irréductibles au domaine des sciences humaines. Que je sache, aucun des participants à cette foire aux bonnes idées n’a obtenu une distinction honorifique de portée mondiale à ce jour. Et pourtant l’on ratiocine au point d’écumer le paquebot avec des cuillères. L’important est d’avoir l’impression d’avoir été écouté par le maître du jeu et tant pis pour tous ceux qui pourtant majoritaires et révoltés par une telle initiative trop supérieure à leurs capacités intrinsèques, s’avèrent rétifs aux décisions là-bas prises par des esprits brillants qui, certainement ne manqueront pas d’éclairer les incultes.

Et pourtant, il s’agit bel et bien d’initiatives personnelles pour le bien supposé de nations, d’entités géopolitiques dont la coopération devrait s’esquisser autour de valeurs définies en commun.

Seulement voilà, le rapport entre les protagonistes de cette initiative présentée conjointement a bel et bien été orchestré par un collectif de stratèges « Elyséen » déterminé à préserver les intérêts d’un Etat, à savoir la France. Les autres acteurs de cette grande scène ne représentent en vérité qu’eux-mêmes et leurs intérêts propres dissimulés derrière le paravent d’un hymne à la conjugaison des altérités pour une collectivité humaine élargie au sud de la méditerranée.

Réfléchissons à haute voix !!!

  • Il ne vient donc à l’esprit de personne que ce sommet se passe 7 mois avant l’élection présidentielle en France où le président sortant est potentiellement (sûrement) candidat ?
  • Il ne vient donc à l’esprit de personne que durant le premier semestre de l’année prochaine la présidence française de l’Union Européenne organisera un sommet européen sur la défense et que le prestige diplomatique de la France, notamment à l’ONU passe par les voix africaines dans toutes les instances internationales ?
  • Il n’aura en tout cas pas échappé aux moins crédules que de toute cette foire aux bonnes intentions, il n’a nullement été question pour la puissance française de sa politique étrangère qu’elle aurait d’ailleurs éludée en évoquant la nouvelle doctrine macronienne qui est que « la France ne se mêle pas des affaires internes des africains, qu’ils sont adultes » et blablabla…Vous y croyez, vous ?
  • Il n’aura non plus été question des armées françaises qui écument l’Afrique depuis le Gabon jusqu’à Djibouti en passant par le Sahel et autres sites cumulant au total pas moins de 10 000 soldats dans des territoires qui ne lui appartiennent pas.

Que l’on me dise dans quel autre continent, sur quel autre territoire une armée étrangère règne autant en maître ? la Chine ? Les USA ? L’Australie ? La Grande Bretagne ? Même le Japon s’est émancipé de la tutelle américaine et l’Allemagne dispose d’une armée autonome depuis la chute du mur de Berlin. En Corée du Sud, la présence américaine n’est justifiée au sud du 38e parallèle qu’avec le parfait accord de la Corée du Sud en miroir équivoque de la menace Nord-coréenne.

Non, l’Afrique n’est pas la chasse gardée de la France et ledit « Nouveau sommet France Afrique » ne fait que consacrer la nouvelle apparence de la relation, plus subtile, plus souple qui permettra une Reconquista face à la déshérence des actifs français et à une image dévaluée de la France en Afrique. Cette transfiguration des perspectives relationnelles cache en réalité une prospective plus vicieuse car sournoise, conçue pour la sauvegarde des intérêts de la France, ne soyons donc pas naïfs.

Albert Camus nous disait que « Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde ». Alors, je dis ceci : Si une nouvelle coopération doit naître des cendres de l’ancienne tutelle, il faudrait alors mettre sur la table les vrais sujets qui laisseront entrevoir une lueur d’émancipation véritable des Africains vis-à-vis de la France :

  • La coopération militaire et un programme de désengagement du territoire des Etats Africains
  • Une annulation pure et simple des accords de coopération qui entravèrent le développement des nations africaines nouvellement indépendantes
  • Un retrait progressif de la France des instances de décision monétaires des zones Afrique centrale et Afrique de l’Ouest
  • Un désengagement ferme des affaires internes africaines
  • Des règles de libre concurrence et d’équité impliquant à égalité la France et les autres nations du monde en matière économique : plus de passe-droits pour privilégier les seules entreprises françaises
  • L’aide au développement (si tant est qu’elle doive se perpétuer) devra être réorientée vers le secteur productif et donner lieu à compensation sous la forme de loyers à taux concessionnels, ce qui n’est pas le cas à ce jour où elle est orientée vers l’administration budgétivore.

Le rapport de la France à l’Afrique ne devra se faire qu’à ces conditions propices à dialogue adulte. Il devra être dénué de menaces et s’orienter vers des intérêts mutuellement bénéfiques, dans une transparence qui ne saurait recourir aux anciennes pratiques tutélaires, car le passé ne plaide pas en faveur d’une confiance aveugle à l’ancienne puissance colonisatrice. L’avenir entre ces entités géopolitiques est à ce prix et non dans des schémas projetés par des savants en quête de responsabilités et autres funambules médiatiques en mal de notoriété, adeptes de l’ultracrépidarianisme.

Pour une véritable harmonie, un dialogue constructif et un apaisement durable entre les peuples.

Prof. Henri Georges Minyem

Enseignant dans les grandes écoles d’ingénieurs-Paris.

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