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UNE SCIENTIFIQUE CHINOISE PERSISTE QUE LE CORONAVIRUS A ÉTÉ CRÉÉ DANS UN LABORATOIRE

Une virologue chinoise dit détenir les preuves que le nouveau coronavirus a été créé dans un laboratoire chinois. Exilée aux Etats-Unis, la scientifique est particulièrement proche de l’administration Trump.

Question posée par Florian le 12/09/2020
Bonjour,

Vous nous interrogez sur l’apparition du Covid-19 : a-t-il pu être créé en laboratoire ? Votre question fait écho aux affirmations de la Chinoise Li-Meng Yan, une «lanceuse d’alerte» autoproclamée qui se présente comme ancienne virologue et immunologue de la Hong Kong School of Public Health (HKU).

En Europe, elle est connue depuis un entretien accordé à l’émission Loose Women et diffusé sur la deuxième chaîne britannique, ITV, le 11 septembre, reprise par plusieurs médias comme Valeurs actuelles, I24 ou encore 20 Minutes Suisse. Elle y explique avoir été contrainte de s’exiler aux Etats-Unis en avril face à la pression des autorités chinoises, à la suite de ses révélations. «Ce virus n’est pas d’origine naturelle», affirme-t-elle, précisant que l’origine de l’épidémie la plus largement admise, à savoir le marché de fruits de mer de Wuhan, est un «écran de fumée».

Ce n’est pas la première fois que Li-Meng Yan alerte sur la gestion chinoise de l’épidémie. Dès le mois de janvier, la chaîne YouTube «Lu de she» (littéralement «chaîne de Luther», qui compte 185 000 abonnés), avait déjà diffusé son hypothèse. Cette chaîne est souvent relayée par le milliardaire chinois Guo Wengui, qui s’avère être un proche de Steve Bannon, ancien conseiller stratégique de Donald Trump et «cerveau» de sa campagne de 2016. Bannon a également dirigé Breitbart News, site d’actualité politique d’extrême droite et pro-Trump, de 2012 à 2016.

Li-Meng Yan a plus largement fait parler d’elle le 10 juillet, en donnant une interview à la chaîne américaine Fox News, dont plusieurs présentateurs soutiennent ouvertement Trump. Dans cet entretien, elle avance encore que le gouvernement chinois connaissait la dangerosité du Covid-19 bien avant de l’annoncer officiellement, et que ses alertes l’ont mise en danger en Chine. A cette date, seule Fox News donnait du poids à ces propos parmi les grands médias américains.
Elle a de nouveau été invitée sur Fox News mardi soir, dans l’émission de Tucker Carlson (l’un des présentateurs les plus proches de Donald Trump), qui l’a saluée en la qualifiant de «personne courageuse».

Docteure en médecine

Quel crédit accorder à ses propos ? Li-Meng Yan est bien docteure en médecine et autrice d’une thèse, portant sur l’effet du propranolol sur la cornée des souris. En 2018, elle co-signait un article sur le vaccin contre la grippe. En tant que stagiaire post-doctorante à la Hong Kong School of Public Health, Li-Meng Yan a déjà co-signé des articles scientifiques sur le nouveau coronavirus, publiés notamment dans des revues scientifiques reconnues, comme Nature en mai (sur «la transmission du Sras-CoV-2 chez les hamsters dorés») ou The Lancet, en mars, intitulé «Dynamique virale dans les cas légers et graves de Covid-19».

Mais les propos de Li-Meng Yan sont aujourd’hui contestés par la Hong Kong School of Public Health dans un communiqué, publié le 11 juillet. L’université insiste sur le fait que les informations qu’elle a données «ne concordent pas avec les faits clés tels que [nous] les comprenons». De plus, elle précise que la scientifique «n’a jamais mené de recherche sur la transmission interhumaine du nouveau coronavirus à HKU en décembre 2019 et janvier 2020, comme elle l’affirme dans son interview».

Des «preuves» ?

Dans l’interview diffusée le 11 septembre sur ITV, Li-Meng Yan affirme qu’elle détient les preuves de l’origine humaine du Sars-CoV-2, en provenance du laboratoire de Wuhan. «Je ne pouvais révéler les preuves en janvier sans risquer d’être menacée mais je travaille maintenant avec un groupe de chercheurs aux Etats-Unis et nous allons publier très prochainement toutes les preuves scientifiques de cette origine humaine», déclare-t-elle.

Ce rapport a depuis été publié. Dans la nuit de lundi 14 au mardi 15 septembre, le document de 26 pages de Li-Meng Yan, co-signé avec trois autres scientifiques (Shu Kang, Jie Guan, et Shanchang Hu) a été posté sur la plateforme OpenAIRE (organe européen accessible à tous de publication de travaux scientifiques, visant à «promouvoir la science ouverte») et comptait déjà près de 430 000 téléchargements jeudi après-midi.

Dans ce document, les scientifiques affirment que le virus «présente des caractéristiques biologiques incompatibles avec un virus zoonotique naturel». En d’autres termes, il leur paraît impossible que le virus ait été transmis à l’homme par des animaux. En outre, «en nous appuyant sur les preuves, écrivent les auteurs, nous constatons une voie synthétique pour le Sras-CoV-2, démontrant que la création en laboratoire de ce coronavirus est faisable et peut être accomplie en environ six mois». Les scientifiques assurent en conclusion qu’un second rapport accompagnera prochainement celui-ci, pour apporter «des preuves supplémentaires».

Une étude qui «soulève davantage de questions qu’elle n’en résout»

Professeure de virologie à la faculté de pharmacie de Lille, médecin au CHU de Lille et chercheuse à l’Institut Pasteur de Lille, Anne Goffard se montre dubitative et critique à la lecture de ce rapport. «Aucune donnée scientifique sérieuse n’étaye cette théorie pour le moment», tacle-t-elle. Même constat sur la forme : «Ce qui est présenté ne respecte pas les règles d’une publication scientifique (par exemple il n’y a pas de description des méthodologies utilisées pour obtenir les résultats présentés) et le processus de peer-reviewing [quand un article est soumis à une relecture par des pairs, ndlr] n’est pas décrit.»

Sur la forme, Etienne Decroly, chercheur au CNRS, nuance en expliquant que «depuis cinq ans», le fait de prépublier des articles avant de les envoyer à une revue scientifique est devenu monnaie courante : «Cela permet d’avoir d’autres avis et des critiques scientifiques afin de compléter les travaux scientifiques.» Sur le fond, il confirme toutefois que cette publication «soulève davantage de questions sur l’origine du virus, qu’elle n’en résout» : «Ce n’est qu’une suite d’hypothèses et les conclusions restent spéculatives.»
Plus largement, le chercheur rappelle qu’il est, pour le moment, impossible de trancher : «Nous manquons de séquences de virus suffisamment proches du Sars-CoV-2 pour identifier son origine et les mécanismes d’émergences. Pour l’instant, toutes les hypothèses, celle d’un accident [fuite accidentelle d’un virus naturel, ndlr] comme d’une transmission zoonotique d’une espèce animale à l’homme, doivent être étudiées, et ce, afin d’élucider cette question.» A titre de comparaison, il avait fallu attendre plusieurs années pour que des études scientifiques confirment les origines de la contamination du virus Sras de 2002-2004.
Carl T. Bergstrom, biologiste et professeur à l’université de Washington a quant à lui dénoncé sur Twitter un rapport «bizarre» et «non fondé».

La piste d’un virus «fabriqué» écartée par l’ensemble de la littérature scientifique

Au mois d’avril, déjà, CheckNews se penchait sur la question de l’origine du virus, et notamment sur les deux hypothèses autour du laboratoire de Wuhan (fuite d’un virus naturel ou création par l’homme d’un virus). Comme nous l’expliquions alors, si l’Institut de virologie de Wuhan dispose bien d’un laboratoire dit P4 (laboratoire abritant des micro-organismes extrêmement pathogènes de type 4 pointé du doigt par la chercheuse), la piste d’un virus «fabriqué» est écartée par l’ensemble de la littérature scientifique sur le sujet.

Dans un communiqué du 13 mars, l’Institut Pasteur affirmait ainsi que «le coronavirus Sars-CoV-2 n’a pas été créé par l’homme». Comme l’Institut le précise, un article scientifique de l’institut de recherche Scripps (Californie) publié dans la revue à comité de lecture Nature Medicine, le 17 mars, «réfute complètement l’idée d’une manipulation par un laboratoire. Dans cette étude, les chercheurs examinent ce qui peut être déduit de l’origine du coronavirus Sars-CoV-2, à partir d’une analyse comparative des données génomiques. […] Leurs analyses montrent clairement que le Sars-CoV-2 n’est pas une construction de laboratoire ou un virus délibérément manipulé».

Interrogé par CheckNews sur les nouvelles déclarations de la docteure chinoise, l’Institut Pasteur ne commente pas le rapport mais assure «qu’à ce jour, il n’y a pas de nouveaux éléments» concernant l’origine du virus.

Des liens étroits avec l’administration Trump

Outre le contenu du document, il est à noter que ses quatre auteurs sont présentés comme rattachés à deux entités, qui ne sont ni des universités ni des laboratoires de recherche : «the Rule of Law Foundation» et «the Rule of Law Society». Celles-ci sont respectivement présidées par Steve Bannon et Kyle Bass, homme d’affaires américain proche de l’administration de Donald Trump.
Sur les pages d’accueil de leurs sites Internet, elles affichent clairement une position anti- gouvernement chinois, revendiquant de vouloir «permettre au peuple de Chine de vivre […] dans un système indépendant de la République populaire de Chine». Par ailleurs, elles sont en partie financées par le milliardaire Guo Wengui, l’un des premiers soutiens et relais de la scientifique. En Chine, l’homme d’affaires fait l’objet d’une fiche rouge de recherche Interpol pour corruption, ce qui explique son exil aux Etats-Unis.

Guo Wengui et Steve Bannon entretiennent une relation plus que professionnelle, comme on peut le voir dans les dizaines de vidéos où ils s’affichent ensemble. Le 20 août, Bannon a été mis en examen pour détournement de fonds après avoir été interpellé sur le yacht du milliardaire chinois. Enfin, ce dernier est membre du club très fermé de la villa de Donald Trump, à Mar-a-Lago en Floride. C’est d’ailleurs pour cette raison que le président des Etats-Unis aurait refusé de le renvoyer en Chine, malgré la notice Interpol, rapportaient en 2017 différents médias américains, comme le Wall Street Journal ou le Miami Herald.

Est-ce à dire que la scientifique est portée dans ses révélations par des soutiens ou des proches de Donald Trump ? C’est en tout cas ce que laissent entrevoir deux photos, publiées ce week-end sur Twitter. Sur celles-ci, on retrouve le présentateur de la chaîne YouTube «Lu de she», la scientifique, l’ancien maire de New York Rudy Giuliani, juriste de Donald Trump et conseiller en sécurité informatique de la Maison Blanche et… Steve Bannon, derrière l’épaule de Giuliani. Li-Meng Yan s’était par ailleurs déjà affichée aux côtés de Bannon dès juillet.

Une guerre d’influence

Le cercle pourrait s’agrandir un peu plus autour de Li-Meng Yan. Peu de temps après sa publication, Peter Navarro, directeur du bureau de la politique commerciale et manufacturière de la Maison Blanche, a relayé le rapport scientifique sur Twitter, via un article du blog proche de l’extrême droite Zero Hedge. Il accompagne son partage du hashtag «le Parti communiste chinois ment, les gens meurent».
Signe d’un engouement autour de Li-Meng Yan, un compte Twitter qui se présente comme le sien était déjà suivi mardi par plus de 60 000 personnes, moins de vingt-quatre heures après sa création, a constaté CheckNews. Ce profil, de son côté, s’est abonné à une trentaine de personnes, en priorité des membres de l’administration Trump, ainsi que le président lui-même. Ce compte a cependant été supprimé ou suspendu dans la nuit de mardi à mercredi. Twitter n’a pas répondu à nos interrogations sur cette suspension, car il s’agit d’un compte privé. Contactée par CheckNews, la virologue n’a pour le moment pas donné suite à nos sollicitations.

Cette nouvelle polémique quant à l’origine du virus s’inscrit dans une guerre d’influence entre Washington et Pékin. Donald Trump a employé à plusieurs reprises le terme de «virus chinois» en référence au nouveau coronavirus. Le secrétaire d’Etat Mike Pompeo avait assuré fin mars avoir des «preuves immenses» que le virus, naturel, avait fuité d’un laboratoire de Wuhan (thèse différente de celle défendue par Li-Meng Yan donc). De leur côté, des membres du Parti communiste chinois, notamment le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Lijian Zhao, ont alimenté la théorie selon laquelle l’armée américaine aurait importé le virus en Chine.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le CFPJ pour le journal d’application de la promotion 53.

Source : Libération

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