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VOICI COMMENT MADAGASCAR A ABANDONNÉ LE FRANC CFA SANS MOURIR

La manière dont Madagascar a quitté la zone franc en 1973 est intéressante à retracer DANS LE CONTEXTE ACTUEL d’ébullition anticolonialiste en Afrique subsaharienne dite francophone.

Le processus a débuté en 1972, à la suite d’un MOUVEMENT NATIONAL de CONTESTATION des ACCORDS DE COOPÉRATION passés avec la France et le pouvoir du président Philibert Tsiranana, jugé trop proche de l’ancienne puissance coloniale. Pendant plusieurs semaines, des manifestations géantes ont réuni à Antananarivo, la capitale, des ÉTUDIANTS, des LYCÉENS et des TRAVAILLEURS.

Après des affrontements meurtriers avec les forces de sécurité le 13 Mai 1972, le président Tsiranana a fini par remettre les pleins pouvoirs au chef d’état-major de l’armée, le général Gabriel Ramanantsoa, qui a formé un gouvernement et annoncé: «La coopération doit évoluer. C’est la première question que j’étudierai».

Pendant plusieurs mois, Paris ne fera aucun commentaire sur le sujet. Des pourparlers franco-malgaches commencent officiellement le 25 Janvier 1973. Ils ont lieu essentiellement à Paris. C’est le ministre malgache des Affaires étrangères qui dirige la délégation d’experts menant les négociations pour le compte de Tananarive: il s’agit du capitaine de corvette Didier Ratsiraka, 36 ans. Il a plusieurs interlocuteurs français: le secrétaire d’État chargé de la Coopération Pierre Billecocq, qui sera remplacé en Avril 1973 par Jean-François Deniau, et le ministre des Finances, Valéry Giscard d’Estaing.

Dès le début, la tension est palpable. Didier Ratsiraka sait ce qu’il veut.

«Madagascar, déclare-t-il, est déterminé à recouvrer l’ENTIER EXERCICE de sa SOUVERAINETÉ dans TOUS LES DOMAINES: politique, économie, monnaie, défense, éducation».

Les questions militaires et monétaires seront les plus difficiles à négocier.
Alors que Didier Ratsiraka ne veut plus aucune présence militaire française, Paris tient à conserver sa base militaire de Diego-Suarez.

À propos de la monnaie, le ministre malgache s’est fixé pour objectif la sortie de Madagascar de la zone franc: le franc CFA ayant cours légal sur le territoire de la République de Madagascar a beau avoir été rebaptisé franc malgache en 1963, il repose toujours sur le système CFA.

«Tout le temps où l’on a été dans la zone franc, on aidait plutôt les autres pays africains, racontera-t-il plus tard. On avait à l’époque 7 milliards de francs CFA qui dormaient à la Banque de France. J’ai dit que nous voulions récupérer cet argent».

À Valéry Giscard d’Estaing qui lui demande s’il ne craint pas en quittant le système CFA «un saut dans l’inconnu», Ratsiraka répond: «C’est possible, mais c’est la mission que j’ai». Vous seriez plus avisé de conserver un compte d’opérations, lui dit en substance le ministre français. Mais le capitaine ne veut pas «d’un compromis» qui irait «vers la compromission». Selon lui, il faut la sortie de la zone franc et rien d’autre, parce que «sans la monnaie, on a une indépendance bancale».

Au sein de la délégation malgache, tout le monde n’est pas de l’avis de Didier Ratsiraka. La plupart de ses collègues tentent de le convaincre de renoncer à une sortie de la zone franc. Conscients de ces dissensions, les Français les instrumentalisent et cherchent à changer d’interlocuteur.

Jugé «très dur», Didier Ratsiraka est qualifié d’«espèce d’énergumène gauchiste» par Jacques Foccart, alors secrétaire général aux affaires africaines et malgaches. Le gouvernement français fait passer un message, par un chef d’État africain, au général Ramanantsoa, lui promettant d’augmenter les aides à Madagascar s’il l’écarte. En vain: le chef du gouvernement donne au contraire «carte blanche» à Didier Ratsiraka pour continuer sa mission. Paris fait aussi interrompre à plusieurs reprises les négociations, espérant gagner du temps et amener les Malgaches à renoncer à leurs exigences. Mais les Français non plus ne sont pas unanimes: le président Georges Pompidou, par exemple, n’est pas opposé à l’idée de renoncer en partie à Madagascar (dont les performances économiques sont moins bonnes que celles du Cameroun ou de la Côte-d’Ivoire, par exemple).

Valéry Giscard d’Estaing et Jean-François Deniau estiment, eux, qu’il faut tout faire pour garder le pays dans la zone franc afin de maintenir intacte la configuration de cette dernière. Finalement, les Français acceptent d’abandonner leurs bases militaires. Mais Sur la question monétaire, aucun terrain d’entente n’est trouvé.

Les autorités malgaches en tirent les conséquences. Le 21 Mai 1973, le général Gabriel Ramanantsoa déclare: «Nous préférons rester pauvres, mais dignes, que nous agenouiller devant des richesses». A-t-il en tête la fameuse formule de Sékou Touré, «Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage», prononcée devant le général de Gaulle en 1958?

Le lendemain, Didier Ratsiraka annonce depuis Paris que Madagascar quitte la zone franc. Une fois de plus, les Français n’ont pas voulu «être amenés, par le biais de la négociation “globale”, à consentir des garanties qui auraient pu constituer des précédents pour d’autres États», explique Le Monde. Le 4 Juin 1973, Didier Ratsiraka et Jean-François Deniau signent les accords révisés, sans que la question de la monnaie n’y figure.

À son retour à Madagascar, le ministre des Affaires étrangères est accueilli de manière triomphale par ses compatriotes. Le 12 Juin, la Banque centrale de la République de Madagascar est créée, prenant la succession de l’Institut d’Émission Malgache. Le franc malgache changera de nom en 2003 pour devenir l’Ariary. Son existence ne sera jamais remise en cause, malgré les périodes de fortes turbulences qu’il traversera au cours des décennies suivantes.

Victor BM

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